La victoire électorale de Donald Trump aux élections du 5 novembre est perçue au Moyen-Orient avec une anxiété croissante, présageant que les États-Unis s’aligneront à cent pour cent avec le projet sioniste de Grand Israël.
Bien que Trump ait empêché les bruyants néoconservateurs d’accéder à des positions gouvernementales, on ne peut pas en dire autant des personnalités pro-sionistes. Le Premier ministre Benjamin Netanyahu affirme qu’il a déjà parlé trois fois avec Trump depuis l’élection et qu’ils « sont d’accord sur la menace iranienne et toutes ses composantes.”
Les ”composantes » sous-entendent que Netanyahu espère obtenir un chèque en blanc de Trump pour accélérer le nettoyage ethnique à Gaza, annexer de la Cisjordanie, lancer des représailles violentes contre les Palestiniens et, plus important encore, porter la guerre directement sur le territoire iranien.
Trois événements en trois jours cette semaine montrent les premiers signes du contrecoup qui se prépare. Lundi, le porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères, Esmaeil Baqaei, a donné la première réaction officielle de Téhéran à la victoire électorale de Trump. Baqaei a adopté une ligne nuancée en disant: “Ce qui compte pour nous dans cette région, c’est le comportement et les politiques réels des États-Unis à l’égard de l’Iran et du Moyen-Orient au sens large.”
Baqaei a notamment exprimé “un optimisme prudent quant au fait que la nouvelle administration [Trump] pourrait adopter une approche plus axée sur la paix, réduire les hostilités régionales et respecter ses engagements. »(Tehran Times) Baqaei a également réfuté la récente allégation de Washington selon laquelle l’Iran était impliqué dans des complots visant à assassiner Trump. Il a qualifié l’allégation de l’administration Biden de “rien de plus qu’une tentative de saboter les relations” entre Téhéran et Washington en “posant des pièges pour compliquer le chemin de la prochaine administration.”
Baqaei a également assuré à la nouvelle administration américaine que Téhéran adhérait fermement à un programme nucléaire à des fins pacifiques. Il a annoncé que Rafael Grossi, chef de l’Énergie atomique internationale (AIEA) devait arriver à Téhéran mercredi soir.
Pris ensemble, les remarques de Baqaei suggèrent que l’Iran espère qu’il y ait encore un espoir possible au sujet de la relation entre Trump et Netanyahu. L’élément décisif ici est la remarque que Trump a glissée, avec une grande délibération, dans son discours de victoire du 6 novembre : “Je ne vais pas déclencher de guerre. Je vais arrêter les guerres.”
Trump a déclaré publiquement pendant sa campagne électorale que “Je ne veux pas nuire à l’Iran, mais ils ne doivent pas avoir d’armes nucléaires. » Les consultations entre Téhéran et Grossi répondent à l’inquiétude de Trump. C’est une action intelligente. La position non provocatrice de l’Iran signifie qu’il n’y aura aucun alibi pour attaquer l’Iran.
Cela dit, cependant, “l’inconnu connu » demeure toujours, à savoir les représailles de l’Iran pour l’attaque israélienne du 26 octobre. Le 2 novembre, le Guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, dans une vidéo diffusée par les médias d’État iraniens, a promis “une réponse écrasante » à l’attaque israélienne. En théorie, la période jusqu’au 20 janvier où Trump prêtera serment va être critique.
Pendant ce temps, cette semaine, l’Iran et l’Arabie saoudite ont donné de la teneur à leur détente, qui se manifeste maintenant par la solidarité de Riyad et son soutien ouvert à l’Iran dans sa confrontation croissante avec Israël.
En pleines tensions croissantes dans la région, le chef d’état-major des forces armées saoudiennes, Fayyad al-Ruwaili, s’est rendu à Téhéran le 10 novembre et a rencontré son homologue iranien, le général Mohammad Bagheri. Le président iranien Masoud Pezeshkian s’est entretenu au téléphone avec le Prince héritier saoudien Mohammed bin Salman dans le cadre d’un sommet organisé par l’Organisation de la Coopération islamique (OCI) et la Ligue arabe, à Riyad les 11 et 12 novembre. L’Iran a invité MbS à se rendre à Téhéran !
Deux faits saillants extrêmement importants du sommet de Riyad ont été, tout d’abord, le discours inaugural du prince saoudien dans lequel il a mis en garde Israël contre le fait de frapper l’Iran. Cela a marqué un tournant historique de Riyad dans le conflit entre Téhéran et Israël, loin de la normalisation entre l’Arabie Saoudite et Israël, voulue par les États-Unis.
MbS a déclaré au sommet que la communauté internationale devrait obliger Israël “à respecter la souveraineté de la République islamique sœur d’Iran et ne pas violer ses terres.”
Encore une fois, l’Arabie saoudite a accusé Israël pour la première fois d’avoir commis un “génocide” à Gaza. MbS a déclaré aux dirigeants réunis à Riyad que le royaume renouvelait « sa condamnation et son rejet catégorique du génocide commis par Israël contre le peuple palestinien frère…”
Trump a été averti qu’il allait trouver un paysage géopolitique radicalement différent au Moyen-Orient par rapport à son premier mandat de président. L’équipe de transition de Trump garde ses cartes couvertes, offrant au rapport quotidien de la sécurité nationale une déclaration standard selon laquelle Trump prendra “les mesures nécessaires” pour “diriger notre pays” et “rétablir la paix par la force. » Mais les sonnettes d’alarme sifflent.
Les principaux piliers de la stratégie de “pression maximale” de Trump contre Téhéran — isoler l’Iran et augmenter la pression économique tout en maintenant une menace crédible de force militaire comme moyen de dissuasion — sont devenus bancals.
D’un autre côté, l’attaque massive de missiles balistiques iraniens contre Israël le 1er octobre et l’échec colossal de la frappe aérienne israélienne contre l’Iran vingt-six jours plus tard ont transmis un message fort dans tout le Moyen-Orient qu’Israël n’est plus la puissance militaire dominante qu’il était — et qu’il y a un nouveau shérif dans la ville. Trump devra naviguer dans ces retombées avec un capital diplomatique et géopolitique américain réduit à sa disposition.
Pendant ce temps, Téhéran approfondit également sa coopération avec la Russie, ce qui ajoute une nouvelle complexité géante, de la taille de l’Ukraine, à la politique iranienne de Trump. Alors qu’en Eurasie, les États-Unis ont des alliés, Trump navigue à peu près seul au Moyen-Orient.
L’isolement des États-Unis est visible de façon spectaculaire par l’annonce du président Recep Tayyip Erdogan mercredi que la Turquie, un pays membre de l’OTAN, a rompu tous ses liens avec Israël. Erdogan l’a révélé aux journalistes à bord de son avion après s’être rendu en Arabie saoudite. Une tendance régionale à ostraciser Israël est visible maintenant et elle est destinée à s’étendre et à s’approfondir.
Le sommet de Riyad a vu l’Union africaine se joindre à la Ligue arabe et à l’OCI pour signer mardi un accord tripartite visant à établir un mécanisme de soutien à la cause palestinienne, qui sera coordonné par les secrétariats des trois organisations pour changer la donne afin de renforcer leur influence dans les forums internationaux. Le ministre saoudien des Affaires étrangères, le prince Faisal bin Farhan, a noté que les trois organisations allaient désormais parler d’une seule voix au niveau international.
Alors même que le sommet se terminait à Riyad, le prince héritier Salman a eu une conversation téléphonique mercredi avec le président russe Vladimir Poutine. Le compte-rendu du Kremlin déclare que les deux dirigeants “ont réaffirmé leur engagement à poursuivre l’expansion constante” des liens russo-saoudiens et en particulier “ont souligné l’importance de poursuivre une coordination étroite au sein de l’OPEP Plus et ont déclaré l’efficacité et la rapidité des mesures prises dans ce format pour assurer l’équilibre sur le marché mondial de l’énergie.”
Sur le conflit israélo-palestinien, le compte-rendu du Kremlin note avec satisfaction que “les approches de principe de la Russie et de l’Arabie saoudite en ce qui concerne le règlement du Moyen-Orient sont quasiment identiques.”
L’initiative de MbS de revigorer sa conversation avec Poutine ne peut être vue que dans le contexte des profondes réticences à Riyad concernant la bromance Trump-Netanyahu et le spectre d’une possible guerre régionale hantant la région, à cause d’Israël qui tire ses encouragements du soutien continu des États-Unis pour la cause sioniste au cours des 4 prochaines années.
M.K. Bhadrakumar
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