25 avril 2024

Verdun, le combat contre l'héroïne

Rien ne distingue le 9 rue Gambetta des autres immeubles de la rue, au cœur de Verdun, si ce n’est la discrète petite affiche, accrochée à la fenêtre du premier étage, qui annonce la vente du bâtiment et précise qu’il faut refaire trois appartements. Il y a peu, ces logements délabrés et insalubres, des « bendos », abritaient encore des consommateurs de stupéfiants et des dealers qui ont achevé de les transformer en lieux de vente. Plusieurs opérations de police ont permis de les démanteler, au grand soulagement des Verdunois, comme Flora (prénom modifié), à la tête d’un commerce à proximité. « On voit le changement, mais jusqu’à quand ? Ce n’est pas la première fois que le trafic est démoli. Mais il finit toujours par revenir », explique-t-elle.

En moins de deux ans, 24 points de deal ont été démantelés par la police, assistée de la PJ (police judiciaire), du RAID et du GIGN, dans le cadre d’une politique de harcèlement permanent. Mais à quelques minutes de la rue Gambetta, dans une autre artère, les silhouettes hâves et décharnées d’usagers d’héroïne, tout juste sorties d’un autre bendo, en montrent bien les limites.

Le démantèlement, une urgence absolue

La région n’est pas concernée par le dispositif « Place nette XXL », bruyamment inauguré à la mi-mars par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, même si, ici aussi, les opérations de démantèlement se sont multipliées. Une urgence absolue, selon la procureure de Verdun, Sophie Partouche : « Quand je suis arrivée en poste, il y a trois ans, ma priorité était de réduire les troubles à l’ordre public. La situation n’était pas tenable : il y avait des points de deal à ciel ouvert, c’était catastrophique. Il fallait d’abord réduire la partie visible, c’est-à-dire fermer les points de vente, les empêcher de se réinstaller, pour ensuite travailler un peu plus sereinement sur le démantèlement des filières et entamer un vrai travail de fond. » Elle se félicite du retour au calme, après des années « compliquées », marquées par des scènes de fusillades, de braquages et de règlements de comptes : « On peut dire qu’on a réduit les violences associées au trafic, mais cela ne veut pas dire qu’on a tari le trafic, que je soupçonne d’être entré dans une phase plus discrète. Il s’est adapté. »

Banalisation et visibilisation de l’héroïne

En Meuse, département dans lequel se situe la sous-préfecture de Verdun, commune de 17 000 habitants, l’héroïne représente 37 % des saisies, contre moins de 5 % sur le reste du territoire. La dose s’y vend pour 10 euros le gramme. Le taux de consommateurs traités par médicaments de substitution aux opioïdes (méthadone et subutex) est presque deux fois supérieur à celui observé en France. S’il est difficile d’avancer des chiffres précis pour Verdun, le CSAPA (centre de soins d’accompagnement et de prévention en addictologie) d’Association Addictions France accueille 1 261 usagers, tous produits confondus, y compris l’alcool, « le plus gros fil active jamais eu » (le nombre de personnes prises en charge à un instant T), selon la cheffe de service Maud Cerabona.

À l’échelle de la Meuse, la consommation d’héroïne atteint 18 % chez les usagers, tandis qu’à Verdun, elle dépasse les 28 %. « C’est un phénomène multifactoriel, analyse Hervé Martini, secrétaire général d’Addictions France. On assiste à la paupérisation des campagnes à l’Est, qui se manifeste par le vieillissement de la population et le départ des jeunes, l’affaiblissement des services publics, le désœuvrement, le chômage et l’offre du produit, qui arrive des Pays-Bas. » À Verdun, où les références et monuments de la guerre de 1914-1918 sont omniprésents et où « certains usagers nous confient avoir l’impression de marcher sur les morts », indique Sophie Partouche, le taux de chômage avoisine les 19,6 %.

Samuel Hazard, le maire divers gauche de la commune depuis dix ans, avance cependant que, plus qu’une explosion de la consommation, c’est sa visibilité qui est en cause. « Le cœur de ville s’est appauvri à cause du parc locatif protégé. Les classes supérieures aisées ont fui, et les logements, dont beaucoup sont classés, se sont dégradés. Auparavant, le trafic se cantonnait aux quartiers périphériques, comme la cité de Pré l’Évêque », affirme-t-il, depuis la coquette mairie. L’élu a mis en place divers programmes pour favoriser la construction et la réhabilitation de ces appartements « indécents » du centre-ville, facilement exploités comme bendos par des marchands de sommeil véreux. « 20 % des logements vacants ont été contrôlés et ne respectent pas les normes », précise celui qui a imposé des permis de louer et tente de rendre sa ville plus attractive.

« On ne peut pas prétendre résoudre la question des addictions uniquement via le volet coercitif de la justice, qui déclare coupable et condamne, dit en soupirant la procureure Sophie Partouche. Il faut réussir à proposer un accompagnement social global, une alternative aux consommations d’héroïne et de cocaïne, à travers une action conjuguée des différents services. Il y a une forte dimension de santé publique. » Or la région fait figure de désert médical, dépourvue de lits spécialisés et de centres postcure, et la situation risque de considérablement s’aggraver après le départ à la retraite des deux médecins addictologues de la localité.

Un guichet unique contre la désinsertion

Aussi, depuis le mois de janvier, la ville de Verdun teste un nouveau dispositif de guichet unique baptisé « juridiction résolutive de problèmes », une réponse pénale chargée de s’attaquer aux désinsertions provoquées par la toxicomanie. « Une fois par mois, les usagers de drogues rencontrent tous les partenaires sociaux concernés, ce qui permet d’éviter les dispersions. L’objectif, c’est de leur offrir une seconde chance et de les rendre acteurs de leur vie et de leur parcours. C’est une forme de volontariat un peu contraint », indique Emmanuelle Casagrande, conseillère pénitentiaire de réinsertion et de probation. Pour l’instant, onze bénéficiaires sont suivis à titre expérimental par les équipes pluridisciplinaires. Tous présentent une forte addiction et un risque de récidive important. « Si la sortie de prison n’est pas suffisamment anticipée, les risques de rechute sont élevés. La justice résolutive de problèmes (JRP) permet de mettre les personnes vulnérables, en rupture de soins, au centre », renchérit Stéphanie Hugue, éducatrice spécialisée.

Julia (prénom modifié), 38 ans, mère de quatre enfants, participe à la JRP avec enthousiasme. Cette femme menue, au visage émacié, à la voix rauque et aux grands yeux bruns, fume de l’héroïne depuis ses 18 ans. Elle déroule des années difficiles : « Ma mère était cuisinière, alcoolique et maltraitante. J’ai fini par fuguer à l’âge de 15 ans, et je me suis retrouvée en foyer, ce qui a été salvateur pour moi. À 18 ans, mon premier compagnon m’a fait découvrir l’héroïne, et j’ai sombré. » Julia décrit un quotidien rythmé par différents stratagèmes pour se procurer des doses, nourrir ses enfants tout en ne touchant que le RSA.

Elle a été condamnée une première fois pour vol, puis une seconde fois pour avoir hébergé une nuit deux dealers, « des gosses », et a perdu la garde de ses enfants. Une déchirure, confie-t-elle, en larmes : « L’héroïne, c’est vraiment très, très dur, j’ai tout perdu à cause de ça. Mon fils est en famille d’accueil, et il a peur que son père et moi on retourne en prison. C’est pour lui que je me bats aujourd’hui, pour pouvoir le récupérer. » Un an après sa sortie, Julia est suivie par un psychologue et un médecin, qui lui prescrit son traitement de substitution à la méthadone. Elle cherche activement, grâce à la JRP, un travail et un appartement « pour pouvoir accueillir les visites de son fils », à qui elle rêve, à l’avenir, de montrer la mer.

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