Même les commentateurs les plus modérés, comme l’est Andrew Korybko, admettent qu’il s’agit d’une affaire symboliquement et opérationnellement sérieuse, qui pose certaines questions importantes sur la sécurité physique de la Russie. L’attaque n’avait bien entendu aucune chance de réussir mais elle justifie néanmoins ce commentaire assez nettement critique (vis-à-vis des autorités), justement de Korybko :
« L’attaque sournoise de l’Ukraine contre la région russe de Koursk semble avoir réussi à franchir la frontière, selon la mise à jour de RT mercredi, qui faisait suite à l’affirmation du ministère de la Défense selon laquelle les combats n’avaient lieu que du côté ukrainien de la frontière. Même si elle semble destinée à échouer et à être considérée avec le recul comme la “bataille des Ardennes” de cette génération, comme l’ont décrite de nombreux commentateurs sociaux, elle a quand même enseigné à la Russie cinq leçons très importantes qu’elle ferait bien d’envisager de mettre en œuvre... »
Les “leçons” sont bien entendu du type défensif (renforcement de la surveillance et de la défense des frontières), mais l’une, la dernière, peut être envisagée dans sa logique comme répondant à une vision offensive. Il s’agit du conseil de passer d’une “défense passive” à une “défense active”, dont Korybko ne donne que des exemples très limités :
« Même en l'absence d'un système ISR russe adéquat [ISR pour renseignement, surveillance, reconnaissance], l'Ukraine aurait eu du mal à rassembler les forces nécessaires à son attaque furtive et à franchir la frontière si la Russie s'était engagée dans une politique de “défense active” (attaques régulières de faible niveau) au lieu d'une “défense passive” (rester à l'écart et attendre une attaque). À l'avenir, la Russie devrait examiner les avantages de la mise en œuvre d'une “défense active” tout au long du front, ce qui maintiendrait l'Ukraine sur le qui-vive et la forcerait peut-être à créer volontairement ses propres “zones tampons”. »
Il n’étonnera personne que cette logique “très limitée” ait trouvé chez d’autres une perception beaucoup plus étendue, et beaucoup plus réaliste selon le terme que nous avions donné pour définir une intervention très récente de Medvedev... Car c’est bien de Medvedev que nous parlons, qui est en quelque sorte mon favori quand il s’agit d’énoncer des vérités difficiles à atténuer, ou à dissimuler, – qui avait été clairement mis en cause par Korybko dans la référence citée.
On comprend évidemment que l’archi-faucon Medvedev, archi-détesté dans nos contrées après avoir été adoré il y a une quinzaine d’années, ne pouvait pas laisser passer cette occasion. Il ne l’a pas ratée et le voici donc dans toute sa pétulance, présenté par un RT.com qui reste toujours prudent et discret avec lui, qu’elle qualifie de « partisan de la ligne dure du conflit ukrainien » :
« La Russie devrait répondre à la tentative d’incursion de Kiev dans la région de Koursk en s’emparant des terres que Moscou reconnaît actuellement comme l’Ukraine, a suggéré l’ancien président Dmitri Medvedev. “À partir de ce moment, l’opération militaire spéciale devrait devenir ouvertement de nature extraterritoriale”, a expliqué Medvedev, vice-président du Conseil de sécurité russe, dans un article publié jeudi.
» “Nous pouvons et devons aller plus loin dans ce qui existe encore en Ukraine. À Odessa, Kharkov, Dniepropetrovsk, Nikolaiev. À Kiev et plus loin. Il ne devrait y avoir aucune restriction en termes de frontières reconnues”, a-t-il expliqué.
» Medvedev, un partisan de la ligne dure du conflit ukrainien, a déclaré que “l’opération terroriste” dans la région de Koursk devrait “lever tous les tabous” en déclarant publiquement que les forces russes “ne s’arrêteront que lorsque nous considérerons cela acceptable et bénéfique pour nous.” »
Nul n’est convié à penser aussi largement que le stratège furieux qu’est Dimitri Medvedev mais force est de reconnaître que la logique de sa proposition répond à celle, – énoncée à minima et sur la pointe des pieds, – d’Andrew Korybko et de la plupart des commentateurs modérés (y compris, secrètement, de Poutine ?). Il s’agit bien d’une “défense offensive” qui doit permettre, si elle a l’ampleur que conseille Medvedev, d’établir un cordon sécuritaire qui évitera un jour à la Russie d’avoir à se lancer dans des entreprises de véritables conquêtes territoriales face au bloc américaniste-occidentaliste.
Je m’empresse de dire que “nous ne disons pas” que ce serait une bonne chose, encore moins une chose concevable et souhaitable, – cette arrière-pensée de conquête, – mais c’est une chose, une crainte, qui est dans les esprits des Otaniens et publiquement dénoncée par les plus extrémistes d’entre eux, – donc une chose qui a une existence conceptuelle pour les Russes. Le fait est que Medvedev, en disant ce qu’il dit d’une façon réaliste et brutale, pense à toutes ces suspicions et ces dénonciations de la Russie, et là une fois encore faisant justement preuve de ce réalisme qui le caractérise. Ce qu’il propose constitue, d’un point de vue purement russe et dans le contexte (international) actuel extrêmement étrange, insaisissable et hostile, une action de protection de la Russie. La fatalité des situations, passant par l’irrespect complet des principes internationaux qui est la nouvelle règle (!) en vigueur dans cette rupture civilisationnelle, conduit à ces postures de guerre qui finissent par s’imposer, – qui finiront pas s’imposer même aux esprits les plus férus de diplomatie, tel celui de Poutine. Tout cela, en attendant la suite...
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