02 juillet 2024

Pédopornographie dans la mode : l’inaction persistante de la justice face à la maltraitance des enfants

Deux ans après le scandale de l’affaire Balenciaga, impliquée dans une campagne de pub "pédocriminelle", rien n’a bougé.

Marque de prêt-à-porter de luxe, propriété du groupe Kering et du milliardaire français François Pinault, Balenciaga avait suscité un véritable scandale auprès du public et des médias en novembre 2022, suite au lancement d’une campagne publicitaire mettant en scène de très jeunes enfants dans un décor ambigu. Accusée de promouvoir la pédopornographie, la marque s’était contentée de présenter des excuses pour “cet incident de parcours” qui avait offensé le public.

Deux experts ont été choqués par l’absence de protection et de soins offerts aux six jeunes enfants utilisés par Balenciaga et par l’inaction des institutions face au comportement de l’entreprise de mode. Le Dr Florent Godeau, médecin en Unité Médico-Judiciaire (UMJ) et Eric Ramond, mandaté par la CGT, représentative du groupe EDF qui possédait des actions Kering avant de les vendre suite au scandale, enquêtent et dénoncent l’impunité dont bénéficie Balenciaga:

L’équipe Balenciaga avait la certitude de son impunité en pédocriminalité. Leur sentiment de toute-puissance reposait sur une certitude : il y a en France une impunité pour les puissants en matière de pédocriminalité.

Les deux hommes ont saisi la “Commission d’enquête parlementaire sur les violences sexuelles et sexistes au sein des secteurs du cinéma, du spectacle vivant, de l’audiovisuel, de la mode et de la publicité” en mai 2024, avec la publication d’un rapport sur les violences sexuelles exercées sur les six enfants lors de la campagne Balenciaga de novembre 2022.

Les faits

Les 17 et 18 octobre 2022, quatre petites filles et deux petits garçons de 2 à 5 ans ont été conduits à Paris. À deux ans, les enfants sont encore des bébés selon la définition de l’OMS. Le Dr Florent Godeau et Eric Ramond décrivent la situation en détail dans leur rapport:

Ces six enfants ont été installés dans une mise en scène d’orgie pédocriminelle associant alcools, drogues et cierges. Cette mise en scène y additionnait les univers de la torture et du BDSM (bondage, discipline, domination, soumission, sado-masochisme). Plusieurs de ces six enfants ont été forcés à serrer contre eux des ours en peluche torturés.
Ces quatre petites filles et ces deux petits garçons ont été contraints de se mettre dans des postures de domination, de soumission voire d’esclave sexuelle. Cinq de ces six enfants étaient peut-être sous l’emprise de drogues (pupilles hyper dilatées, aspect caractéristique du chemsex associant 3-MMC et cocaïne). Drogués ou retouches photoshopées ?

Un mois plus tard, le 16 novembre 2022, la société Balenciaga a mis en ligne sur son site et sur Instagram une campagne publicitaire représentant une mise en scène d’orgie  qui utilise ces six enfants. La campagne a été supprimée cinq jours après son lancement, le 22 novembre 2022, en raison du tollé sur les réseaux sociaux et dans les médias.

Une pédocriminalité qui aurait été soigneusement préparée

Les violences sexuelles subies par ces six enfants ont été minutieusement orchestrées. Selon l’interview de Jean-François Palus aux Mardis de l’ESSEC:

On a toute une organisation de gestion de crise qui est militaire. D’ailleurs elle (la campagne) a été mise en place par un ancien du GIGN (Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale), donc avec véritablement une approche extrêmement cadrée de gestion de crise.

En réalité, tous les enfants impliqués dans cette campagne étaient les enfants d’employés de Balenciaga, selon les témoignages du photographe Gabriele Galimberti, ainsi que les propos du Monde datant du 2 décembre 2022.

Ainsi, pour que l’emprise “extrêmement cadrée” et “militaire” soit efficace, Balenciaga a réalisé en amont un casting de parents parmi ses employés, probablement parmi les personnes les plus fragiles et vulnérables… Pour Eric Ramond et le Dr Godeau, il est évident que:

La fourberie machiavélique de Balenciaga a consisté à ne convoquer que des enfants d’employés de Balenciaga, réalisant ainsi un véritable guet-apens. En plus d’être contraints de laisser maltraiter leurs enfants, les parents se rendent complices. Ils seront les premiers à faire obstacle à toute plainte après les cauchemars de leur enfant.

Conduits au milieu d’un plateau d’une trentaine de personnes pour le shooting photos, parents et enfants ont probablement été pris par surprise, forcés de prendre ces photos sous la pression. Les parents ont gardé le silence durant le mois qui a précédé la publication de la campagne publicitaire. Lorsque le scandale a éclaté, dans les mois qui ont suivi, et jusqu’à aujourd’hui, les parents des enfants maltraités par Balenciaga ont toujours refusé de dénoncer les méfaits de leur entreprise.

Pourtant, de nombreuses personnes ont été impliquées dans l’organisation de cette campagne publicitaire. Le magazine « The New Yorker » rapporte qu’une centaine de personnes a validé la campagne. Catherine Schwaab, journaliste de mode de Paris Match et rédactrice en chef qui connaît tout du milieu de la mode à Paris, explique dans une chronique “Balenciaga tu assumes ou pas ?”, parue dans Paris Match le 12 décembre 2022:

Quand on connaît le pinaillage des orfèvres du marketing sur les moindres détails, les heures à s’écharper sur une virgule ou sur un cheveu, on se doute que chaque millimètre de ces clichés a été inspecté et pesé.

Rien n’est fait pour la protection des enfants

En découvrant la campagne Balenciaga, Regula Bernhard-Hug de la Protection de l’enfance Suisse s’est insurgée :

La posture de l’enfant et la façon dont il tient son ours en peluche… ça ne va pas du tout.

Il n’est pas rare qu’on nous consulte pour savoir si certaines images sont acceptables, mais nous n’avons encore jamais rien vu de tel.

Selon elle, la campagne fait de l’enfant un objet sexuel à travers les ours en tenues BDSM et la pose adoptée. Elle est d’avis que ce genre d’images normalise les abus.

Par ailleurs, le Code du Travail (art L.211- 11) interdit et punit:

de faire exécuter par des enfants de moins de seize ans des tours de force périlleux ou des exercices de dislocation, ou de leur confier des emplois dangereux pour leur vie, leur santé ou leur moralité.

En tant que médecin, Florent Godeau est profondément choqué par la maltraitance qui a été infligée à ces enfants, contraints d’être plongés dans une mise en scène de grande violence, et par l’absence totale de soins qui a suivi:

C’est une véritable mise en danger de la santé psychologique et de la moralité des enfants. Les six enfants ont vécu avec des oursons torturés, des cadenas, des chaînes pendant ces 2 jours de shooting photos. Ils ont été contraints de poser dans des postures sexuelles au milieu d’éléments alcooliques et de cierges évoquant une “orgie pédocriminelle”.

À partir de l’observation des clichés, le Dr Florent Godeau distingue déjà deux dimensions de maltraitance subie par les enfants:

  • La torture

Lorsqu’un adulte voit une peluche torturée, cela le met mal à l’aise, mais il sait qu’il s’agit d’une peluche et pas d’un être réel. Mais pour un enfant, selon la théorie de l’attachement, la peluche est considérée comme un vrai personnage, un véritable être vivant. On sait tous qu’un enfant est très attaché à sa peluche, une peluche pour lui est chargée d’affectivité. Quand un enfant voit une peluche torturée, c’est comme si leur ami réel était torturé. C’est très violent.

  • La manipulation émotionnelle

“Ce qu’un adulte voit, un enfant le ressent, le vit.” Rappelons qu’un shooting photo, cela ne dure pas deux minutes, cela a duré deux jours. Durant ces deux jours, des adultes ont obligé ces enfants à prendre des postures obscènes et à montrer des visages très tristes. Comment obtient-on d’un enfant de deux ans, qui n’a pas d’expérience d’acteur mais qui est une véritable éponge émotionnelle, un air aussi triste ?

De plus, sur les photographies, les enfants avaient tous des pupilles dilatées, caractéristiques du chemsex associant les drogues. La question se pose: Est-ce que les photos ont été retouchées ou bien les enfants ont-ils absorbé des substances toxiques ?

Pour le Dr Florent Godeau, le plus urgent est de réaliser un examen médical et psychologique de ces enfants:

Un examen médical s’impose. Ces quatre petites filles et ces deux petits garçons de 2 à 5 ans sont en situation de détresse. Les troubles psychiques affectifs et relationnels dont ils doivent malheureusement souffrir exigent une prise en charge médicale : le désespoir, le repli sur soi, l’isolement. Sans parler du harcèlement scolaire et des comportements violents avec les autres enfants. Les conséquences pour leur vie d’adulte peuvent être graves comme dépression, addictions ou destruction de leur vie affective et sexuelle future.

Les excuses de Balenciaga

En raison du tollé provoqué par le scandale, la campagne avait été retirée par Balenciaga le 22 novembre 2022. L’entreprise et ses dirigeants ont présenté des excuses à de nombreuses reprises. Cependant, les excuses ne s’adressent qu’à ceux qui ont vu ces “visuels”. Aucun mot n’a été prononcé par Balenciaga et Kering sur ce qu’ont subi les quatre petites filles et les deux petits garçons de la campagne.

En définitive, le groupe Kering et son président Francois Pinault ont présenté le scandale Balenciaga comme un “incident de parcours”. Kering a justifié et protégé les choix effectués par ses collaborateurs, ainsi que toutes les personnes impliquées, avec les mots de François-Henri Pinault lors d’une conférence de presse (au siège du groupe Kering après les résultats du 15 février 2023, et dans un article du même jour dans Vogue Business) :

Il y a un droit à faire des erreurs chez Kering.

À travers cette campagne et son attitude vis à vis de celle-ci, Balenciaga aurait participé à la banalisation de la pédocrimininalité, ce que le rapport d’Eric Ramond et Florent Godeau qualifie de “pédowashing”:

Le pédowashing ou pédoblanchiment : action de faire passer la pédocriminalité pour du pédo-chic ou du kiddie-porn voire de l’éducation infantile. Le but de Kering, maison-mère de Balenciaga dont le PDG est M. Pinault est d’invisibiliser cette action pédocriminelle.

Le Pédowashing de Kering a un but : empêcher tout soin psychologique pour ces six enfants.

En considérant l’influence de Balenciaga dans le secteur de la mode et de la sphère culturelle, la responsabilité de l’entreprise de luxe prend une nouvelle ampleur… Nous pouvons citer les mots du présentateur de Fox News Tucker Carlson à propos de la campagne:

Ici, vous avez une des plus grandes marques de luxe à l’international qui promeut la pédopornographie et le sexe avec les enfants. Et ils ne le font pas subtilement mais ouvertement. Aucune société saine ne peut tolérer ça.

L’inaction des institutions judiciaires

Florent Godeau intervient en médecine légale sur demande du procureur pour établir un rapport en cas d’accidents, d’agressions, de viols, lorsque la gendarmerie se doit d’intervenir. Il témoigne que:

Sur l’affaire Balenciaga, le procureur refusait de faire une enquête, j’ai fait un signalement. En temps normal, nous recevons en examen des enfants pour beaucoup moins que ça. Mais pour les enfants de l’affaire Balenciaga, aucun examen, aucune enquête sur la maltraitance et la violence qu’ils ont subies n’a été faite.

C’est en réaction à l’inaction du procureur et des institutions que le Dr Florent Godeau, déterminé dans sa volonté de protéger les enfants, et des membres de la CGT mandatée par EDF, ont réalisé une enquête poussée sur cette campagne qui a abouti avec la publication de ce rapport:

M. Pinault s’est dit lui-même responsable. Il a dit “je prends toute la responsabilité”, donc il devrait être auditionné par la commission d’enquête parlementaire.

Le sentiment de toute-puissance de Balenciaga a donné naissance à cette campagne que d’aucuns qualifient d’ignoble. Ce sentiment semble reposer sur une certitude : il y a en France une impunité pour les puissants en matière de pédocriminalité.

En effet, par son inaction contrastant avec des condamnations mondiales unanimes, la justice participe à cette impunité. Nous pouvons citer la procureure de la République de Paris, saisie sur cette affaire, qui ne bouge pas depuis le 11 décembre 2022 . De même pour la procureure générale de Paris, saisie le 23 février 2023.

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