06 janvier 2024

Moins de pavot, plus de fentanyl

De retour au pouvoir en 2021, les talibans avaient annoncé vouloir supprimer la culture du pavot en Afghanistan. Dans la torpeur et la surprise estivale, personne ne les avait crus. Annonce réaffirmée début 2022. L’Afghanistan, premier producteur mondial de pavot et donc d’héroïne (90% de la production) devait cesser cette culture. Or, à la surprise de tous, c’est exactement ce qui s’est passé : en une année, les talibans ont réduit la production de pavot de près de 90%, asséchant de ce fait les marchés mondiaux de l’héroïne. Une prouesse alors qu’en décembre 2022 le pavot représentait encore un tiers des surfaces agricoles du pays.

Un événement qui appelle plusieurs commentaires.

Le premier est que les talibans n’ont pas hésité à aller contre leur soutien populaire, la paysannerie afghane, qui tire un gain substantiel de la production et de la vente du pavot. Reste à voir si cette destruction durera et surtout comment la population va compenser ce manque à gagner.

Le second est qu’il est donc possible à un gouvernement de combattre la production de drogue. Le Maroc pour le cannabis et la Colombie pour la coca disent que cela est impossible ou trop difficile, compte tenu de l’implantation des réseaux de corruption. Ils n’ont certes pas tort, mais si l’Afghanistan a réussi, pourquoi pas eux ?

Le troisième est que cette destruction démontre à quel point les talibans contrôlent leur territoire et leur population donc que deux ans après leur retour à Kaboul ils ont le pays bien en main, beaucoup plus que les États-Unis n’ont pu l’avoir au cours de leurs vingt années de présence.

Le quatrième est que cette bonne nouvelle engendre une modification majeure sur le marché mondial de la drogue, lourde de conséquences pour la France.

De l’héroïne au fentanyl

La fin de la production du pavot signifie l’assèchement du marché mondial de l’héroïne et donc la forte hausse des prix, l’offre étant très inférieure à la demande. Les consommateurs se reportent vers d’autres drogues, dont le fentanyl, qui arrive à point nommé. La bonne nouvelle de la fin du pavot en Afghanistan n’est donc pas une bonne nouvelle pour l’Europe.

Issu des dérivés des opioïdes, le fentanyl est à l’origine un médicament anti-douleur abondamment prescrit aux États-Unis, générant des populations dépendantes. Le fentanyl a quitté son domaine d’origine, qui était très spécifique et lié à des problèmes de santé graves, pour être consommé par des personnes qui n’auraient pas dû y toucher. Cela engendre une crise sanitaire majeure aux États-Unis, avec des dizaines de milliers de morts chaque année. Le marché américain étant désormais saturé, c’est vers l’Europe que les vendeurs se tournent, au moment où ce marché est sevré de l’héroïne. La conjonction des deux arrive au plus mauvais moment. Pour l’instant, le fentanyl n’a pas encore submergé l’Europe, mais des premières prises sont déjà répertoriées dans les ports des Pays-Bas et de Belgique. Facile à transporter et à diffuser, il est promesse d’argent facile et abondant pour ses trafiquants. En Europe, l’heure est grave, car la crise sanitaire majeure vécue par les États-Unis pourrait tout à fait arriver de ce côté-ci de l’Atlantique. On peut être à peu près certain que ce sujet ne sera pas abordé lors des élections européennes, alors qu’il est un sujet pleinement européen qui doit se traiter à l’échelle continentale, notamment par une coordination des différentes polices. Nous n’avons encore trouvé aucune solution miracle à la consommation de drogue, qui touche autant à la dimension juridique et criminelle que sanitaire et morale. Mais ouvrir les yeux, nommer les problèmes et chercher des solutions sont les premiers pas pour tenter d’éradiquer cette consommation.

Les routes mondiales de la drogue

Le problème est en effet beaucoup plus large, la drogue, et donc le fentanyl, s’inscrivant dans des routes mondiales. La plupart des usines qui produisent le fentanyl sont désormais basées en Chine. Les entreprises sont chinoises donc liées, d’une façon ou d’une autre, au parti communiste chinois. Lors de leur rencontre à San Francisco, Joe Biden a évoqué le dossier fentanyl avec Xi Jinping en lui demandant de contribuer à fermer les vannes de la production. Pour la Chine, il y a des intérêts économiques à vendre ces cachets, mais aussi politique : c’est une reprise de la guerre de l’opium, mais inversée. Si ce sujet a été oublié en Occident, il n’a pas échappé à la mémoire des Chinois qui se souviennent que les Anglais ont forcé les murs de la Chine et ont détruit son lien social en écoulant de l’opium. À charge de revanche pour l’Empire rouge qui est désormais debout et en mesure de prendre sa revanche.

L’usage de la drogue comme arme de guerre morale a été pensée par des militants islamistes qui y voient une façon de détruire l’Occident de l’intérieur. Non seulement la drogue les enrichit, mais en plus elle détruit les sociétés américaines et européennes qui les consomment. Elle devient une arme redoutablement efficace dans la guerre asymétrique.

Lieux de production, routes de transports, lieux de consommation, restent les lieux de blanchiment pour réinsérer l’argent sale dans les circuits légaux. Une partie de cet argent de la drogue transite par les pays du Golfe, notamment Dubaï, peu regardants sur la question. Une façon d’investir ensuite dans l’immobilier et d’autres projets d’infrastructures et donc de bénéficier d’un avantage financier indéniable, là aussi au détriment de l’Occident.

Les drames qui se jouent sur les trottoirs de San Francisco et d’Amsterdam s’insèrent donc dans des pieuvres de la drogue dont les ramifications se déploient dans les plaines afghanes, les usines chinoises, les banques du Golfe persique, les bateaux qui transitent d’un océan à l’autre. Cela rend la lutte contre cette pieuvre difficile et longue. Mais absolument indispensable pour éviter aux Européens un effondrement social et politique.

Jean-Baptiste Noé

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