15 avril 2011

Novlangue


Le lexique de la novlangue fut très réduit. La réduction du lexique à un minimum est un but en soi. La novlangue vise à restreindre l'étendue de la pensée. Le vocabulaire est réorganisé en trois classes A, B et C. Très peu de mots sont communs aux trois classes.

Le vocabulaire A ne contient que les termes nécessaires au travail et à la vie quotidienne : manger, boire, travailler, etc. Il est formé sur des mots anciens. L'univocité des termes empêche désormais tout usage littéraire, politique ou philosophique.

Le vocabulaire B contient les mots composés construits à des fins politiques. Il est formé par des nom-verbes et contient une foule de néologismes.

Le vocabulaire C est spécialisé. Il est entièrement composé par des termes scientifiques et techniques.



La grammaire de la novlangue
Les principes grammaticaux sont communs à toutes les classes lexicales. La grammaire se caractérise par deux particularités : l'interchangeabilité des parties du discours et la régularité (la règle grammaticale ne connaît plus d'exception).

Principes
L’idée fondamentale de la novlangue est de supprimer toutes les nuances d’une langue afin de ne conserver que des dichotomies qui renforcent l’influence de l’État. Un rythme élevé de syllabes est aussi visé, avec l’espoir que la vitesse des mots empêche la réflexion.

De plus, si la langue possède le mot « bon », il est inutile qu’elle ait aussi le mot « mauvais ». On crée le concept « mauvais » en ajoutant un préfixe marquant la négation (cela donnera « inbon »). La grammaire est aussi très simplifiée ; ainsi le pluriel est toujours marqué par un s (on dit « des chevals » et « des genous ») ; les verbes se conjuguent tous de la même manière.

Un verbe doit toujours dériver du nom correspondant quand il existe. Dans la version anglaise, to cut (couper) est ainsi remplacé par to knife (sachant que knife signifie couteau).

Les caractéristiques de la novlangue existent dans des langues agglutinantes comme le japonais, le turc ou l’espéranto. Sa critique du remplacement de tous les termes équivalents « mauvais, répugnant, dégoûtant, exécrable, infect... »  par un simple « inbon » manque de souplesse pour un anglophone, mais le procédé est utilisé dans les langues agglutinantes en communication quotidienne, et parfois en poésie. La novlangue surprend surtout un anglophone s’adressant à d’autres anglophones disposant eux aussi d’un vocabulaire de 30 000 mots et plus. Orwell connaissait l’espéranto via son long séjour chez sa tante Ellen Kate Limouzin, femme d’Eugène Lanti, l’un des fondateurs et principaux moteurs du mouvement espérantiste ouvrier. La novlangue caricature les langues anglaises simplifiées, en particulier l'anglais basic.

L’idée sous-jacente à la novlangue est que si une chose ne peut pas être dite, cette chose ne peut pas être pensée durablement faute de renforcement par l’échange. La question soulevée par cette supposition est de savoir si nous définissons toujours la langue ou sommes parfois « formatés » par elle. Par exemple, peut-on ressentir l’idée de « liberté » si nous ignorons ce mot ? Cette théorie est liée à l’hypothèse Sapir-Whorf et à la formule de Ludwig Wittgenstein : « Les limites de ma langue sont les limites de mon monde ». Elle fait également écho à l'ouvrage Le Cru et le cuit de Claude Lévi-Strauss.

Double pensée
Outre la suppression des nuances, la novlangue est une incarnation de la double-pensée.

La double signification des mots possède le mérite (pour ses créateurs) de dispenser de toute pensée spéculative, et donc de tout germe de contestation future. Puisque les mots changent de sens selon qu’on désigne un ami du parti ou un ennemi de celui-ci, il devient évidemment impossible de critiquer un ami du parti, mais aussi de louer un de ses ennemis.

Prenons pour exemple le mot « noirblanc ». Quand il qualifie un ennemi, il exprime son esprit de contradiction avec les faits, de dire que le noir est blanc. Mais lorsqu’il qualifie un membre du Parti, il exprime la soumission loyale au Parti, l’aptitude à croire que le noir est blanc, et plus encore, d’être « conscient » que le noir est blanc, et d’oublier que cela n’a jamais été le cas (grâce au principe de « doublepensée »).

Une autre idée de la novlangue est d’associer deux termes différents en un seul mot afin que la pensée de l’un soit irrémédiablement associée à la pensée de l’autre : "crimesex"…