29 septembre 2024

La nicotine...

Le tabagisme est un fléau pour la santé, responsable d’environ 75.000 décès chaque année en France chaque année. Il augmente fortement les risques de cancers et de maladies cardiovasculaires.

Paradoxalement, cette habitude aurait aussi un rôle protecteur contre certaines affections via la nicotine contenue dans le tabac.

Pas question pour autant de se mettre à fumer, la balance bénéfices/risques restant totalement défavorable. Pour profiter des bienfaits de la nicotinothérapie sans les dangers du tabagisme, l’usage de la cigarette électronique apparaît être une piste intéressante. Découvrons dans quelles situations. 

Quels sont les bienfaits de la nicotine sur le cerveau ?

La nicotine présente dans la fumée de cigarettes se lie avec certains récepteurs localisés dans le cerveau, les récepteurs cholinergiques nicotiniques. Elle ressemble en effet à un messager chimique utilisé pour la communication entre les cellules nerveuses, l’acétylcholine, impliqué dans de nombreux processus cérébraux. 

Elle peut ainsi stimuler les fonctions intellectuelles. Une analyse de 41 essai cliniques a conclu que l’administration de nicotine chez des personnes en bonne santé améliore les compétences motrices, l’attention et la mémoire.

Elle exerce en outre un effet neuroprotecteur et pourrait ainsi être utilisée comme arme thérapeutique dans le cadre de certaines maladies neurologiques et troubles psychiques.

Maladie de Parkinson

L’intérêt thérapeutique de la nicotine est le mieux étudié pour la maladie de Parkinson, une affection neurodégénérative caractérisée par la destruction de certaines neurones (les neurones dopaminergiques) dans une région contrôlant les mouvements. Elle entraîne ainsi principalement des troubles moteurs (mouvements lents, tremblements, difficultés à marcher…). 

De nombreuses études menées auprès d’échantillons de la population ont montré que les fumeurs ont un risque moins important de développer la maladie de Parkinson par rapport aux non-fumeurs. Il en va de même pour les personnes qui consomment du tabac non-fumé comme le snus (un tabac qui se suce).

Le snus est un tabac qui se suce et qui apporte de la nicotine à l’organisme

Des études chez l’animal ont montré que l’administration de nicotine est en mesure de freiner la destruction des neurones. Des études ont également été menées chez l’homme, au cours desquelles la nicotine est administrée sous forme de patchs. Pour être efficace, de fortes doses sont nécessaires, sur une durée prolongée. Une étude menée à Hôpital Henri Mondor de Créteil a montré des bénéfices associés à ce type de thérapie : le traitement a atténué les symptômes moteurs qui se manifestent chez les patients et réduit leur besoin en médicament dopaminergiques.

Certains spécialistes considèrent cependant que ce mode d’administration n’est pas le mieux adapté, car il est moins efficace pour activer les récepteurs nicotiniques que l’inhalation de fumée de cigarettes. Ils préconisent plutôt d’utiliser de la nicotine par voie inhalée, ce que permet la cigarette électronique ou l’usage de sprays instillés dans le nez.

Maladie d’Alzheimer

La nicotine pourrait également exercer des bénéfices en cas de maladie d’Alzheimer. Des chercheurs de l’Institut Pasteur ont montré que les souris conçues pour développer l’affection qui portent des récepteurs nicotiniques inactifs sont préservées des pertes de mémoire caractéristiques de la maladie. Et pour cause : l’étude de leur cerveau révèle qu’elles présentent 80 % de plaques amyloïdes en moins que leurs congénères, ces structures qui s’accumulent de façon anormale dans le cadre de cette pathologie. 

Chez les fumeurs, la nicotine sature ces récepteurs et empêcherait les peptides amyloïdes à l’origine de ces plaques de s’y fixer, un potentiel rôle préventif qui est à confirmer chez l’homme.

Sclérose en plaque

Les fumeurs ont un risque accru de développer la sclérose en plaque et de voir la maladie progresser plus rapidement. Contrairement à ceux-ci, les consommateurs de snuff (tabac à priser) ont un risque réduit de 17 % de développer la maladie, ce qui tend à innocenter la nicotine, ingérée en grande quantité à cette occasion.

En étudiant la maladie chez un animal modèle, des chercheurs américains ont découvert que :

  • la nicotine améliore les symptômes de la maladie : elle lutte contre la perte de la gaine de myéline qui protège les fibres nerveuses, et permet une augmentation du poids corporel des animaux. De plus, elle prévient les épisodes d’exacerbation de la maladie quand elle est administrée après son apparition.
  • La partie non-nicotinique de la cigarette accélère et augmente les symptômes de la maladie dans les stages précoces. L’acroléine en particulier serait responsable de cet effet délétère. 

Chez le même modèle animal, une équipe américaine a montré que l’administration de nicotine retarde l’apparition de la maladie et a également constaté cette diminution de sa sévérité.

Schizophrénie

La schizophrénie est associée à une altération des processus d’attention, qui impliquent les récepteurs nicotiniques de l’acétylcholine. Les activer grâce à l’administration de nicotine peut donc bénéficier aux malades.

Des chercheurs américains ont comparé les effets d’un patch dosé à 14 mg de nicotine et d’un patch placebo chez 28 patients atteints de schizophrénie et 32 personnes en bonne santé mentale, tous non-fumeurs pour ne pas fausser les résultats. Trois heures après l’application du patch, les participants ont été soumis à des tests évaluant leurs performances cognitives en matière d’attention. Elle s’est améliorée chez l’ensemble de ceux-ci grâce à la nicotine ; les patients schizophrènes ont retiré des bénéfices supplémentaires, parvenant à mieux contrôler leurs réponses impulsives. 

Chez un modèle animal d’étude de la maladie, une équipe composée en partie de chercheurs de l’Institut Pasteur a montré que la nicotine se fixe aux interneurones (des neurones qui connectent d’autres neurones) et améliore le fonctionnement du cortex préfrontal, une région du cerveau impliquée dans le raisonnement, le langage et certains processus de mémorisation.

De nombreux patients atteints de schizophrénie sont des gros fumeurs, serait-ce là un moyen de pratiquer la nicotinothérapie pour stimuler leurs fonctions cérébrales ?

Syndrome de Gilles de la Tourette et TDAH

Les bénéfices de l’administration de nicotine ont également été mis en évidence chez les personnes atteintes du syndrome de Gilles de la Tourette. 

Dans le cadre d’un essai clinique mené auprès de 70 patients souffrant de ce trouble, l’administration de nicotine par l’intermédiaire d’un patch en délivrant 7 mg par 24 h pendant 19 jours a permis de réduire les symptômes comportementaux associés à la maladie. Ces effets ont été constaté dans la période où les patients recevaient une dose optimale d’halopéridol, seulement la moitié et même durant une trêve de deux semaines. L’halopéridol est un neuroleptique utilisé pour apaiser les signes moteurs et les tics vocaux associés à la maladie.

Un autre essai clinique a montré que l’administration de nicotine sur deux semaines permet d’améliorer l’attention des patients, qui est déficitaire, et diminue les tics.

Par ailleurs, chez les adolescents et jeunes adultes affectés par un trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité, elle réduit l’impulsivité.

Autres bienfaits de la cigarette électronique

En dehors de la sphère psychique, la nicotine apportée par la cigarette électronique peut aussi s’avérer intéressante pour se protéger de l’infection au coronavirus, pour protéger ses articulations, diminuer le risque de certains cancers ou pour mincir.

La nicotine protège-t-elle contre la Covid-19 ?

Plusieurs études ont suggéré que le tabagisme pourrait exercer un effet préventif contre le SARS-Cov 2 responsable de la pandémie de Covid-19 qui frappe actuellement le monde.

Une équipe française ayant suivi près de 500 malades, hospitalisés ou non, a par exemple mis en évidence que parmi eux, seuls 5,3 % étaient des fumeurs quotidiens. Dans la population générale, ce chiffre est bien plus élevé et atteint 25,4 %. Autrement dit, les fumeurs sont sous-représentés parmi les personnes frappées par la Covid-19.

Comment l’expliquer ? Pour pénétrer dans les cellules, le SARS-Cov2 utilise un récepteur présent à leur surface, le récepteur ACE2. La nicotine serait en mesure de le moduler, contrariant ainsi les capacités d’infection du virus. 

Revers de la médaille, lorsque le virus parvient tout de même à contaminer un fumeur, l’évolution de la maladie est généralement plus sévère que chez les non-fumeurs. L’existence d’un effet rebond est avancé par certains spécialistes. Les fumeurs possèdent en effet une quantité accrue de récepteurs ACE2 ; laissés libres par le sevrage tabagique imposé à l’entrée à l’hôpital, l’infection aurait tout loisir de se développer.

Cette piste est prise très au sérieux : des études cliniques vont être conduites au sein de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris pour évaluer les effets de patchs de nicotine pour prévenir la maladie.

Moins de risque de se faire opérer du genou ou de la hanche grâce à la nicotine ?

La nicotine pourrait par ailleurs exercer un effet protecteur sur les articulations. Des chercheurs australiens se sont intéressés à l’impact du tabagisme sur la probabilité de subir une chirurgie des articulations, étudiant les données relatives à un groupe de 11 388 hommes. Parmi eux, 857 ont eu recours à ce type d’opération, consistant soit dans le remplacement complet de l’articulation du genou (59%), soit dans le remplacement de l’articulation de la hanche (41%), à cause d’une ostéoarthrite sévère.

Les chercheurs ont découvert que le tabagisme est associé à un risque réduit de subir ce type d’intervention. La protection était maximale pour ce qui avaient fumé le plus longtemps au cours de leur vie : les hommes ayant accumulé au moins 48 ans de tabagisme avaient un risque réduit de 51 % d’avoir recours à une opération du genou ou de la hanche par rapport à ceux qui n’avaient jamais fumé. 

Ce type d’étude ne permet pas à elle seule d’affirmer que le tabac est bien à l’origine de la protection des articulations, mais ce lien est probable. Les auteurs de l’étude mettent en avant certains mécanismes qui pourraient l’expliquer. Une étude en laboratoire a par exemple montré que la nicotine stimulent l’activité des cellules présentes au niveau des cartilages articulaires, les chondrocytes, promouvant la production des glycosaminoglycanes et du collagène qui les composent.

Une étude a d’ailleurs montré un lien entre la quantité de cigarettes fumées et le volume du cartilage du genou chez des personnes en bonne santé.

L’effet coupe faim de la nicotine bénéfique à la santé

Une partie des bénéfices de la nicotine sur la santé peut également s’expliquer par ses effets sur le métabolisme. Elle aide en effet à conserver un poids de forme en réduisant l’appétit en en augmentant la dépense d’énergie au repos. Les fumeurs sont ainsi en moyenne plus minces que les non-fumeurs et la plupart prennent du poids à l’arrêt du tabac.

Des chercheurs italiens ont mené une étude pour déterminer si l’usage de la cigarette électronique avec des recharges liquides contenant de la nicotine pouvait alléger cette prise de poids.

Ils ont suivi l’évolution de 86 personnes qui avaient troqué leurs cigarettes classiques contre la cigarette électronique et de 44 personnes qui avaient arrêté de fumer sans sans cette aide. Dans le groupe « cigarette électronique », les usagers étaient passés de 21 cigarettes classiques en moyenne à moins de 2 par jour. Un an après l’arrêt du tabac : 

  • les personnes n’ayant pas adopté la cigarette électronique avaient pris en moyenne 4,8 % de leur poids de départ ;
  • les personnes utilisant la cigarette électronique n’avaient pris que 1,5 % du poids de départ. 

La nicotine protège-t-elle du cancer de l’endomètre ?

Les fumeuses ont un risque réduit de cancer de l’endomètre, la muqueuse qui recouvre l’utérus, comme l’ont mis en évidence différentes études.

  • Des chercheurs chinois ont analysé 34 études et découvert que le fait de fumer 20 cigarettes par jour est associé à une réduction de 16 % à 27 % du risque de cancer selon le type d’études considérées. La réduction du risque concerne les femmes ménopausées, et est plus importante chez celles bénéficiant d’un traitement hormonal de substitution.
  • Une étude américaine a montré un réduction du risque de cancer de l’endomètre de 37 % chez les fumeuses et 27 % chez les anciennes fumeuses.

L’effet favorable du tabagisme passe notamment par une action au niveau hormonal. La nicotine provoque une augmentation du relargage d’hormone corticotrope (ACTH) par l’hypophyse, une glande située dans le cerveau. Elle stimule la production de progestérone et d’androgènes par les glandes surrénales. Ces hormones vont contrer les effets des œstrogènes sur la prolifération des cellules au sein des glandes utérines, ce qui protège contre l’apparition de ce cancer. La fumée de cigarette et la nicotine empêchent par ailleurs la prolifération des cellules situées à la surface de l’endomètre

La nicotine exerce ainsi certains effets bénéfiques, mais qui ne doivent pas faire oublier qu’elle peut également avoir un impact négatif sur l’organisme (nausées, augmentation de la fréquence cardiaque et respiratoire, troubles digestifs…). Les chercheurs travaillent sur la mise au point de produits analogues, qui présenteraient ses avantages sans ses inconvénients pour sécuriser son usage. 


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