26 décembre 2023

La guerre contre le terrorisme menée par les États-Unis contre les Houthis n’est que de la poudre aux yeux

Les États-Unis ont accueilli la première réunion du nouveau groupe de travail sur le terrorisme dans le cadre de la Quadrilatérale à Honolulu, Hawaï, du 19 au 21 décembre. Le groupe de travail du QUAD sur le terrorisme a été constitué en mars lors de la réunion au niveau des ministres des affaires étrangères à New Delhi, organisée par le ministre des affaires extérieures S. Jaishankar.

La déclaration commune publiée à l’issue de la réunion de mars avait noté “avec une profonde inquiétude que le terrorisme est devenu de plus en plus diffus, aidé par l’adaptation des terroristes aux technologies émergentes et en évolution, telles que les systèmes aériens sans pilote et l’internet, y compris les plateformes de médias sociaux pour le recrutement et l’incitation à commettre des actes terroristes, ainsi que pour le financement, la planification et la préparation d’activités terroristes“.

Tout en annonçant la création du groupe de travail quadripartite sur la lutte contre le terrorisme, la déclaration conjointe souligne qu’il “explorera la coopération au sein de la Quadrilatérale et avec les partenaires de l’Indo-Pacifique pour lutter contre les formes nouvelles et émergentes de terrorisme, la radicalisation vers la violence et l’extrémisme violent“.

Un communiqué du département d’État publié vendredi à la suite de la réunion inaugurale du groupe de travail a souligné que la discussion portait sur “le renforcement de la coopération au sein de la Quadrilatérale en réponse à un incident terroriste majeur dans la région indo-pacifique“. (souligné par l’auteur).

Le communiqué du département d’État précise que les discussions ont porté sur “des présentations et un exercice de simulation axés sur l’échange d’informations sur les menaces terroristes en constante évolution, sur le développement de mécanismes de coordination régionale et sur la lutte contre l’utilisation des technologies émergentes par les terroristes. Les participants (les quatre pays de la Quad) ont étudié les capacités et le soutien que la Quad pourrait offrir, ainsi que la manière dont la Quad pourrait se coordonner afin de soutenir les capacités existantes des pays de l’Indo-Pacifique“.

Il n’est pas nécessaire de faire preuve de beaucoup d’ingéniosité pour comprendre que les États-Unis se concentrent sur l’évolution de la situation en mer Rouge, où une coalition de volontaires dirigée par les États-Unis s’efforce de relever le défi posé à la navigation maritime par les indomptables Houthis du Yémen.

Les Houthis ont un vieux compte à régler avec Israël en raison des interventions secrètes répétées de ce dernier dans la guerre civile au Yémen, qui remonte aux années 1960, à cause de la grande importance de ce pays aux yeux des stratèges israéliens en tant que débouché d’Israël vers l’océan Indien et l’Extrême-Orient, ce qui est aujourd’hui aggravé par le soutien des Houthis aux droits des Palestiniens et leur refus de la normalisation avec Israël.

En avril 2018, les Émirats arabes unis, profitant de l’instabilité et de l’absence de gouvernement central au Yémen, ont tout simplement occupé l’île de Socotra, avec des chars, des véhicules blindés et de l’artillerie. Les EAU ont depuis annexé l’île de Socotra et, dans le cadre d’un projet commun avec Israël, tentent d’y construire une base militaire qui accueillerait des soldats, des officiers et d’autres experts et personnels militaires israéliens dans le but d’exercer un contrôle militaire sur les routes maritimes et de mener des opérations de renseignement contre l’Iran.

Il est certain que l’insécurité du trafic maritime vers le canal de Suez aura des conséquences considérables sur l’économie mondiale à de multiples égards – commerce international et chaînes d’approvisionnement, marché pétrolier, etc. Mais derrière le barrage de propagande, les intentions réelles des Américains pourraient aller bien au-delà. La diabolisation des Houthis sert de couverture pour obscurcir ce qui est en réalité une matrice incroyablement complexe.

Selon une analyse du groupe de réflexion américain Washington Institute for Near East Policy, Israël prévoit de déployer des sous-marins à l’est de Suez. Il est clair que la base militaire de Socotra sera idéale pour les sous-marins israéliens, qui pourront ainsi projeter leur force dans la mer d’Arabie. Sans surprise, les Houthis sont furieux de la perte de souveraineté de leur pays sur Socotra et de la transformation de l’île en avant-poste israélien avec le soutien tacite des États-Unis. Premier point.

Les États de la région hésitent à s’associer à la coalition de volontaires dirigée par les États-Unis pour déployer des forces navales en mer Rouge afin de préserver les intérêts israéliens sous le couvert de la protection de la “liberté de navigation“. Les Houthis ne feront pas de compromis avec Israël et les États de la région avancent prudemment pour ne pas être pris entre deux feux. Les Houthis ont la réputation bien méritée d’être des combattants acharnés et, dans le cas présent, ils sont également très motivés, l’adrénaline coulant dans leurs veines, car ils ont résisté à la guerre menée par l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et les États-Unis pour les effacer du paysage politique de leur pays.

D’un point de vue géopolitique, les États-Unis ont de bonnes raisons de dominer la mer Rouge, où la Chine dispose d’une base navale à Djibouti et où Washington a attisé la guerre civile au Soudan pour maintenir le pays en ébullition et bloquer les projets d’installation d’une base de sous-marins par la Russie. Un autre État côtier, l’Érythrée, occupe une position stratégique clé à l’ouest de la mer Rouge et entretient des liens économiques, diplomatiques et militaires étroits avec la Chine et la Russie.

En effet, les efforts américains ont échoué lamentablement à renverser le Premier ministre démocratiquement élu, Abiy Ahmed d’Éthiopie, le plus grand pays de la Corne de l’Afrique, qui est aligné sur la Russie. Il est visible que les États-Unis n’ont plus un seul ami ou allié dans toute la partie occidentale de la mer Rouge.

 

La grande question est de savoir si le stratagème américain visant à entraîner la Quad – et par la même occasion l’Inde – dans les problèmes en mer Rouge sera couronné de succès. Il s’agit en quelque sorte d’une répétition de l’histoire lorsque, résistant aux pressions de l’administration de George W. Bush, le gouvernement d’Atal Bihari Vajpayee avait refusé de se joindre à la coalition des volontaires dirigée par les États-Unis pour envahir l’Irak en 2003. Rétrospectivement, cette décision s’est avérée judicieuse. À l’époque, comme aujourd’hui, certains groupes d’intérêt influents à Delhi plaideraient probablement en faveur d’une participation de l’Inde à la “guerre contre le terrorisme” menée par les États-Unis contre les Houthis.

En fait, les remarques ambivalentes du porte-parole indien lors d’un point de presse jeudi dernier suscitent un certain malaise : “L’Inde a toujours soutenu la libre circulation des navires commerciaux. C’est donc quelque chose qui nous intéresse. Nous suivons bien sûr l’évolution de la situation. Dans la mesure où je pense qu’il y a eu… nous sommes également, comme vous le savez, dans le cadre des efforts globaux pour… des efforts internationaux pour assurer la libre circulation maritime, que ce soit contre la piraterie ou autre, l’Inde a été impliquée dans ce domaine. Nous continuerons donc à suivre cela de près. Je pense qu’il y a eu une certaine communication concernant cette task force ou cette opération, mais je devrais revenir vers vous concernant tout développement spécifique à ce sujet, parce que je ne sais pas si, vous savez, il y a eu une invitation spécifique ou si on nous a demandé de nous joindre ou si nous avons accepté de nous joindre à l’opération. Comme je l’ai dit, il s’agit d’une nouvelle initiative et nous reviendrons vers vous dès que nous aurons quelque chose à communiquer à ce sujet. Mais permettez-moi d’insister sur le fait que nous avons participé aux efforts visant à garantir la sécurité du transit des navires en mer d’Oman et que nous attachons de l’importance à la libre circulation des navires commerciaux. Je n’ai connaissance d’aucune conversation avec un pays en particulier, certainement l’Iran ou le Yémen…

Entre-temps, il convient de noter que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a téléphoné au Premier ministre Narendra Modi mardi, alors que le groupe de travail de la Quad se réunissait à Hawaï. Modi a écrit plus tard qu’au cours d’un échange de vues “productif” sur le “conflit actuel entre Israël et le Hamas” avec Netanyahu, les deux hommes avaient “des préoccupations communes” concernant le trafic maritime. Le message de Modi n’est pas entré dans les détails, tandis que la version israélienne affirme que M. Modi “a noté que la liberté de navigation est une nécessité mondiale essentielle qui doit être garantie“.

Les enjeux sont en effet considérables pour Israël, qui doit donner du poids à la coalition menée par les États-Unis en mer Rouge. Les États-Unis et Israël cherchent désespérément à impliquer l’Inde dans leur prochaine “guerre contre le terrorisme” contre le Yémen, un État civilisé, afin de donner à leur entreprise risquée un lieu d’habitation et un nom dans la région.

M.K. Bhadrakumar

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone

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