"Antonia, tu mets combien ?
– Je vais mettre 20 euros.
– D'accord, alors je note, 'Antonia Avalos Torres, 20 euros'. Et maintenant, tu signes le registre. Alfonso, combien mets-tu ?
– 50 euros.
– 50 euros ? Eh bien, tu es riche ! Mais moi aussi je crois que je vais déposer 50 euros."
– Je vais mettre 20 euros.
– D'accord, alors je note, 'Antonia Avalos Torres, 20 euros'. Et maintenant, tu signes le registre. Alfonso, combien mets-tu ?
– 50 euros.
– 50 euros ? Eh bien, tu es riche ! Mais moi aussi je crois que je vais déposer 50 euros."
Bienvenue au lancement de la première CAF (communauté auto-financée) de Séville. Avec pour simples outils une caisse métallique et un registre, sept femmes et un homme, tous amis, réinventent le principe historique des banques de village : mettre de l'argent de côté, s'en prêter, à des conditions claires, définies en amont et en commun.
Le local associatif qui les accueille à Mairena de Aljarrafe, village de la banlieue de Séville, est celui de la Fondation Ana Bella, une association locale qui lutte contre les violences domestiques et par laquelle se sont connues les sept femmes du groupe. Toutes ont fui un mari violent et sont restées unies par leur passé douloureux. Ces femmes dynamiques, qui ont payé cher leur indépendance, essayent aujourd'hui d'imaginer leur équilibre économique de demain. Alfonso Mariscal Copano est lui un ami de longue date. Il travaille dans une banque... ce qui a certainement rassuré ce groupe très féminin, et contribué à son inclusion comme membre.
"Jamais dans ma vie je n'avais mis d'argent de côté. D'abord parce que je n'en ai jamais eu, et ensuite parce que je n'avais pas confiance. Avec mon banquier, on ne s'est jamais entendus", explique en riant Antonia Avalos Torres, sémillante Mexicaine qui vit depuis quatre ans à Séville, avec un garçon de 27 ans et une fille de 16 ans. Il y a quelques mois, Antonia a été invitée à Barcelone pour animer des ateliers sur les violences faites aux femmes. N'ayant pas de quoi se payer le billet d'avion, elle emprunte à une amie, mais se dit qu'il serait bien utile d'avoir de l'argent de côté pour de telles occasions. A ce moment, les membres de la fondation Ana Bella entendent parler des CAF. Ces caisses auto-financées se sont multipliées ces dernières années à Barcelone et à Madrid sous l'impulsion de Jean-Claude Rodriguez, professeur d'économie à l'université Ramon Llull de Barcelone et militant d'une micro-finance responsable (voir le site de son association). Les dynamiques femmes de Séville contactent Jean-Claude Rodriguez et sollicitent une formation à la création d'une CAF.
Après un atelier organisé en octobre, Antonia, Chary, Gloria, Carmen, Ana, Gracia et Alfonso sont prêts à officialiser le lancement de la caisse. Les règles sont simples : "Pour la première réunion, il y a un apport minimum de 10 euros. On peut emprunter un crédit représentant jusqu'à quatre fois son apport en capital", explique Antonia. Le montant du crédit ne peut dépasser un quart de la somme totale dont dispose la caisse. "Pour chaque crédit demandé, deux autres membres doivent se porter garants. Pendant la durée de remboursement du crédit, ils ne pourront pas emprunter."
"Il y a un taux d'intérêt de 1,5 %, qui sert à financer la communauté, poursuit Gracia Prada. Mais si un mois on ne paye pas son échéance, le taux d'intérêt double le mois suivant. En tout, on a six mois pour rembourser son crédit."
D'autres règles font l'objet de plus de discussions, comme celle qui oblige à assister à chaque réunion, faute de quoi une amende de 3 euros est imposée. "C'est important que tous participent aux réunions, parce qu'on n'est pas une simple banque, on est un réseau de solidarité", souligne Antonia. Certains voudraient assouplir cette amende, mais Chary Contreros tranche : "Les statuts sont les statuts. On ne va pas faire des exceptions dès la première réunion." Et Gracia rajoute : "Dès qu'on parle d'argent, il faut que les règles soient très claires. Donc on s'en tient aux statuts."
La méthodologie des CAF est suivie à la lettre : établir la liste des membres présents, collecter les apports de chacun, évaluer les demandes éventuelles de crédit (lors de cette première réunion, il n'y en aura pas), signer le livre de comptes... Chacun s'émerveille de l'accumulation des billets de 10 et 20 euros dans la caisse, qui compte, à la fin de la séance, 170 euros. La date du prochain rendez-vous est fixée. Par sécurité, la caisse et la clé ne partiront pas dans les mêmes poches : Antonia garde la clé et Alfonso, le banquier, la caisse.
Sur le trajet du retour vers le centre de Séville, Antonia confie : "C'est la première fois que j'épargne et je suis vraiment émue de pouvoir le faire avec des amis de confiance." Ses projets ? "Ça paraîtra peut-être frivole, mais je rêve d'offrir un voyage à mes enfants. Et sinon, j'aimerais pouvoir m'acheter des livres." Sous sa gouaille et son charme, Antonia est pudique, mais on imagine que dans un passé pas si lointain, sous la poigne d'un mari violent, s'offrir un livre ou s'adonner à une lecture solitaire pouvaient passer pour de la "frivolité". Le groupe a décidé qu'Antonia serait présidente de cette caisse. Elle en rit : "Moi qui ait toujours été fâchée avec les chiffres, imaginez, présidente d'une caisse d'épargne !"
Mathilde Gérard
Vu sur au bout de la route
J'ai confiance en des initiatives de ce genre, et je serais prête à y participer. En fait, c'est réinventer la banque à petite échelle. Mais sans les dividendes épouvantables versés aux personnes qui s'occupent des capitaux.
RépondreSupprimerNous allons peut-être également bientôt en revenir aussi aux petits commerces de proximité.
Ce qui est plus humain, et qui donnera la priorité aux artisans locaux.
J'ai cet espoir. Je suis cependant consciente que j'habite en campagne et que tout cela est sans doute plus facile à mettre en place que dans les grandes villes. Mais pourquoi pas ?
Cependant, tout cela demande une bonne intégrité de chacun.
Nous pouvons peut-être y croire.