26 mars 2024

La dissuasion par la sauvagerie ?

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“L’Occident a conquis le monde non pas par la supériorité de ses idées, de ses valeurs ou de sa religion (à laquelle peu de membres d’autres civilisations se sont convertis), mais plutôt par sa supériorité dans l’application de la violence organisée. Les Occidentaux oublient souvent ce fait ; les non-Occidentaux ne l’oublient jamais”. – Samuel P. Huntington, Le choc des civilisations et la refonte de l’ordre mondial (1996)

Le colonialisme occidental a commencé au XVe siècle et s’est terminé, à quelques exceptions près, au milieu du XXe siècle. Il a été rendu possible par le développement des technologies et la croissance rapide de la population. L’Occident a ensuite adopté un nouveau modèle de domination du monde. Il a parlé de valeurs humaines et de droits de l’homme, ainsi que de certaines règles qui permettraient prétendument à chacun d’en jouir.

La façade n’a pas résisté. L’Occident, et en particulier les États-Unis, ont abusé de l'”ordre fondé sur des règles” en contournant le droit international chaque fois qu’il ne correspondait pas à leurs intérêts. Il a continué à appliquer la “violence organisée” dans des circonstances douteuses. Les guerres contre la Yougoslavie, l’Afghanistan et l’Irak étaient censées démontrer que l’Occident respecterait les règles qu’il prétendait incarner. Mais ces guerres ont été perdues et les États-Unis ont dû se retirer.

La guerre en Ukraine n’est que la dernière démonstration en date, mais aussi la plus évidente, que l'”ordre fondé sur des règles” n’existe plus :

Au cours des dernières décennies, les États-Unis ont continuellement placé Moscou dans une position où elle devait soit accepter le fait accompli de l’expansion de l’OTAN au détriment des intérêts de sécurité de la Russie, soit recourir à l’escalade et subir les conséquences d’un ostracisme économique et politique accru. Ce facteur de dissuasion pour éviter l’escalade a été effectivement supprimé. Expliquer l’état modifié des relations internationales n’est pas se faire le chantre de la position russe – bien que cela puisse être considéré comme tel par ceux qui présentent de manière fallacieuse toute évaluation réaliste de la situation comme un “apaisement” – mais plutôt illustrer la manière dont Moscou s’est isolée de l’ostracisme occidental, modifiant ainsi tout l’équilibre des forces non seulement en Europe, mais aussi dans le monde entier.

Aujourd’hui, c’est la Russie qui place l’Occident devant un dilemme : il peut soit regarder le Kremlin atteindre ses objectifs stratégiques, garantis par un règlement négocié unilatéral ou par l’usure continue des forces ukrainiennes, soit escalader par la force. La déclaration de Poutine concernant les armes nucléaires n’était pas une simple rhétorique : le président russe définissait les limites du conflit actuel à partir d’une position d’autorité.

Tout ce qui n’est pas une victoire totale de l’Ukraine est donc un aveu implicite que l’ordre économique et politique “fondé sur des règles” a été irréversiblement altéré.

Ce matin, des armes hypersoniques ont détruit un siège du SBU à Kiev quelques secondes seulement après le déclenchement de l’alarme aérienne. Les défenses aériennes occidentales ont échoué. La Russie a détruit le mythe de la supériorité de l’Occident dans l’application de la violence organisée.

D’autres en ont pris note. La récente flambée de tensions entre les États-Unis et le Niger en est une conséquence :

La pression exercée sur le Niger révèle que Washington soutient la guerre contre la Russie pour des raisons autres que le droit de l’Ukraine à choisir ses partenaires et à adhérer à l’OTAN, ou que ce droit ne s’applique que lorsque le partenaire choisi est les États-Unis et l’OTAN, mais pas la Russie. Le principe fondamental n’est donc pas le droit d’une nation souveraine de choisir son partenaire, mais le droit d’une nation souveraine de s’associer aux États-Unis.

L’attitude américaine à l’égard du Niger et de la Russie révèle une deuxième leçon. L’une des principales réponses à l’invasion russe de l’Ukraine a été d’isoler la Russie et de renforcer le monde unipolaire dirigé par les États-Unis. Cela n’a pas fonctionné.

Les États-Unis ont exprimé leur inquiétude quant au fait que “la Fédération de Russie tente réellement de prendre le contrôle de l’Afrique centrale et du Sahel“. Thurston m’a dit que les États-Unis étaient “très inquiets de l’influence russe dans l’ensemble du Sahel, et que cette inquiétude était particulièrement vive au Niger, compte tenu de l’étroitesse des relations antérieures“.

Il a ajouté que les États-Unis “semblent considérer la concurrence avec la Russie en Afrique comme un jeu à somme nulle, alors que la plupart des gouvernements africains ne voient pas les choses de cette manière“. Et c’est la caractéristique du monde multipolaire émergent que les États-Unis tentent de freiner. L’Arabie saoudite a déclaré : “Nous ne croyons pas à la polarisation ou au choix d’un camp“. Le ministre indien des affaires étrangères, S. Jaishankar, dans son livre The Indian Way, décrit le nouveau monde multipolaire comme un monde dans lequel les pays traitent “avec les parties contestataires en même temps avec des résultats optimaux” pour leur “propre intérêt“.

Ayant perdu ses deux principales sources de pouvoir, l’ordre fondé sur des règles en tant qu’instrument de soft power (en quelque sorte) et sa supériorité en matière de hard power militaire, l’Occident a besoin d’un nouvel instrument de dissuasion, d’un nouvel outil qui lui permette de faire valoir ses intérêts face à la volonté d’autres puissances.

Il l’a trouvé en faisant preuve de la plus grande sauvagerie.

La guerre contre Gaza, soutenue par l’Occident, est la démonstration que l’Occident est prêt à franchir toutes les limites. Qu’il est prêt à faire fi de toute nuance d’humanité.  Qu’il est prêt à commettre un génocide. Qu’il fera tout pour empêcher les organisations internationales d’intervenir contre cela.

Qu’il est prêt à éliminer tout ce qui lui résiste.

Les nations qui s’engagent en faveur de la multipolarité devraient se préparer à ce qui pourrait leur être infligé.

Moon of Alabama

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