07 avril 2024

Turquie : fuite des épargnants devant une dévaluation

En Turquie, le gouvernement subit un revers aux élections. L’opposition remporte des victoires pour le contrôle d’une poignée de villes, en particulier à Istanbul. Selon la presse, la défaite survient en raison des difficultés liées à l’économie du pays et la population soutiendrait un changement de dirigeants.

Il faut en effet noter que, depuis la réouverture de l’économie après les confinements, les prix grimpent en flèche : l’indice gouvernemental des prix augmente de plus de 50 %, sans signe de ralentissement.

Selon différentes sources, en réalité les prix grimpent encore plus rapidement – de plus de 100 % par an.

Le gouvernement mène une politique de déficits depuis des années. Pour les besoins d’endettement du gouvernement, la banque centrale réduit les taux d’intérêt depuis des années. En revanche, depuis l’été dernier, le gouvernement a changé de tactique face à la dévaluation de la devise. Les autorités ont augmenté les taux d’intérêt – contre la chute de la devise. La banque centrale a ainsi monté le taux d’intérêt à 50 % en mars de cette année, contre 8,5 % l’année dernière.

Pour l’instant, ce resserrement des taux n’a pas freiné la perte en valeur de la livre turque, celle-ci chutant de 35 % par rapport au dollar depuis le début des hausses de taux en juin. Comme vous le voyez ci-dessous, la valeur de la devise s’est effondrée de plus de 80 % par rapport au dollar en 5 ans.

La pression contre la livre turque continue en raison de la fuite des épargnants, en quête de sécurité, via des achats de dollars, ou des actifs comme l’or. De plus, le gouvernement accroît la pression contre la livre avec des programmes de protection des épargnants contre la dévaluation.

Ainsi, depuis décembre 2021, ce dernier promet aux citoyens des protections au travers des banques – sous contrôle des autorités – qui compensent la perte de valeur des comptes en livres turques. La chute de la livre depuis la mise en place de ce programme entraîne d’ailleurs un coût pour les banques. Et logiquement, si le programme est arrêté, le pays risque une fuite de l’épargne vers le dollar ou l’euro, ce qui poserait problème à des banques qui manquent actuellement de devises étrangères.

En anticipation de cette fin de programme, les banques achètent actuellement des dollars et vendent des actifs ou de la livre turque, ce qui contribue à la pression contre cette dernière, … et empire le problème pour les banques.

À présent, le gouvernement turc garantit plus de 100 milliards $ de dépôts. Tout arrêt du programme pourrait ainsi entraîner des retraits de dépôts en masse, et l’évaporation des réserves de dollars de la banque centrale.

Selon Almayadeen,

“Dans un entretien avec des investisseurs étrangers, [le ministre des Finances] Mehmet Simsek a montré son profond désaccord avec le mécanisme de protection de l’épargne en livre turque.

Selon M. Simsek, le gouvernement a commis une erreur avec la création du programme…

…Bloomberg rapporte que les banques nationales ont vendu 2,3 milliards $ d’actifs pour répondre à la demande de dollars pour les comptes protégés contre les variations du cours de la livre.”

Bourse : apparences de performance

En dépit des dégâts pour les épargnants, la création monétaire provoque aussi des gains sur les marchés des actifs. En effet, face à la dégradation de la livre turque, les gens cherchent des sources de protection, et dépensent donc leurs livres turques en achetant des devises étrangères – en particulier le dollar – ou de l’or … et des placements dans la Bourse. Les hausses de taux par la banque centrale réduisent, par contre, les placements dans la pierre.

Cette dévaluation de la devise crée un “sentiment de croissance” des entreprises : les actions en Bourse font des gains. Ainsi, l’indice du marché-action turc, le BIST-100, génère plus de gains que le S&P500, en hausse de 19 % depuis le début de l’année.

Selon CNN :

“En dépit des difficultés économiques, le marché-actions de la Turquie représente un point positif. L’indice des actions turques, le BIST-100, a grimpé de 19,8 % depuis le début de l’année 2024, ce qui est plus élevé que les 8,5 % de gains du S&P 500 sur la période. Cela en fait l’indice le plus performant du monde, après le Nikkei 225 du marché de Tokyo.”

La presse présente les résultats en livres turques, sans ajustement pour l’impact de la dévaluation de la devise. Par contre, la comparaison de la Bourse avec le prix de l’or montre en réalité cette source des gains : la création monétaire. En livres turques, l’indice BIST-100 grimpe de 819 % sur les 5 dernières années, comme vous le voyez ci-dessous :

En revanche, le prix de l’or en Turquie grimpe de 907 % sur les 5 dernières années ce qui est visible sur le graphique suivant :

En pratique, la performance des actions provient d’une chute en valeur de la devise et non d’une amélioration des résultats des entreprises via une hausse de ventes ou une amélioration de la productivité par exemple.

Par ailleurs, l’or offre plus de protection contre la dévaluation de la devise que les actions en Bourse !

Comme en France – avec les records du CAC 40 – la presse voit dans la performance des actions un signe de progrès. Mais en réalité, la dévaluation de la devise crée une apparence de records, dans les résultats des entreprises et les cours de la Bourse.

Ruée vers la sécurité

Les épargnants cherchent des alternatives à la livre turque. Cette fuite est directement profitable aux changeurs d’argent et aux vendeurs d’or.

Comme le rapporete CNN :

“Afin de protéger leurs épargnes, les gens se rendent aux marchés de l’or au Grand Bazaar, avec tout ce qu’ils ont – que ce soit de petites économies, ou des valises remplies de billets -, explique Omer Tozdum, un courtier de l’or…

Les gains dans les actions en Turquie sont en partie dus à une ‘frénésie’ chez les investisseurs turcs pour acheter des actions et préserver la valeur de leurs liquidités, explique Jacob Grapengiesser, directeur du gérant de fonds East Capital…

Le centre d’Istanbul est parsemé d’échangeurs de devise étrangère, et de vendeurs d’or – dans certains endroits, vous en trouverez à chaque coin de rue. Beaucoup d’entre eux portent des affiches ‘sans commission’, ce qui peut être le cas si vous avez des dollars. La plupart des changeurs près du bazar historique proposent des dollars à des cours plus avantageux que le taux de change de marché, afin de répondre à la demande croissante.”

Comme en France, le gouvernement turc annonce des économies. Il mène – en apparence – une lutte contre la chute de la devise via des hausses de taux.

Le président turc, M. Erdogan, annonce : “Nous avons mis en pace notre programme de moyen-terme avec détermination. Nous évitons les mesures populistes qui pourraient ajouter un fardeau au pays, à notre nation, et aux générations futures. Nous allons commencer à voir des résultats positifs de notre programme économique, avec une amélioration à l’inflation.”

La protection de la devise requiert sans doute bien plus de hausses de taux d’intérêt, et de resserrement des déficits du gouvernement. En revanche, les baisses de dépense (avec le gel du salaire minimum et des pensions, par exemple) nuisent à la popularité des dirigeants – et mènent à des défaites aux urnes.

Comme en France, les dirigeants font des coupes de budget pour la forme et font surtout de la communication dans la presse. Le gros des dépenses et des déficits reste en place.

La chute de la devise crée une apparence de richesse, avec des hausses de bénéfices et de cours des actions. L’attrait de gains en surface mène les autorités à plus de déficits et de dévaluations à l’avenir.

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Henry Bonner

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