Les élections européennes approchent péniblement et plusieurs signes laissent penser que les peuples européens vont faire savoir vertement aux politiciens qu’ils ne sont plus trop d’accord avec la direction générale prise par les institutions européennes.
C’est dans ce contexte forcément un peu tendu qu’ont récemment eu lieu des “concertations” entre l’Allemagne et la France ou, plus exactement, des discussions entre Macron et Scholz pour savoir ce qu’il convenait de faire au plan international concernant notamment la position officielle européenne vis-à-vis de la Chine qui, horreur des horreurs, semble bien s’entendre avec la Russie et qui semble faire la sourde oreilles aux rodomontades américaines.
Discussions qui se sont globalement soldées par un constat de mésentente profonde : aucun des deux pays n’entend mener la même politique et ce d’autant plus que ces divisions européennes arrangent bien les Américains.
En pratique, l’Europe institutionnelle est, surtout avec ces proches élections, à peu près à l’arrêt. Son encéphalogramme, souvent peu agité, est maintenant totalement plat : entre la perte complète de crédibilité de ses représentants (Von Der Leyen est prise pour une quantité négligeable tant à Pékin qu’à Washington), les tensions croissantes entre États membres, une évidente réaction populaire aux politiques écologistes et immigrationnistes délirantes, tout s’accumule pour amoindrir chaque jour l’Union européenne.
Mais au-delà de ces éléments faciles à observer, il y a surtout le constat en Europe d’un décrochage économique et social sans précédent.
Ce décrochage commençait à se sentir lors des premières crises européennes majeures (autour de 2012) : avec la crise grecque puis italienne sur la monnaie européenne, on sentait déjà que l’Union n’apportait pas autant de brouettes de bienfaits que prévu. Un peu plus d’une décennie plus tard, le décrochage est si visible qu’il n’est plus nié que par les politiciens les plus idéologues ou les plus perdus.
Un exemple typique (parmi, en réalité, des centaines d’autres) est Neoplants, une petite start-up qui se spécialise dans la production de plantes spécialisées pour la purification de l’air ambiant dans les espaces clos. Quoi qu’on puisse penser de ses produits, on ne pourra qu’observer l’intéressant petit logo qu’on trouvera facilement sur le site et qui dit “Conçu en France, fait aux États-Unis”…
On pourra gloser sur la pertinence du produit ou son efficacité, il n’en reste pas moins que si l’idée a germé et a été initialement développée en Europe et en France, la partie commerciale, celle qui crée de la valeur, des emplois, qui se traduit par une augmentation de richesse pour les entrepreneurs et les employés concernés, … se trouve aux États-Unis. Pour l’Europe, pour la France, c’est un échec.
Ce petit exemple illustre un fait troublant : les Européens semblent majoritairement préoccupés par le réchauffement climatique, la guerre en Ukraine ou l’immigration, mais peu se demandent pourquoi tout ce qu’ils utilisent a été produit en Chine ou fonctionne avec des logiciels américains, pour simplifier. Devant ce constat, la seule réaction palpable a été d’empiler les législations et les règlements.
Ceci s’est traduit par une Europe qui a rendu très difficiles la création d’entreprises, la mobilisation de capitaux, l’innovation et la récompense à la prise de risque.
Sur un continent en croissance, la réaction devrait être au contraire de réduire les contraintes administratives et législatives pour favoriser l’éclosion de startups européennes, ce qui augmenterait le produit intérieur brut (PIB) de l’Union et rendrait les Européens plus riches. Ce n’est absolument pas ce qu’on observe, au contraire même :
Alors même que ces Européens se plaignent de l’augmentation du coût de la vie, peu essayent de faire l’effort de comprendre pourquoi. Certains désignent les immigrants comme source du problème, alors que ces derniers n’expliquent pas tout. Mis devant la stagnation du PIB européen, d’autres évoquent une tendance des Européens à moins travailler que les Américains, ce qui n’est pas complètement faux comme le montrent les statistiques de l’OCDE. D’autres enfin tentent une tangente fumigène sur base de “pourquoi tout devrait-il être une question d’argent ?”
Pendant ce temps, concrètement, il est plus facile même pour un Européen d’ouvrir une société dans le Delaware, d’aller lever des capitaux aux États-Unis, d’y faire une introduction en bourse : ainsi, le marché du financement américain est presque 14 fois plus important que l’européen ; le financement des start-ups aux États-Unis représente 270 milliards de dollars d’actifs sous gestion (pour 330 millions d’Américains). Dans le même temps, l’Europe affiche 44 (petits) milliards de dollars d’actifs sous gestion pour 746 millions de citoyens.
Ceci explique aussi pourquoi l’Europe ne compte que de peu de licornes (une startup valorisée à plus d’un milliard d’euros et pas encore introduite en bourse), et aucune entreprise valorisée à plus de 1000 milliards de dollars alors que les États-Unis en comptent six. Ceci explique aussi l’absence d’entreprises européennes dans le Top 10 des plus grandes entreprises mondiales, et pourquoi 80% sont américaines, ou pourquoi Stripe, une entreprise fondée par deux frères irlandais, est finalement une entreprise américaine et non européenne.
On lit parfois que “les Européens sont réticents à prendre des risques” mais… c’est faux : plus d’un cinquième des fondateurs de licornes sont européens et ont pris non seulement le risque de créer une startup, mais de s’expatrier pour le faire.
En réalité, s’ils ont choisi les États-Unis plutôt que l’Europe, c’est qu’alors que les perspectives en cas d’échec sont à peu près les mêmes des deux côtés de l’Atlantique, les perspectives en cas de succès sont, en revanche, très asymétriques et très favorables à l’Oncle Sam.
Et s’ils ont choisi les États-Unis plutôt que l’Europe, c’est parce que cette dernière n’est plus du tout celle des années 1980s ou 1990s qui visait par un marché commun à aplanir les différences de traitement, les subtilités légales d’un pays à l’autre, mais qu’elle est devenue (notamment depuis le Traité de Lisbonne) une construction avant tout politique à l’usage des politiciens pour différents agendas de plus en plus éloignés des considérations prosaïques, comme simplifier le commerce intérieur : on lutte contre la pollution, contre le réchauffement climatique, le populisme ou les influences étrangères, mais plus personne ne comprend que les énormes frictions des différents systèmes légaux de 27 pays différents provoquent des ralentissements mortifères dans l’innovation, dans la levée de fonds, dans la collecte des taxes, dans le respect des myriades de droits plus ou moins illisibles dans les domaines les plus variés…
Parallèlement au nombrilisme politique qui a englué l’Europe dans ses querelles picrocholines, on se doit d’ajouter les efforts répétés de Washington (depuis les bisbilles franco-allemandes actuelles jusqu’à l’exploitation du conflit ukrainien) pour garantir que, justement, l’Europe s’empêtrera dans ses principes et ses décisions contre-productives.
Pourtant, l’Europe a d’énormes atouts : elle n’a pas été, pendant des siècles, la source de la plus grande majorité des développements de l’Humanité sans raison. S’il y a politiquement beaucoup de raisons pour lesquelles elle ne l’est plus, il n’y a en revanche humainement aucune raison que cela dure, et c’est ce qui rend les constats précédents d’autant plus consternants et on ne peut maintenant plus écarter l’idée que les dirigeants actuels sabotent activement tant l’idée d’Union européenne que tout ce qui a fait la force de ce continent sur les siècles passés.
Et on peut raisonnablement douter que ce soit par le vote que les peuples européens vont se sortir de la spirale destructrice dans laquelle ces dirigeants les ont placés.
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