12 octobre 2011

Nabucco — Riccardo Muti contre les coupes sombres au budget de la Culture



À la 7e minute: Encouragé à bisser le célèbre chœur Va pensiero, Riccardo Muti prend la défense du budget de la Culture italien menacé de coupes sombres... Il invite les spectateurs du Teatro dell'Opera di Roma à entonner l'air patriotique avec les choristes présents sur scène.


Le 12 mars dernier, Silvio Berlusconi a dû faire face à la réalité. L’Italie fêtait le 150ème anniversaire de sa création et à cette occasion fut donnée, à l’opéra de Rome, une représentation de l’opéra le plus symbolique de cette unification : Nabucco de Giuseppe Verdi, dirigé par Riccardo Muti.

 Nabucco de Verdi est une œuvre autant musicale que politique : elle évoque l'épisode de l'esclavage des juifs à Babylone, et le fameux chant « Va pensiero » est celui du Chœur des esclaves opprimés. En Italie, ce chant est le symbole de la quête de liberté du peuple, qui  dans les années 1840 - époque où l'opéra fut écrit -était opprimé par  l'empire des Habsbourg, et qui se battit jusqu'à la création de l’Italie unifiée.

 Avant la représentation, Gianni Alemanno, le maire de Rome, est monté sur scène pour prononcer un discours dénonçant les coupes dans le budget de la culture du gouvernement. Et ce, alors qu’Alemanno est un membre du parti au pouvoir et un ancien ministre de Berlusconi.

 Cette intervention politique, dans un moment culturel des plus symboliques pour l’Italie, allait produire un effet inattendu,  d’autant plus que Sylvio Berlusconi en personne assistait à la représentation…
  
 Repris par le Times, Riccardo Muti, le chef d'orchestre, raconte ce qui fut une véritable soirée de révolution : « Au tout début, il y a eu une grande ovation dans le public. Puis nous avons commencé l’opéra. Il se déroula très bien, mais lorsque nous en sommes arrivés au fameux chant « VaPensiero », j’ai immédiatement senti que l’atmosphère devenait tendue dans le public. Il y a des choses que vous ne pouvez pas décrire, mais que vous sentez. Auparavant, c’est le silence du public qui régnait. Mais au moment où les gens ont réalisé que le « Va Pensiero » allait démarrer, le silence s’est rempli d’une véritable ferveur. On pouvait sentir la réaction viscérale du public à la lamentation des esclaves qui chantent : « Oh ma patrie, si belle et perdue ! ».

 Alors que le Choeur arrivait à sa fin, dans le public certains s’écriaient déjà : « Bis ! » Le public commençait à crier « Vive l’Italie ! » et « Vive Verdi ! »Des gens du poulailler (places tout en haut de l’opéra) commencèrent à jeter des papiers remplis de messages patriotiques – certains demandant « Muti, sénateur à vie ».

 Bien qu’il l’eut déjà fait une seule fois à La Scala de Milan en 1986, Muti hésita à accorder le « bis » pour le Va Pensiero. Pour lui, un opéra doit aller du début à la fin. « Je ne voulais pas faire simplement jouer un bis. Il fallait qu’il y ait une intention particulière.  », raconte-t-il.

 Mais le public avait déjà réveillé son sentiment patriotique. Dans un geste théâtral, le chef d’orchestre s’est alors retourné sur son podium, faisant face à la fois au public et à M. Berlusconi, et voilà ce qui s'est produit :

 [Après que les appels pour un "bis" du "Va Pensiero" se soient tus, on entend dans le public : "Longue vie à l'Italie !"]
 Le chef d'orchestre Riccardo Muti : Oui, je suis d'accord avec ça, "Longue vie à l'Italie" mais... [Applaudissements]
 Muti : Je n'ai plus 30 ans et j'ai vécu ma vie, mais en tant qu'Italien qui a beaucoup parcouru le monde, j'ai honte de ce qui se passe dans mon pays. Donc j'acquiesce à votre demande de bis pour le "Va Pensiero" à nouveau. Ce n'est pas seulement pour la joie patriotique que je ressens, mais parce que ce soir, alors que je dirigeais le Chœur qui chantait "O mon pays, beau et perdu",j' ai pensé que si nous continuons ainsi, nous allons tuer la culture sur laquelle l'histoire de l'Italie est bâtie. Auquel cas, nous, notre patrie, serait vraiment "belle et perdue".
 Applaudissements à tout rompre, y compris des artistes sur scène]
 Muti : Depuis que règne par ici un "climat italien", moi, Muti, je me suis tu depuis de trop longues années. Je voudrais maintenant... nous devrions donner du sens à ce chant comme nous sommes dans
 notre Maison, le théâtre de la capitale, et avec un Chœur qui a chanté magnifiquement, et qui est accompagné magnifiquement, si vous le voulez bien, je vous propose de vous joindre à nous pour chanter tous ensemble.

 C’est alors qu’il invita le public à chanter avec le Choeur des esclaves.

« J’ai vu des groupes de gens se lever. Tout l’opéra de Rome s’est levé. Et le Chœur s’est lui aussi levé. Ce fut un moment  magique dans l’opéra. »

 « Ce soir-là fut non seulement une représentation du Nabucco, mais également une déclaration du théâtre de la capitale à l’attention des politiciens. »

2 commentaires:

  1. Hé oui, ce sont des instants de magie, où l'âme collective d'un peuple se révèle. Elle n'est pas complètement anesthésiée encore par le discours des élites, par les plans de rigueur imposés par les financiers, par le "toujours moins" qui nous est promis...

    "C’est alors qu’il invita le public à chanter avec le Choeur des esclaves.

    « J’ai vu des groupes de gens se lever. Tout l’opéra de Rome s’est levé. Et le Chœur s’est lui aussi levé. Ce fut un moment magique dans l’opéra. »

    « Ce soir-là fut non seulement une représentation du Nabucco, mais également une déclaration du théâtre de la capitale à l’attention des politiciens. »

    Le "choeur des esclaves" et ses regrets sur la "patrie perdue" n'est ce pas ce que nous sommes en train de devenir, si nous laissons les ploutocrates néo-mondialistes poursuivre leur plan ?
    Mais, il est aussi utile de se rappeler que nous vivons une pièce de théâtre, sur la scène qu'est notre réalité tri-dimensionnelle, et que le monde réel, extérieur, est au delà du théâtre, dans la rue, dans la ville...où nous retournerons, après la pièce de théâtre. Espérons seulement que le rideau tombera sur une fin exaltante, après l'intrigue noire que nous vivons dans le 3° acte.

    L'ami Pierrot

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  2. C'est beau un bobo qui se révolte.
    L'éclat des lunettes et des bijoux dans le noir de la salle m’a fait penser à un ciel étoilée, des millier d'étoiles comme les soupirs de ceux qui voient leur monde sombrer.
    Très joli moment et que de beaux visages, ceux des choristes voilées.....merci monsieur Paul !

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