21 novembre 2024

Pravda américaine et drogues : la poudre blanche addictive la plus mortelle serait-elle le sucre ?

Je suis un lecteur quotidien du New York Times depuis presque 45 ans, mais cette publication me dégoute de plus en plus, et il m’arrive d’évoquer ce dégout dans mes articles.

Par exemple, j’ai écrit en 2016 :

Des décennies durant, j’ai lu chaque matin de manière sérieuse plusieurs journaux d’importance, et au cours des quelques dernières années, j’ai remarqué un déclin frappant dans la qualité de leur couverture scientifique, comme l’illustre la section hebdomadaire dédiée aux sciences du New York Times.

Alors que par le passé, les pages de ce journal pouvaient présenter des découvertes spectaculaires en biologie de l’évolution ou en physique, la couverture qu’elles apportent désormais semble de plus en plus cantonnée aux applis pour téléphone, aux régimes minceur et aux applis de régimes.

J’ai toujours considéré les livres consacrés aux régimes alimentaires comme l’exemple parfait du contenu inutile, nonobstant le nombre de millions d’exemplaires vendus, et au fil des années, j’ai vu de manière ininterrompu des mentions dans mes journaux à des régimes alimentaire divers et variés — le régime Atkins, le régime South Beach, le régime Beverly Hills, le régime Paleo, le régime Low-Carb — et je n’ai jamais ressenti le moindre intérêt à en lire le premier mot. Il m’est toujours apparu comme évident que quiconque mange trop va sans doute grossir, et que la solution correcte consiste simplement à manger moins, et peut-être à pratiquer davantage d’exercice. Dans le même temps, on peut s’attendre à jouir d’une meilleure santé nutritionnelle en mangeant moins de donuts et en se rapprochant des préconisations alimentaires émises par le gouvernement et scientifiquement établies, comme cette célèbre pyramide alimentaire dont je me souviens qu’elle me fut présentée à l’école primaire, sans doute à partir du CE1 ou du CE2. Entretenir d’âpres luttes au sujet d’objectifs politiques est une chose, mais les préconisations alimentaires saines constituent un sujet simple relevant de la science objective, au sujet duquel il n’est pas raisonnable de débattre.

Mes opinions sur tous ces sujets n’ont commencé à changer qu’il y a quelques mois, à l’occasion d’un déjeuner avec un professeur en médecine de premier plan. Une grande partie de notre discussion avait porté sur les sujets du Covid et de la vaccination, mais à un certain stade de la conversation, le sujet des régimes et de la nutrition a fait surface, et il s’est prononcé sur les avancées de notre compréhension autour de ces sujets depuis dix ou vingt ans, dont une grande partie provenaient des travaux d’une journaliste scientifique et de ses ouvrages. Le nom qu’il a mentionné ne m’a rien évoqué, mais comme je suis un peu curieux sur le sujet qu’il avait décrit, j’ai pris note de ce nom. Je me souvenais également plus ou moins avoir lu il y a quelques années dans le Times quelque chose au sujet de cette controverse, mais sans guère y accorder d’attention. Dans les jours qui ont suivi, j’ai butiné un peu sur Amazon, et après avoir essayé quelques orthographes possibles du nom en question, j’ai situé l’auteur et ses livres, et j’en ai commandé quelques uns. Lorsque qu’ils m’ont été livrés, je les ai rangés sur une pile déjà assez haute, et j’ai fini par trouver le temps de les lire il y a quelques semaines.

Les révolutions idéologiques visant à passer outre des générations d’orthodoxie établie sont souvent provoquées par des personnalités inconnues et non accréditées, et lancées au travers d’aventures obscures, qui exigent de nombreuses années d’efforts avant de commencer à attirer l’attention du public. Mais parfois, les circonstances sont différentes, et tel a été le cas en cette instance.

Gary Taubes a été diplômé de l’Université de Harvard en physique appliquée, puis a obtenu un mastère l’année suivante à l’Université de Stanford. Il s’est ensuite tourné vers le journalisme, et a décroché un second mastère en journalisme à l’Université de Columbia en 1981, pour rejoindre en 1982 l’équipe de Discover, ce qui a constitué le début d’une belle carrière en journalisme scientifique, relayée par cette publication, par Science, et par divers autres magazines au cours des années qui ont suivi. Au vu de son historique personnel, ses centres d’intérêts étaient au départ dédiés à la physique, et durant les dix ou douze premières années de sa carrière, il a publié quelques ouvrages bien notés sur ce sujet. Dans la même veine, il a remporté trois fois le Science in Society Journalism Award remis par l’Association of Science Writers, ce qui le distingue particulièrement, puisque personne d’autre n’a eu cet honneur.

Voilà qui installe cet auteur en bonne place parmi les plus réputés, et lorsqu’il a fini par concentrer son attention sur la nutrition, et conclu que des décennies de sagesse conventionnelle en la matière avaient produit de graves erreurs, les éditeurs l’ont pris très au sérieux. Au début des années 2000, le New York Times était sans doute au plus près du point haut de son influence médiatique, et en 2002, le Times Sunday Magazine a fait sa première page avec pour titre « Et si tout ceci avait été un gros mensonge bien gras ?«  pour introduire un article de 8000 mots, débutant par ce paragraphe plutôt spectaculaire :

Si les membres de l’establishment médical étasunien devaient avoir un cauchemar collectif du type à se retrouver tout nu au milieu de Times Square, voici à quoi il pourrait ressembler. Ils ont passé 30 ans à tourner en ridicule Robert Atkins, l’auteur des best-sellers phénoménaux « La Révolution du Régime du Dr. Atkins », et « La nouvelle Révolution du Régime du Dr. Atkins », accusant le médecin de Manhattan de charlatanisme et de fraudes, pour découvrir en fin de compte que le persistant docteur avait raison depuis le début. Ou peut-être que ce cauchemar pourrait être : ils découvrent que leurs propres recommandations en matière de régime — manger moins de gras et davantage d’hydrates de carbone — sont la cause de l’épidémie furieuse d’obésité qui frappe les États-Unis. Ou peut-être simplement celui-ci : ils découvrent que les deux énoncés précédents sont vrais.

What if It’s All Been a Big Fat Lie?
Gary Taubes • The New York Times Sunday Magazine • 7 juillet 2002 • 7,800 mots

Aussi loin que remonte ma mémoire, les experts du gouvernement dédiés à la santé et les médias relayant leurs avertissements nous avaient informés que manger de la nourriture grasse était mauvais pour la santé, et produisait des risques très accrus de criques cardiaques, d’AVC, d’obésité, et de nombreuses autres affections. Malgré mon manque d’attention sur ces sujets, j’avais toujours supposé que ces faits étaient établis, à l’instar de la plupart des Étasuniens.

Des décennies de messages médiatiques nous rabâchaient que le petit déjeuner traditionnel copieux étasunien, constitué de bacon, de saucisse et d’œufs, souvent servi accommodé de mottes de beurre — une nourriture débordant de graisse et faisant donc grossir — devait être remplacé par une préparation plus saine comme du muesli, des fruits et des yaourts. Une grande partie de la population a fini par prendre ces avertissements en compte et par prendre son petit déjeuner ainsi.

Le Suède, sensibilisée au sujets de santé, avait originellement développé la Pyramide alimentaire en 1972, et celle-ci a rapidement été promue aux États-Unis, et je me souviens l’avoir vue de temps à autre à partir de mes années à l’école primaire.

Dans ce cadre nutritionnel, un régime sain s’établissait sur une fondation de nourriture à base de céréales, comme le pain, le riz et les pâtes, complétés par des quantités conséquentes de fruits et légumes, et dans l’ensemble, ces hydrates de carbone devaient apporter le plus gros des calories quotidiennes. Les produits d’origine animale comme le lait, le fromage, la viande, le poisson et les œufs, riches en protéines et composés de quantités substantielles de graisses, étaient à consommer avec modération, cependant que la consommation de nourritures grasses et sucrées restait à minimiser. Nombre d’entre nous avaient naturellement des difficultés à adhérer à ces lignes directrices, mais elles représentaient le fil directeur du style de vie sain que nous étions tous encouragés à poursuivre.

Mais selon l’article à succès de Taubes, tout ceci avait constitué « un bon gros mensonge bien gras. » Selon son récit, les nourritures grasses étaient saines, et les consommer représentait la meilleure manière de conserver la ligne, alors que les fruits et les yaourts appauvris eu matière grasse constituaient exactement le type de nourriture dangereuse qui promouvaient l’obésité. Je suis certain que pour qui suivait les sujets diététiques de près, ces affirmations excentriques s’apparentaient à énoncer que la gravité faisait désormais tomber les objets vers le haut.

Cependant, je n’avais jamais personnellement entretenu le moindre intérêt envers ces sujets de nutrition, et lorsque l’article de Tauber est paru, à la mi-2002, j’étais très absorbé par la guerre d’Afghanistan déclenchée par les attentats du 11 septembre 2001 et les dangereuses tentatives menées par les néo-conservateurs en vue d’attaquer également l’Irak, et également par mes campagnes d’initiative pour la langue anglaise dans le Massachusetts et le Colorado. Je suis donc certain d’avoir lu l’article de couverture écrit par Taubes dans Times Magazine, et d’avoir pensé « Hum, voilà qui est intéressant, » mais il ne m’a pas fait forte impression et je suis rapidement passé à autre chose.

Mais d’autres personnes ont réagi de manière différente. Les affirmations choquantes avancées par Taubes lui ont valu de nombreuses invitations dans diverses émissions télévisuelles et d’autres médias plus secondaires, ainsi qu’un contrat d’écriture d’un livre adossé à une conséquente avance de 700.000$ de la part de Knopf, l’un des éditeurs étasuniens les plus prestigieux. Il y eut également des détracteurs, et le Naderite Center for Science in the Public Interest a bientôt fait paraître une forte attaque contre ces affirmations, et quelques mois plus tard, un journaliste scientifique beaucoup plus conventionnel en a fait autant dans le magazine Reason. Cette dernière attaque déclencha une suite d’échanges qui s’étalèrent sur pas moins de 17.000 mots, et à la lecture récente de ces échanges pour la première fois, j’ai pensé que Taubes semblait en sortir vainqueur. Mais les échos de la controverse subsistante se mirent peu à peu à diminuer d’amplitude, et Taubes se consacra à cinq années de recherches scientifiques et historiques pour enrichir la thèse surprenante qu’il avait exposée dans le Times.

Durant cette période, il semble avoir confirmé ses soupçons selon lesquels non seulement la science nutritionnelle, mais plus généralement la science s’intéressant aux sujets de santé, étaient nettement moins solides que la physique qu’il avait étudiée à l’université et sur laquelle il avait enquêté durant les premières phrases de sa carrière journalistique. Lorsque son nouvel ouvrage fut finalement prêt à être publié, le Times Sunday Magazine publia son article de 8000 mots sur la thèse scientifique très faible et vacillante favorable à la très répandue thérapie de remplacement d’hormones, et sur la nature extrêmement douteuse des études épidémiologiques qui avaient été utilisées pour la justifier.

Savons-nous vraiment ce qui nous apporte la bonne santé ?
Gary Taubes • The New York Times Sunday Magazine • 16 septembre 2007 • 8,000 mots

 

Le livre Good Calories, Bad Calories, s’étalant sur pas moins de 600 pages, a exposé exactement la nature grièvement erronée des conclusions scientifiques qui semblent avoir abimé la vie et la santé de dizaines de millions d’Étasuniens, et produit une bibliographie qui dépasse nettement les 1500 entrées, sur ses 67 pages. Au vu de la visibilité médiatique de l’auteur et de sa notoriété passée sur ces sujets, son livre a rapidement atteint le statut de best-seller, ce à quoi le Wall Street Journal a contribué en en publiant un extrait relativement long.

La dernière fois que j’avais été exposé à ce sujet remontait à une période de quelques semaines durant mon cours de Santé, en classe de seconde, et le quasi ignorant que j’étais donc à cet égard a trouvé son analyse extrêmement intéressante. Taubes affirmait que tout ce que j’avais toujours accepté au sujet de la science de la nutrition, supposément convenue, était en réalité nettement plus complexe et contesté que je n’aurais jamais pu l’imaginer.

Durant toute ma vie, les médias dominants m’avaient toujours informé que les plats gras présentaient un taux élevé d’un machin appelé cholestérol, qui faisait fortement monter les risques de crise cardiaque et d’AVC à qui en consommait, et faute d’entretenir le moindre intérêt ou expertise sur ces sujets, j’avais naturellement supposé que cela était exact. Mais Taubes venait expliquer de manière plutôt convaincante que cette conclusion était fondée sur des éléments scientifiques extrêmement fragiles, et pouvait s’avérer totalement fausse, et la montagne de la couverture médiatique soutenant cette conclusion était étayée par des preuves scientifiques plutôt douteuses de la taille d’un timbre poste. Le journaliste médical du Times qui a produit la critique de son ouvrage a souligné favorablement l’une de ses déclarations percutantes :

Depuis le lancement de l’hypothèse régime alimentaire – cœur au début des années 1950, les partisans de la thèse selon laquelle les graisses alimentaires provoquaient des maladies cardiaques ont accumulé l’équivalent d’une mythologie pour soutenir leur croyance. Ces mythes continuent d’être transmis avec foi jusqu’à ce jour.

Le même grave déséquilibre entre des éléments factuels minimalistes et les croyances largement répandues se présentait également sur le sujet du lien supposé entre la consommation de sel et la pression sanguine, les régimes alimentaires à base de fibres et le cancer du colon, et diverses autres pathologies. Mais la mythologie au sujet du régime alimentaire et l’obésité en constituait le pire exemple.

Selon la documentation établie par Taubes, entre les premiers jours de la science nutritionnelle du XIXème siècle, et durant des générations, on avait toujours très largement accepté que les régimes riches en hydrates de carbone comme les pâtes, le pain, les pommes de terre, et surtout le sucre, provoquaient l’accumulation de graisse pour qui en consommait, et que la meilleure manière de perdre du poids était de renoncer à en consommer. Pourtant, dans l’ère de l’après-guerre, des éléments scientifiques maigres ou mal interprétés ont convaincu des nutritionnistes étasuniens énergiques à développer une compréhension totalement différente de l’obésité, fondée sur l’hypothèse que les calories étaient fondamentalement interchangeables, et comme les nourritures à forte teneur en graisse présentaient un contenu calorique nettement plus dense que les hydrates de carbone ou les protéines, il convenait de les éviter pour perdre du poids. Comme Taubes l’évoque de manière évocatrice, leur argument revenait au dogme selon lequel l’obésité était provoquée par les deux pêchés traditionnels de la gourmandise — trop manger — et de la paresse — pratiquer trop peu d’exercice. Cela m’était toujours intuitivement apparu comme plausible, et j’avais accepté cette théorie comme vraie durant toute ma vie.

Mais Taubes affirme que cela ignorait totalement les faits endocrinologiques sous-jacents et que ceux-ci sont nettement plus complexes. Selon ses explications, les gens deviennent gros parce que leurs cellules de graisse prennent de plus en plus de place, en accumulant davantage de molécules de graisses qu’elles n’en libèrent pour le reste du corps, un processus qui est régulé par diverses hormones, avec l’insuline en première place. Lorsque les hydrates de carbone comme les féculents ou les sucres sont ingérés, de l’insuline est libérée dans le sang, ce qui amène les cellules de graisse à absorber les graisses au lieu de les libérer, cependant que le foie convertit le sucre en excès dans le sang en molécules de graisses pour qu’il soit ainsi stocké. Mais manger des nourritures grasses ou des protéines ne produit pas cet impact sur la libération d’insuline dans le sang, ce qui contribue à expliquer la sagesse populaire selon laquelle les hydrates de carbone font grossir.

La notion simpliste selon laquelle toutes les calories sont équivalentes vis-à-vis du contrôle du poids ne considèrent pas ces facteurs hormonaux centraux. Alors que la consommation de graisses ou de protéines apaise notre sensation de faim, la consommation d’hydrates de carbone et surtout de sucre stimule la libération d’insuline, qui peut de fait provoquer des sensations de faim, et amener à trop manger.

Voilà quels étaient les fondements scientifiques du régime éponyme promu par le Dr. Robert Atkins, dont l’énorme best-seller de 1972 a fait un homme très riche, tout en attirant le mépris quasiment universel de l’establishment médical étasunien. Le Régime Atkins et ses nombreuses variantes relativement semblables permettaient au sujet de manger des nourritures riches en graisses ou en protéines en grande quantité, voire sans limite, tout en limitant strictement la consommation d’hydrates de carbone, surtout de sucres. Durant des générations, ces notions constituèrent la sagesse conventionnelle parmi les nutritionnistes dominants, mais cette histoire scientifique avait tellement été expurgée que lorsqu’Arkins l’a redécouverte de manière empirique, ses opinions ont été traitées comme pure hérésie.

Certains des arguments exposés par Taubes me sont au départ apparus comme fortement contre-intuitifs, mais ils deviennent en réalité assez plausibles lorsqu’on les examine avec soin.

Il apparaissait par exemple quasiment comme un truisme que les gens deviennent gros parce qu’ils mangent trop et ne pratiquent pas assez d’exercice, mais Taubes affirme que la causalité pointe en réalité dans la direction opposée, et suggère que devenir gros est en réalité la cause de la surconsommation de nourriture et d’un manque d’exercice, et pas sa conséquence. Il explique que les humains deviennent gros lorsque leurs contrôles hormonaux défaillants provoquent la conversion de trop de sucre dissout dans le sang en graisse, absorbée par les cellules de graisse, qui ensuite ne parviennent pas correctement à les libérer. C’est le manque de combustible corporel qui en résulte qui provoquerait le réflexe de faim, et amènerait également le sujet à conserver son énergie en minimisant ses activités physiques.

Dans les instances les plus extrêmes, l’auteur indique que la thèse documentée — l’étude de sujets qui étaient d’évidence gros, tout en faisant montre dans le même temps de symptômes manifestes de faim, avec leurs tissus musculaires et d’autres organes se faisant désespérément cannibaliser pour le combustible que leur corps ne parvenait pas à extraire des tissus graisseux normalement disponibles pour cela. Il pourrait apparaître comme impossible qu’un sujet soit à la fois gros et émacié, mais ce type de pathologie existe bel et bien, et l’on peut élever spécialement des souches de rats de laboratoires à présenter ces traits en leur refusant de la nourriture en quantité suffisante.

Taubes avait manifestement investi beaucoup de temps à étudier l’histoire sanitaire scientifique et publique qui avait produit nos politiques en place, et un aspect surprenant de son récit réside dans le caractère fortuit qui semble avoir marqué de nombreux tournants décisifs en la matière.

Par exemple, au milieu des années 1970, le combat pour établir si le régime gras était gravement dommageable faisait rage depuis quelques décennies, et d’éminents experts universitaires en nutrition des deux bords gagnaient tour à tour du terrain, mais sans que cela fût jamais décisif. De fait, selon Taubes, une grande partie du soutien croissant pour l’hypothèse opposée aux graisses n’avait absolument rien à voir avec les recherches ou même les sujets sanitaires, mais était en partie portée par les préoccupations croissantes selon lesquelles la surpopulation allait mener le monde à la famine, sauf si les régimes alimentaires des pays développés passaient de la viande à des produits végétaux beaucoup plus faciles à produire, tout ceci s’étant déroulé avant que la Révolution Verte de l’agronome Norman Borlaug vienne balayer la menace de la famine mondiale. Ainsi, après que le régime étasunien traditionnel, riche en viande, est devenu « politiquement incorrect » pour des raisons géopolitiques totalement différentes, a émergé une tendance à conclure que ce régime était également malsain, alors même que les éléments soutenant cette thèse étaient tout à fait maigres et ambigus.

Taubes expose la journée qui a joué le rôle le plus important dans l’établissement de la politique nutritionnelle des États-Unis et entérinant le dogme opposé aux graisses. Un comité du Sénat sur la nutrition avait été établi en 1968 par le Sénateur George McGovern, dans le but d’éliminer la malnutrition provoquée par la pauvreté, et le vendredi 14 janvier 1977, il avait produit des directives nutritionnelles fédérales déclarant que les Étasuniens pouvaient améliorer leur santé en consommant moins de gras. L’auteur note que les membres du comité ayant convenu de cette décision étaient presque totalement ignorants du débat scientifique sous-jacent, et dans une longue note de bas de page, il évoque même la possibilité dérangeante qu’ils ont été amené à prendre cette décision par crainte que le comité fût rapidement dissout à moins de s’attirer de la publicité en produisant une déclaration publique spectaculaire.

Une fois adoptée cette position par le gouvernement, le verdict a naturellement influencé les recherches postérieures menées par des enquêteurs de la FDA ou par des universitaires dépendants des financements fédéraux, si bien qu’à certains égards, la doctrine anti-graisses est ainsi devenu une prophétie scientifique auto-réalisatrice. Et après qu’une génération de chercheurs ait investi leur carrière en mettant en avant le rôle néfaste des graisses dans l’alimentation, ils sont sans doute devenus très réticents à reconnaître par la suite qu’ils avaient pu se tromper.

Dans l’intervalle, des intérêts d’affaires s’étaient également lourdement engagés dans cette bataille nutritionnelle. Par exemple, les corporations de l’huile de maïs, désireuses d’étendre leurs parts de marché aux dépens des concurrents qui vendaient du beurre naturel, avaient déjà passé deux décennies a financer de la propagande de santé pour soutenir leurs efforts commerciaux.

Comme l’explique Taubes, une fois que la communauté médicale a fermement accepté la notion selon laquelle le cholestérol présent dans les nourritures grasses était responsable de risques de santé très graves comme les crises cardiaques et les AVC, cette croyance a automatiquement eu des impacts sur d’autres sujets de contrôle du poids. Même s’il semblait exister des éléments empiriques puissants indiquant qu’un régime riche en graisses constituait un moyen bien plus efficace de contrôler son poids ou d’en perdre par rapport aux régimes « sains » à faible teneur en graisses et élevés en hydrates de carbones habituellement prescrits, les professionnels de santé continuaient de considérer les nourritures riches en graisses comme très dommageables, si bien qu’ils ont inventé diverses excuses pour éviter de soutenir cette approche. Les macronutriments sont soit des graisses, soit des protéines, soit des hydrates de carbone, et à partir du moment où l’on estimait largement que la première catégorie était dommageable, les hydrates de carbone devenaient nécessairement l’un des remplacements majeurs.

À la lecture du récit fascinant produit par Taubes sur ces développements historiques, j’ai compris que bien que les preuves scientifiques aient occasionnellement joué un certain rôle pour influencer le débat de santé publique sur la nutrition, leur impact restait le plus souvent englouti par des facteurs totalement différents. Peut-être les universitaires soutenant l’une des positions étaient-ils plus déterminés ou plus énergiques que leurs rivaux de l’autre bord ; peut-être les corporations vendant des produits riches en hydrates de carbone ont-elles engagé des cabinets de conseil en relations publiques plus efficaces que leurs rivales produisant des nourritures riches en graisse ; peut-être un membre du Congrès confus, ignorant et pressé a-t-il lu tel article dans un magazine et ignoré tel autre. Tels semblent être les facteurs qui ont principalement influencé la définition de notre politique nutritionnelle, et après que le gouvernement ait fini par la soutenir, il est devenu extrêmement difficile de déloger cette politique ou de la réviser, nonobstant ses racines potentiellement erronées.

L’ensemble du processus semblait assez comparable à la célèbre histoire du choix du clavier QWERTY pour les machines à écrire, au XIXème siècle, qui malgré ses énormes inefficacités ergonomiques est resté le standard de tous les claviers durant les 150 années qui ont suivi, jusqu’à ceux que l’on trouve sur les iPhones contemporains.

Cela ne constitue pas une preuve, mais les tendances sanitaires des États-Unis du dernier demi siècle semblent soutenir les arguments nutritionnistes avancés par Taubes.

Ce n’est que dans les années 1970 que le gouvernement des États-Unis a estampillé officiellement et avec vigueur son approbation sur le remplacement des nourritures riches en graisses par des hydrates de carbone dans nos régimes, en favorisant surtout ceux relevant de la catégorie « nourriture saine » comme les mueslis, fruits, et les pains complets. On s’est clairement éloigné du bacon, de la saucisse et du beurre pour passer au yaourt, aux jus de fruits et l’on s’est mis à privilégier les pièces de viande maigre par rapport aux viandes grasses. Dans le même temps, de plus en plus d’Étasuniens se sont mis à pratiquer des exercices quotidiens, comme le jogging ou les exercices de gymnastique, des activités inconnues par le passé voire considérées comme néfastes. Cette combinaison de nourriture moins grasse et d’augmentation des exercices réguliers aurait donc dû être suivie par des changements très remarquables dans le poids et les problèmes de santé des Étasuniens. Et de fait, des changements remarquables ont été observés, mais dans l’autre direction de celle prédite par le cadre nutritionnel promu par le gouvernement et les médias.

L’obésité avait toujours constitué un problème très mineur dans la société étasunienne, mais voici qu’elle explosait subitement. La fraction obèse de la population des États-Unis était restée relativement stable, établie à une personne sur huit ou neuf, mais durant les trente années qui ont suivi, voici qu’elle s’élevait désormais à plus d’une personne sur trois. Dans le même temps, le nombre d’Étasuniens affectés de diabète montait encore plus rapidement, avec un accroissement de presque 300%.

La considérable taille et le lourd centrage historique et scientifique caractérisant le livre de Taubes ont peut-être été nécessaires pour persuader des médecins et des chercheurs en nutrition de revenir sur leurs hypothèses de longue date, mais ces mêmes facteurs ont évidemment limité son impact populaire.


Aussi, en 2010, l’auteur s’est appuyé sur un vaste corps d’informations qu’il a accumulées pour publier Why We Get Fat, une discussion nettement plus courte et moins technique portant sur ces sujets, réduisant à un tiers le volume du livre et présenté suivant un style plus familier et engagé, en vue de le rendre nettement plus accessible à une vaste audience nationale. De fait, le très favorable critique du Times a même décrit le nouveau livre comme une version quasiment « condensée » du volume précédent, et il est également monté au rang de best-seller national.

L’un des points très sensés soulevés par Taubes est que des nourritures qui sont entrées assez récemment dans le régime humain ont la plus grande probabilité de provoquer des problèmes de santé, du fait que la pression de la sélection de l’évolution n’aurait pas eu le temps de modifier nos processus digestifs et autres systèmes biologiques pour s’en accommoder de manière satisfaisante. Mais l’auteur affirme que cette considération peut s’appliquer à quasiment tous les hydrates de carbone que nous consommons — le plus gros de notre nourriture de base — étant donné que leur adoption à grande échelle comme denrée de base n’a commencé qu’avec la Révolution Agricole qui s’est produite à peu près 10.000 ans avant J-C. Avant ce changement de mode de vie, notre régime alimentaire était probablement très orienté vers les graisses et les protéines des chasseurs-cueilleurs. Taubes a noté les énormes problèmes de santé subis par les membres de la tribu Pima, en Arizona, lorsqu’ils ont soudainement changé de régime alimentaire en passant massivement aux hydrates de carbone.

Douze millénaires constitue évidemment une durée relativement longue pour qu’une pression sélective forte ait pu se faire sentir, et repousse considérablement toute vulnérabilité métabolique de ce type. Mais si les conséquences négatives pour la santé de l’ingestion de trop d’hydrates de carbone étaient graduelles, et se présentaient à partir d’un certain âge — ou étaient même largement absentes au sein de tout groupe ne disposant pas d’une surabondance alimentaire — elles pourraient être restées non apparentes, et donc laisser les humains modernes relativement vulnérables. Les risques pour la santé de la surconsommation d’hydrates de carbone pourraient donc avoir perduré dans notre génome, et ne s’être manifestés qu’au cours des deux derniers siècles environ lorsqu’une partie des populations humaines a subitement eu accès à une quantité quotidienne pratiquement illimitée de produits à base d’hydrate de carbone.

Mais ces préoccupations générales concernant les hydrates de carbone sont très fortement amplifiées dans le cas du sucre, qui n’est que très récemment entré massivement dans notre régime alimentaire. Bien que le sucre soit connu depuis des milliers d’années, il n’était par le passé, jusqu’à il y a quelques siècles avec la création de grandes plantations sucrières sous les tropiques, disponible que pour les plus riches et en quantités très limitées, et on le considérait souvent comme un composé médicinal voire presque magique, doté de puissantes propriétés. Aussi, il ne serait guère surprenant que le système digestif ainsi que le métabolisme du corps humain aient des difficultés à traiter le sucre dans les grandes quantités que nous consommons, et Taubes a produit un grand nombre d’éléments scientifiques qui étayent cette possibilité préoccupante.

Taubes a discuté de ces préoccupations au sujet du sucre dans ses deux livres, mais un an après la publication du second, il a publié un article majeur dans Times, totalement consacré à ce sujet, sous un titre explosif.

Le sucre est-il toxique ?
Gary Taubes • The New York Times Sunday Magazine • 13 avril 2011 • 6,500 mots


Au cours des quelques siècles passés, le sucre est devenu l’un des composants les plus omniprésents de notre régime alimentaire ordinaire, et on le trouve en grandes quantités dans une énorme gamme de produits, allant des cookies aux boissons sportives, en passant par le ketchup, et la notion qu’il puisse en réalité être une toxine dommageable pour l’humain apparaît comme une sorte de « théorie du complot » nutritionniste, du genre de celles que l’on ne trouve que dans des coins isolés de l’Internet, et incantées par des excentriques paranoïaques obsédés par le sujet de la santé. Pourtant, cette thèse a bel et bien été énoncée par l’un de nos auteurs scientifiques les plus distingués, dans un long article paru en première page du New York Times Sunday Magazine, et il a ensuite développé cette thèse en un livre très documenté de 350 pages, The Case Against Sugar, également publié par Knopf en 2017.

Pour preuve de mon ignorance de longue date en matière nutritionnelle, j’avais oublié depuis longtemps que le saccharose — le sucre de table ordinaire — est en réalité constitué de molécules appairées de glucose —- le sucre trouvé fondamentalement dans le sang — et de fructose, un type de sucre bien plus doux, que l’on trouve dans les fruits. De la salive de notre bouche aux enzymes présents dans notre intestin grêle, notre corps brise rapidement les amidons et autres hydrates de carbone pour les transformer en glucose, la molécule que brûlent nos cellules pour obtenir de l’énergie. Mais le fructose s’apparente à une catégorie totalement différente, et il n’est métabolisable que par le foie. Taubes souligne que contraindre cet organe à traiter de trop grandes quantités de fructose peut produire des dégâts à long terme dans les tissus de cet organe, tout comme boire trop d’alcool peut découler sur une cirrhose du foie.

Il affirme en outre que les dégâts provoqués au foie par ce traitement du fructose peut découler sur une montée de la résistance à l’insuline, dont il suggère que cela peut constituer le facteur majeur de l’obésité et du diabète. L’ingestion de grandes quantités de sucre produit donc sans doute un impact sur l’obésité nettement plus important que les simples calories supplémentaires ainsi apportées. Il avance même l’hypothèse que la surproduction d’insuline qui en résulte peut faire croître les risques de cancer, une maladie souvent associée à l’obésité et au diabète.

Lorsque les préoccupations de l’opinion publique, au cours des années 1970, concernant les fortes quantités de sucre contenues dans nos boissons et autres aliments, l’industrie a réagi à ces pressions en remplaçant ce sucre ordinaire par du sirop de maïs à haute teneur en fructose, un composé supposément naturel qui apparaissait comme relativement anodin, présentait la même douceur au goût, et disposait de l’avantage supplémentaire d’être encore moins cher à produire. Pourtant, chose ironique, le sirop de maïs à haute teneur en fructose contient en réalité environ 55% de fructose et 45% de glucose, et cette substitution a donc pu être encore plus dommageable pour le foie et d’autres organes internes. Et, peut-être par le fruit d’une coïncidence, les courbes en montée lente de l’obésité et du diabète ont connu un nouveau point d’inflexion peu de temps après, et se sont mises à monter plus rapidement.

Un autre point soulevé par Taubes réside en partie sur une définition. Au cours de quelques derniers siècles, de nouvelles « drogues alimentaires » de diverses natures ont été largement mises à disposition de la population mondiale pour la première fois, comme le café, le thé et le cacao, des produits généralement produits dans de vastes plantations, et qui ont eu un impact important sur le style de vie des personnes, à l’instar des pures drogues comme le tabac, l’opium ou la cocaïne. Les plantations de sucre sont apparues à peu près dans le même temps, et l’auteur pose la question très intéressante de savoir si le sucre devrait en réalité être considéré comme une drogue alimentaire d’un type semblable, peut-être modérément addictive, et présentant des effets collatéraux graves. Son opinion est que tel est bien le cas.

Il existe un point supplémentaire que je ne me souviens pas avoir trouvé évoqué dans l’un ou l’autre des livres de Taubes. On a longtemps pensé que la manière la plus simple d’améliorer le goût d’un plat était d’y ajouter des graisses, et certaines études scientifiques ont soutenu cette idée, qui est très sensée au vu de l’histoire de l’évolution humaine. Mais comme nos standards nutritionnels récents ont écarté l’ajout de cet additif supposément dangereux, les entreprises de production alimentaire ont sans doute été contraintes de trouver d’autres options, et l’ajout de sucres supplémentaires est possiblement le substitut qu’elles ont adopté.


Bien qu’il puise largement dans les analyses produites dans ses livres et article précédents, The Case for Keto, publié en 2020, s’intéresse directement aux bénéfices pour la santé d’un régime riche en graisses et faible en hydrates de carbone, et a été soutenu par de nombreux professeurs de médecine et nutritionnistes.

Durant la récente épidémie de Covid, on a largement reconnu que l’obésité constituait un facteur majeur contribuant à la mortalité d’une infection au Covid, et j’ai publié un article notant que sur une base internationale, il semblait exister un lien très avéré entre les taux nationaux d’obésité et les taux de surmortalité au sein de la population active. En soutien de ce point, j’ai intégré un tableau qui compare les deux résultats sur une dizaine de pays développés dont les statistiques étaient disponibles sur le site Human Mortality Database, listées par pourcentages d’obésité décroissants.

Pays Taux d’obésité % Taux de mortalité de la population active, 2020-2022
États-Unis 36 Très élevé
Nouvelle Zélande 31 élevé
Australie 29 Élevé
Canada 29 Très élevé
Chili 28 Très élevé
Angleterre 28 Très élevé
Écosse 28 Très élevé
Hongrie 26 Faible
Israël 26 Élevé
Lituanie 26 Faible
Bulgarie 25 Élevé
Grèce 25 Élevé
Croatie 24 Faible
Lettonie 24 Faible
Espagne 24 Élevé
Luxembourg 23 Nul
Norvège 23 Très faible
Pologne 23 Faible
Belgique 22 Faible
Finlande 22 Très faible
France 22 Très faible
Allemagne 22 Nul
Islande 22 Élevé
Estonie 21 Faible
Portugal 21 Nul
Suède 21 Très faible
Autriche 20 Nul
Danemark 20 Très faible
Italie 20 Nul
Hollande 20 Faible
Slovaquie 20 Nul
Slovénie 20 Très faible
Suisse 19 Faible
Corée du Sud 5 Faible

La corrélation est certes loin d’être parfaite, mais il semble bien exister une forte relation entre les taux d’obésité des pays et leurs taux de mortalité relatifs pour la période 2020-2022. Tous les pays présentant les taux d’obésité les plus élevés ont eu des taux de mortalité élevés ou très élevés, alors que les pays présentant de faibles taux d’obésité avaient dans l’ensemble de faibles ou très faibles taux de mortalité.

J’ai également noté que sur une base quantitative, la comparaison entre pays des chiffres nationaux d’obésité aux pourcentages de surmortalité de la population active soulevait des corrélations modérément élevés :

Période de temps Corrélation Obésité/Mortalité
2020 0.53
2021 0.55
2022 0.45
2020-2022 0.56

L’obésité et fin du débat sur la vaccination ?
Ron Unz • The Unz Review • 9 janvier 2023 • 2,800 mots

Les taux de surmortalité dus au Covid aux États-Unis figuraient parmi les plus élevés du monde, exactement comme on pouvait s’y attendre au vu de la position de ce pays au plus haut des relevés d’obésité mondiaux.

Mais alors que j’avais analysé cet important sujet de santé publique, j’ai été très surpris de découvrir que parmi tous ces pays développés, les taux d’obésité nationaux les plus élevés marquaient non seulement les États-Unis, mais aussi les autres nations anglophones comme l’Angleterre, l’Écosse, le Canada, l’Australie et la Nouvelle Zélande, qui pris ensemble monopolisaient six des sept places les plus hautes du classement. Et si Taubes a raison et que le gouvernement ainsi que les médias étasuniens ont passé le demi siècle dernier à promouvoir les politique nutritionnistes totalement fausses qui sont les principales responsables de l’épidémie étasunienne d’obésité, il ferait sens que ce phénomène ait présenté l’impact le plus marqué sur les autres sociétés anglophones les plus influencées par la culture étasunienne.

Selon les estimations du Centers for Disease Control, plus de 100 millions d’Étasuniens souffrent actuellement de l’obésité, dont presque 15 millions d’adolescents et d’enfants, ce qui provoque des dépenses médicales annuelles de plus de 250 milliards de dollars, alors qu’environ 74% des adultes étasuniens sont en surpoids. L’obésité constitue un facteur central pour le diabète, et presque 40 millions d’Étasuniens souffrent de cette pathologie, avec 115 millions d’autres en situation de pré-diabète.

Ces nombres sont absolument énormes, et présentent des conséquences sanitaires énormes même si la menace du virus du Covid a en grande partie disparu. Le diabète se classe comme huitième cause de décès aux États-Unis, où il tue plus de 100 000 personnes par an, tout en constituant un facteur qui contribue à la mort de 300 000 autres personnes. Dans le même temps, une étude a indiqué l’an dernier que l’obésité faisait substantiellement augmenter le risque de décès, par un facteur de potentiellement 91%, et avec des dizaines de millions d’Étasuniens souffrant de ce problème, l’impact sur la mortalité est évidemment colossal. En contraste, le total combiné de tous les décès par overdose de drogues est légèrement supérieur à 100 000.

Donc, si Taubes a raison et que le sucre constitue le facteur principal derrière cette énorme épidémie d’obésité et de diabète, les nombres de morts produits par le sucre dépassent de loin ceux de toute drogue, prescrite ou interdite, et très probablement ceux de toutes les drogues combinées. Taubes avance même que le sucre peut avoir tué un nombre d’Étasuniens très supérieur à ceux morts à cause de la tabagie. Donc, si l’on veut évoquer l’impact dangereux des opioïdes ou de la cocaïne, la drogue de « poudre blanche » la plus mortelle de toutes est sans doute celle que nous consommons dans nos barres Snickers ou que nous buvons dans nos canettes de Coca-Cola.

Les politiques de santé publique des grandes sociétés opèrent à l’instar d’un immense paquebot, dont la trajectoire ne peut être infléchie qu’avec le temps. Je pense que Gary Taubes a produit une thèse solide, établissant qu’il y a environ un demi-siècle, les politiques nationales des États-Unis ont été positionnées exactement dans la mauvaise direction, ce qui a fini par produire des problèmes de santé extrêmement graves, auxquels se retrouve confrontée une grande partie de la population du pays.

Taubes est un journaliste scientifique très réputé, et durant plus de deux décennies, il a fermement promu ses opinions peu orthodoxes sur ces sujets nutritionnels, publiant plusieurs best-sellers nationaux avec l’appui d’une des maisons d’édition les plus influentes du pays, ainsi que plusieurs articles très lus dans le New York Times, le plus influent journal du pays. Au vu de ce long effort majeur visant à modifier l’orthodoxie nutritionnelle établie en synthétisant et en publiant une quantité énorme de recherches importantes sur le rôle des graisses, des hydrates de carbone et des sucres, je pense qu’il serait juste de qualifier son ensemble d’opinions alternatives sur ce sujet d’Hypothèse Taubes. Mais je m’interroge vraiment sur la mesure de l’impact de ses travaux sur le public, au moins sur la base de mon propre éveil sur ces sujets.

Ayant méticuleusement lu les journaux et suivi les médias, mais sans avoir jamais porté une grande attention aux sujets de nutrition, j’étais devenu vaguement conscient de critiques en augmentation sur le fait que notre régime national contenait trop de sucre et de sirop de maïs à haute teneur en fructose, mais je n’avais vraiment su s’il fallait prendre ces critiques au sérieux. Dans le même temps, au cours des quelque vingt dernières années, je ne me souviens pas avoir vu d’articles dans des organes médiatiques prestigieux promulguant un régime à haute teneur en graisses pour des raisons de santé personnelle, et avant que je lise il y a peu les livres écrits par Taubes, j’aurais rejeté toute suggestion de ce type comme totalement excentrique. En outre, durant la même période de temps, j’ai remarqué une augmentation apparente de l’obésité et même de l’obésité extrême dans la ville où j’habite, Palo Alto, qui était par le passé restée apparemment immune vis-à-vis de ce problème. Aussi, malgré les efforts considérables menés par Taubes et ses alliés médiatiques, je pense que leurs vingt années d’efforts auront au mieux produit un impact modéré sur la situation.

Au vu de l’augmentation massive et sans précédent constatée aux États-Unis de l’obésité, du diabète et d’autres problèmes de santé liés, je pense que nous sommes confrontés à la possibilité très réelle qu’un demi siècle de politiques nutritionnelles officiellement soutenues par les États-Unis ont non seulement pu être incorrectes, mais totalement à l’envers et orientées dans le mauvais sens, ce qui a amené à de graves problèmes de santé pour quelque chose comme cent millions d’Étasuniens, et des millions de ces personnes ont probablement subi et vont probablement subir un décès prématuré à cause de cela. Il ne s’agit pas d’une notion très facile à accepter, et cela soulève certainement de graves questions sur les compétences fondamentales et sur l’objectivité de nos scientifiques universitaires et de nos chercheurs sur ces sujets de santé publique.

À la lecture des livres de Taubes, j’ai eu le fort sentiment que ces mêmes pensées exactes ont souvent dû lui traverser l’esprit, alors qu’il s’appliquait à expliquer comment une politique de santé gigantesque, étalée sur des décennies, a pu impacter un milliard de personnes dans le monde entier, alors qu’elle était formulée sur des éléments scientifiques très faibles et très peu solides. Le diplôme fondamental décroché par Taubes à Harvard est un diplôme de physique appliquée, et son frère occupe actuellement une chaire de mathématiques au sein de cette même université d’élite, et ses deux premiers ouvrages avaient traité de sujets de physique, parmi lesquels les recherches couronnées de succès d’un Lauréat du prix Nobel. Je soupçonne donc que l’absence de compétences qu’il a découverte en matière de santé publique et de nutrition ont dû le consterner au plus haut degré.

Ron Unz

Traduit par José Martí, relu par Wayan, pour le Saker Francophone

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