31 juillet 2024

France : Schirmeck, le camp de rééducation oublié

Après l'annexion, un camp destiné à la rééducation des Alsaciens est construit à la Broque, près de Schirmeck. Aujourd'hui remplacé par un lotissement, il n'y reste presque plus rien. Ses nouveaux habitants, eux, connaissent son histoire.

En arrivant par la départementale dans la vallée de la Bruche, les nuages bas donnent le ton. Un déluge s’abat sur Schirmeck. La signalétique indique le Mémorial d’Alsace-Moselle, mais rien sur l’ancien camp de Vorbruck-Schirmeck. C’est à La Broque, en allemand Vorbruck, la commune voisine, que se trouve ce camp oublié, dont il ne reste aujourd’hui presque plus rien.

« Ne pas avoir peur des morts »

À La Broque, la rue du Souvenir porte mal son nom. Ici se dressent des pavillons construits à partir des années 1950 sur le périmètre de l’ancien camp de la gestapo. Celui-ci était destiné à la rééducation idéologique de la population. Le but : les convertir au nouveau régime alors que l’Alsace vient d’être annexée au Reich. C’était par la violence que le changement devait s’opérer, les prisonniers résignés n’avaient d’autre choix que de capituler et accepter le sort de l’Alsace annexée. Près de 15 000 personnes y ont été internées, de juillet 1940 à novembre 1944. Pour la plupart, des Alsaciens et Mosellans, mais il y avait aussi des Luxembourgeois, des Polonais, des Slaves. 500 personnes environ y ont perdu la vie, selon l’historien Jean-Laurent Vonau. Il subsiste encore quelques traces de l’ancien camp. Certaines bâtisses contrastent avec le reste des habitations, notamment celle du début de la rue du Souvenir : c’est l’ancienne kommandantur, habitée par Alfred Steiner, dit Freddy. Vivre ici ça ne l’a pas gêné : « Il faut pas avoir peur des morts. » Devant chez lui, il montre où se trouvaient la limite et l’entrée du camp. Le chef du camp, Karl Bruck, dit l’homme à la jambe de bois, avait sa maison juste en face de la sienne. La façade de la maison de Freddy fait peine à voir, mais il n’a pas l’autorisation d’effectuer des rénovations. Elle sera à jamais le siège de la kommandantur, où la bureaucratie du camp prenait place. À l’extérieur est posée une plaque commémorative, seule indication qui rappelle qu’ici se dressait le premier camp de rétention administrative en Alsace annexée.

« Ce que vous ne voyez pas ne vous fait pas mal au ventre »

Roger Lenfant est très documenté sur l’histoire de l’ancien camp. Cet enfant de Schirmeck a grandi ici, né à Pondichéry où son père était militaire. Chez lui, les livres d’histoires se mêlent à une collection de représentations d’éléphants. Sur les vieilles photos du camp, il montre une salle décorée de symboles nazis. Il l’a connue : c’est l’ancienne salle des fêtes, rasée en 1968 où il a joué au basket. « Il y avait une cellule fermée au sous-sol », se souvient-il. Il regrette que la mémoire du camp se perde de générations en générations : « Les personnes âgées ne parlaient plus de la guerre, même en famille. Il faut que les jeunes sachent ! » Christelle Marchal regrette, elle, qu’aucune stèle ne rappelle l’histoire du lieu. Le projet est bien dans les papiers de la mairie depuis plusieurs années, mais il n’est toujours pas défini et semble loin de l’être.

Dans le lotissement, le devoir de mémoire n’est pas une nécessité unanimement partagée. Marisa Haensler, une Italienne mariée à un Alsacien, habite une maison située sur l’ancien camp des femmes. Elle était mal à l’aise quand elle s’est installée en 1977, mais ne déplore pas l’absence de vestiges. « Ça me bouleversait tellement que je ne voulais pas en parler. Pour moi c’est tant mieux qu’il n’y ait rien : ce que vous ne voyez pas ne vous fait pas mal au ventre. A chaque fois que je vais au Struthof, il me faut huit jours pour m’en remettre. » Freddy, qui habite l’ancienne kommandantur, suggère qu’il « vaut mieux oublier tout ça ».

Paul Boulben et Vickaine Csomporow 

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