10 février 2024

143 foyers se chauffant au bois pollueraient autant qu'un incinérateur ?

La Ville de Québec prétend que 143 foyers d’ambiance émettent autant de particules fines (PM2,5) que l’incinérateur. Or, une conversion d’unités impériales en unités métriques vient fausser le calcul utilisé pour arriver à ce résultat.

Au lendemain de l’annonce du règlement visant à interdire les foyers décoratifs et d’ambiance sur le territoire de la Ville de Québec, l’automne dernier, le maire Bruno Marchand a affirmé que 143 de ces appareils émettent en une année autant de particules fines que l’incinérateur, soit environ 11 tonnes.

Cent quarante-trois foyers d'ambiance [...] qui fonctionnent deux fois par semaine [...] pendant les cinq mois de l'hiver [à raison de] deux fois par semaine [...] pendant quatre heures de temps chaque fois, [c’est] l'équivalent de l'incinérateur en émission de particules fines, avait déclaré le maire.

14 ou 143?

En entrevue sur les ondes de BLVD mercredi, le maire a fait mention de 14 foyers, mais il s’agissait de toute évidence d’un lapsus.

La Ville de Québec a transmis à Radio-Canada sa méthode de calcul. Pour arriver au nombre de 143 foyers, elle se base sur l’hypothèse voulant que les foyers d’ambiance peuvent émettre six fois plus de particules fines que les poêles au bois non certifiés.

Bruno Marchand lors d’une conférence de presse à l’hôtel de ville de Québec.

Bruno Marchand a affirmé l'automne dernier que 143 foyers d’ambiance émettent autant de particules fines en une année que l’incinérateur de Québec. (Photo d’archives)

Photo : Radio-Canada

Notons que cette hypothèse provient d’une affirmation contenue dans le rapport Mon environnement, ma santé. Nous y reviendrons.

480 grammes à l'heure

La Ville évalue que les appareils non certifiés émettent entre 60 et 100 grammes de particules fines à l’heure (g/h), ce qui donne un taux d’émission moyen de 80 g/h. Afin d’établir le taux d’émission d’un foyer d’ambiance, elle multiplie par six le taux d’émission moyen de 80 g/h, ce qui donne 480 g/h.

En se basant sur la fréquence d’utilisation rapportée par le maire (4 heures x 2 jours/semaine x 4 semaines/mois x 5 mois), la Ville estime que 143 foyers produisent 11 tonnes de particules fines par an. C’est sensiblement la même quantité de particules fines déclarées par l’incinérateur de Québec pour l’année 2021 (10,82 t).

Calcul des émissions de PM2,5 de 143 foyers décoratifs ou d’ambiance

  • 60 g/h + 100 g/h / 2 = 80 g/h = taux d’émission moyen d’un poêle non certifié

  • 80 g/h x 6 = 480 g/h = taux d’émission moyen d’un foyer décoratif ou d’ambiance

  • 480 x 4 (heures) x 2 (jours/semaine) x 4 (semaines/mois) x 5 (mois) = 76 800 g/année = 0,0768 tonne/année

  • 11 t / 0,0768 t = 143,23 foyers

Source : Ville de Québec

D’un point de vue mathématique, la démonstration faite par la Ville est cohérente, c’est-à-dire qu’en reproduisant l’équation, on arrive effectivement au nombre de 143 foyers.

Données américaines

L’ennui, c’est que son calcul repose en grande partie sur l’information qu’on retrouve dans le rapport Mon environnement, ma santé voulant que les foyers d’ambiance [...] peuvent émettre six fois plus de particules fines qu’un poêle non certifié.

Pour appuyer cette affirmation, les auteurs de l’étude se réfèrent à ce graphique publié dans un document de l'Agence de protection de l'environnement des États-Unis (EPA) datant de 2014.

Graphique présentant le nombre de livres de particules fines par million de BTU (lbs/MMBtus) émis par différents types d’appareils de chauffage.

Les auteurs du rapport « Mon environnement, ma santé » se sont basés sur ce graphique de l'EPA pour affirmer que les « les foyers d’ambiance [...] peuvent émettre six fois plus de particules fines qu’un poêle non certifié ».

Photo : Radio-Canada

Dans le graphique, on constate que la valeur 28 attribuée à un foyer (fireplace) est 6 fois supérieure à celle de 4,6 allouée à un poêle au bois non certifié (uncertified woodstove). Notons qu'il n’est pas question ici de grammes à l’heure (g/h), mais plutôt de livres de particules par million de BTU (lbs/MMBtus), une unité de mesure de l’énergie appartenant au système impérial et ne comportant aucune notion de temps.

Problème d'unité

Or, comme le fait remarquer le consultant en environnement et docteur en ingénierie Sébastien Raymond, on ne peut comparer des g/h avec des lbs/MMBtus aussi simplement. Selon lui, il y a clairement un problème d’unité dans le calcul de la Ville de Québec.

[L’unité] lbs/MMBtus correspond à une masse/unité thermique. On n’a donc aucun aspect temporel dans ce type d'unité. Il est donc évident qu'il faut multiplier ce nombre par la puissance d'un appareil qui pourrait être en BTU/h ou quelque chose du genre. Ainsi, on introduit la notion temporelle et en appliquant le facteur de conversion adéquate pour les masses, on pourrait retomber sur des g/h, explique M. Raymond dans un courriel à Radio-Canada.

Cela signifie qu’on ne peut utiliser le rapport de 6 pour 1 (28/4,6) des données en lbs/MMBtus pour calculer le taux d’émission d’un foyer en g/h. Le taux de 480 g/h de particules fines attribué par la Ville de Québec aux foyers décoratifs ou d’ambiance est par conséquent erroné.

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Pas la même toxicité

Le président de l’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA), André Bélisle, soutient pour sa part qu’on ne peut comparer les tonnes de particules fines provenant des appareils de chauffage au bois avec celles de l’incinérateur puisque leur composition fait en sorte qu’elles n’ont pas la même toxicité.

André Bélisle fait valoir que les particules fines rejetées par l'incinérateur sont à classer avec celles de l'industrie.

Il n'y a ni arsenic, ni cadmium, ni sulfate comme dans les émissions industrielles de particules de la Glencore, à Rouyn, par exemple, ou de particules de nitrates provenant des transports. Tous des poisons causant le cancer à long terme, affirme le président de l’AQLPA.

Portrait d’André Bélisle; à l'arrière-plan, de la verdure.

Même si le calcul de la Ville de Québec soulève des questions, André Bélisle mentionne qu’elle a raison de se préoccuper des impacts du chauffage au bois sur la qualité de l’air. (Photo d’archives)

Photo : Claude Bouchard, photographe.

Il souligne toutefois qu’il est justifié de se préoccuper des particules de suie, riches en carbone, émises lors de la combustion du bois.

Ces particules sont extrêmement irritantes pour les voies respiratoires et peuvent causer des crises d'asthme et des crises cardiaques à très court terme chez les personnes vulnérables, précise André Bélisle.

Il ajoute que le réchauffement climatique intensifie la concentration et la toxicité [de ces polluants] dans l’air.

La Ville justifie sa comparaison

Dans un communiqué publié vendredi, la Ville de Québec explique avoir comparé les émissions des foyers d’ambiance avec celles de l’incinérateur à des fins pédagogiques. Elle souhaitait ainsi illustrer que les appareils de chauffage à combustible solide, lesquels incluent les foyers d’ambiance, contribuent de façon non négligeable à la pollution atmosphérique sur son territoire.

Citant le rapport Mon environnement, ma santé, la Municipalité rappelle que les particules fines sont les plus nocives pour la santé, et ce, même à de très faibles concentrations.

Entre 2000 et 2015, pour les territoires des centres locaux de services communautaires de Limoilou-Vanier et de Québec–Basse-Ville, il est estimé que l’exposition aux particules fines atmosphériques aurait contribué au développement de l’asthme chez environ 288 enfants, peut-on lire dans son communiqué.

De la fumée s’échappe d’une cheminée en brique rouge dans un secteur boisé de Château-Richer.

La Ville de Québec tient à rappeler que les appareils de chauffage à combustible solide contribuent «de façon non négligeable» à la pollution atmosphérique. (Photo d’archives)

Photo : Radio-Canada / Olivia Laperrière-Roy

En ce qui concerne les décès par cardiopathie ischémique, il est estimé que l’exposition aux particules fines aurait contribué à 495 décès. À l’échelle du Québec, selon une étude de Santé Canada, les particules fines provenant du chauffage au bois tuent 1400 personnes par année, ajoute-t-elle.

Pertinent et approprié

La Ville dit avoir jugé pertinent d’utiliser les données d’un organisme indépendant tel que l’EPA pour établir sa comparaison entre les émissions des foyers d’ambiance et celles de l’incinérateur. Les données présentées dans le graphique, poursuit-elle, offrent une comparaison des émissions moyennes de particules fines émises par différents appareils pour développer une même puissance dans des conditions équivalentes.

Dans ces conditions, il est donc tout à fait approprié d’utiliser ce ratio si ces équipements, toujours d’une même puissance, fonctionnent dans ces conditions, pendant une heure. Il est évident qu’il y a des disparités entre les différents foyers d’ambiance sur notre territoire, mais ce calcul se veut un repère pour établir un ordre de grandeur et remettre en perspective les quantités de particules émises, insiste la Municipalité.

Avec la collaboration d’Audrey Paris et de Félix Morrissette Beaulieu

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