28 décembre 2023

Keep cool! L’Apocalypse a déjà eu lieu

 
URBI & ORBI – Aujourd’hui, l’Église catholique fête saint Jean l’Évangéliste, également auteur de trois épîtres et, surtout de l’Apocalypse. C’est sur ce dernier texte que nous allons nous attarder quelques instants. On commet toutes sortes de contresens à son propos. L’Apocalypse de saint Jean n’est pas une prophétie sur “la fin des temps” au sens où on l’entend habituellement. Rédigé au milieu du Ier siècle, c’était d’abord une annonce, vers 50, pour la petite communauté chrétienne de Jérusalem, de la destruction imminente du Temple – elle eut lieu en 70 après JC. Il leur était enjoint de quitter la Jérusalem terrestre avant qu’elle ne soit détruite. Voilà pourquoi toutes les interprétations millénaristes ultérieures sont à la fois fausses, théologiquement parlant, et dangereuses politiquement. Avis aux chrétiens sionistes américains qui encouragent les violences de l’État d’Israël pour hâter “le retour du Christ”.
 
 
Mystérieux personnage que Jean l’Evangéliste. Au catéchisme, on m’expliquait qu’il était l’un des deux “fils de Zébédée”, l’un des douze Apôtres, c’est-à-dire ces pasteurs de l’Eglise naissante consacrés par Jésus lui-même, les premiers évêques. En réalité “Jean”, “Iohanan”en hébreu, était un prénom très répandu dans l’Israël du Christ. Et il y a d’autres identifications possibles.

Le plus important est de sortir de l’exégèse d’inspiration allemande -en gros celle de David Strauss adaptée par Ernest Renan pour un public français et qui domine encore les enseignements. Une exégèse largement imprégnée d’antisémitisme – convaincue que les cultures indo-européennes étaient supérieures aux cultures hébraïque, araméenne, arabe…… Une exégèse plus particulièrement antijudaïque: appuyée sur la philosophie allemande du XIXème siècle, elle déteste l’idée de création.

C’est essentiel de comprendre la vision biblique selon laquelle il existe bien un être nécessaire, l’Etre Incréé que nous appelons Dieu; en revanche, notre monde créé, lui, ne répond à aucune nécessité, il est le fruit d’un acte de pur amour. Dieu a voulu, sans aucune nécessité, associer un être créé ex nihilo à la plénitude de sa propre vie. On est en l’occurrence loin de toutes les théomachies païennes (l’univers serait né de la lutte entre des dieux) ou de la gnose, à laquelle Hegel & Cie ont donné une apparence pseudo-rationnelle: le monde serait une émanation de Dieu, un produit des contradictions de l’Esprit divin engendrant sa propre contradiction avant de la surmonter.

Comme il est difficile de faire passer Jean pour un apôtre un peu simplet à force de répéter “aimez-vous les uns les autres”, Renan et ses successeurs en ont fait un non-Juif – au moins intellectuellement parlant. Il aurait été trop intelligent pour son milieu, si on les en croit. Les uns le voient comme hellénisant, introduisant Platon dans le christianisme. Les autres le veulent gnostique sous influence iranienne.

Eh bien non, Jean est un contemporain de Jésus, membre de l’élite de Jérusalem. Et je suis John A.T. Robinson, Claude Tresmontant, Jacqueline Genot-Bismuth, quand ils affirment, avec des arguments rigoureux, que l’Évangile de Jean est le plus ancien des quatre, rédigé dès les années 30, quelques années après la mort et la résurrection du Christ. (Et non pas un texte rédigé longtemps après les faits, vers 100-120) . ,
Jean était un théologien de haut vol, prêtre au Temple de Jérusalem

Une fois quel’on s’est débarrassé des préjugés modernes, on se replace dans le contexte que j’évoquais dans mon article d’hier:

La parole de Dieu était féconde, le nombre des disciples se multipliait fortement à Jérusalem, et une grande foule de prêtres juifs parvenaient à l’obéissance de la foi Actes des Apôtres, VI,7

Jean est membre du sacerdoce qui officie au Temple de Jérusalem. Claude Tresmontant pense même qu’il est de la famille de Hanan et Caïphe, les grands-prêtres qui ont condamné Jésus à mort. Rien ne s’oppose sur le principe à une telle hypothèse. Luc, qui s’appelle en hébreu Jaïre (sans doute le chef de synagogue dont Jésus ressuscite la fille) n’a-t-il pas dédié son Évangile puis les Actes des Apôtres à Théophile, frère de Caïphe, et qui fut grand-prêtre lui-même?

Comme je le disais hier, les élites juives ont été, autant que les classes populaires ou les notables de Galilée, secouées, divisées, polarisées par l’enseignement de Jésus. Jean l’Évangéliste a observé tout cela depuis Jérusalem (il ne raconte que peu d’événements de la vie de Jésus se passant en-dehors de la ville). Étant un théologien de niveau insurpassable dans un milieu qui comptait beaucoup de théologiens doués, il a été aussi important que saint Paul pour l’explicitation et la diffusion de l’enseignement du Christ.

Car Jean faisait partie des prêtres de Jérusalem qui se rangeaient du côté du Christ. Ce n’était pas sans danger: les Pharisiens Nicodème et Joseph d’Arimathie étaient secrètement disciple de Jésus durant sa vie publique. Jean se désigne lui-même,dans son propre évangile comme le “disciple que Jésus aimait” ou, tout simplement, “l’autre disciple”. Quand il ne se cache pas, il écrit de manière codée, comme dans l’Apocalypse.

L’Apocalypse: une prophétie réalisée

Jean était sans doute protégé par son statut sacerdotal – et même son appartenance au haut sacerdoce. Mais il avait vu son Maître Jésus de Nazareth livré aux Romains et crucifié. Il constatait la haine que déchaînaient les chrétiens dans les milieux dirigeants – ceux qu’il appelle “les Judéens”. Il voyait aussi une société profondément divisée en différents partis: Esséniens, Pharisiens, Sadducéens, Zélotes.

Caïphe, grand-prêtre, avait pensé trouver la solution pour réconcilier le peuple, en faisant mettre à mort Jésus, selon la méthode,aussi ancienne que l’humanité, du “bouc émissaire”:

Jean XI, 47 Les grands prêtres et les pharisiens réunirent donc le Conseil suprême ; ils disaient : « Qu’allons-nous faire ? Cet homme accomplit un grand nombre de signes.

48 Si nous le laissons faire, tout le monde va croire en lui, et les Romains viendront détruire notre Lieu saint et notre nation. »

49 Alors, l’un d’entre eux, Caïphe, qui était grand prêtre cette année-là, leur dit : « Vous n’y comprenez rien ;

50 vous ne voyez pas quel est votre intérêt : il vaut mieux qu’un seul homme meure pour le peuple, et que l’ensemble de la nation ne périsse pas. » Évangile de Jean, chap.11, traduction AELF

Caïphe voulait réconcilier Israël sur le cadavre de Jésus, chargé, tel un bouc émissaire, des fautes et des crimes de la nation. Mais, comme on sait, cela ne fonctionna pas. René Girard nous a expliqué que le mécanisme du bouc émissaire ne fonctionne que s’il y a unanimité.pour croire la victime coupable des maux dont on l’accuse. Or,dès les lendemains de la Résurrection, les disciples de Jésus proclamèrent urbi et orbi l’innocence de celui qu avait été crucifié. Ils répétèrent à qui voulait l’entendre que le calcul de Caïphe avait échoué.

Et dans les décennies qui suivirent, le peuple d’Israël se divisa toujours plus jusqu’à provoquer ce que Caïphe avait redouté: l’intervention des Romains,le siège et la destruction de Jérusalem.

C’est au milieu de ce tumulte que Jean rédige l’Apocalypse et la diffuse, vers 50, l’envoyant en particulier à la petite communauté chrétienne de Jérusalem. Celle-ci comprit ce que leur disait ce texte codé, rédigé dans le style, courant à l’époque, des “Apocalypses” ou “Révélations”:

Le peuple de l’Église de Jérusalem reçut, grâce à une prophétie transmise par révélation aux notables de l’endroit, l’ordre de quitter la ville avant la guerre et d’habiter une ville de Pérée, nommée Pella. Ce furent là que se transportèrent les fidèles du Christ, après être sortis de Jérusalem de telle sorte que les hommes saints abandonnèrent complètement la métropole royale des juifs et toute la terre de Judée Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique, 3,5,3

De quelle révélation s’agissait-il? Par la bouche de Jean, Jésus, le Messie crucifié et ressuscité, proclamait l’avènement de la Nouvelle Jérusalem. La Jérusalem qui avait rejeté l’enseignement de Jésus était désignée comme “Babylone” ou “la grande prostituée”; elle était vouée à la destruction, à succomber aux violences des hommes. Sous la forme imagée propre au style des Apocalypses, Jean faisait comprendre les forces profondes à l’œuvre à Jérusalem en même temps qu’il avertissait ses compatriotes devenus disciples de Jésus.

Je recommande la lecture des deux études magistrales que Claude Tresmontant a consacrées au livre de l’Apocalypse. Rétrotraduisant le grec du livre tel que nous le connaissons aujourd’hui, en hébreu, le grand philosophe et exégète résout un certain nombre des énigmes du texte.

Je n’en donnerai qu’un exemple, peut-être le plus frappant. Le fameux chiffre de “la Bête”, “666”, renvoie tout simplement à la dynastie des Hérode, dont le nom en forme hébraïque (‘Horodos” )contient trois fois la lettre “waw”, qui est aussi celle utilisée pour le chiffre 6. “La Bête”, pour Jean, ce n’était pas un monstre mythologique de l’avenir ni un Léviathan abstrait. C’était, très concrètement, Hérode le Grand et ses descendants, persécuteurs des croyants.

C’est l’homme qui est violent, et non Dieu

Je suis heureux de décevoir tousles amateurs de millénarismes et de catastrophes annoncées. L’événement annoncé de manière codée par l’Apocalypse a eu réellement lieu entre 66 et 70 de notre ère.La communauté chrétienne de Jérusalem avait quitté la ville en 62. Elle vint s’y réinstaller après 70. Sans cette prophétie, les chrétiens auraient pu connaître le sort de tous les Juifs venus célébrer la Pâque juive à Jérusalem en 70 et qui se retrouvèrent prisonniers du siège des Romains.

Il faut le dire et le répéter. L’Apocalypse de Jean, ce n’est ni l’annonce de la chute de Rome en 476, ni une annonce pour la “fin du monde”. C’est le livre qui clôt le Nouveau Testament et proclame l’avènement du Royaume de Dieu, qui a déjà commencé, partout où se trouvent les disciples du Christ.

Ce que Jean nous explique, aussi bien dans l’Évangile que dans l’Apocalypse, c’est que la violence est purement le fait des hommes. Le Royaume de Dieu n’est pas un horizon lointain. Il ne s’agit pas d’attendre une spectaculaire “fin du monde”. Le Règne du Christ est déjà là, partout où les hommes renoncent à la violence, font la paix et rendent un culte au Dieu un et trine,celui que Jésus nous a appris à appeler “Père”.

On pourrait dénoncer tous les millénarismes qui se sont succédés depuis deux mille ans, fantasmant souvent sur l’Apocalypse et son “sens caché”. Mais insistons sur le très dangereux millénarisme d’aujourd’hui, celui des “chrétiens sionistes américains“, prêts à couvrir tous les crimes du gouvernement Netanyahu, pourvu qu’ils permettent le retour des Juifs sur leur terre, Le triomphe de l’État d’Israël doit précéder le retour du Christ en gloire, son Second Avènement.

Ce que nous dit Saint Jean, c’est que le Royaume de Dieu n’advient pas dans la guerre mais dans la paix. Le Dieu qui a créé l’humanité par pur amour ne peut s’installer qua dans une humanité pacifique. L’Apocalypse est le texte où est définitivement révélé que la violence n’est jamais le fait de Dieu,toujours de l’homme. 
 

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