14 novembre 2023

Fabius : d’un impôt très familial au “responsable mais pas coupable”

Laurent Fabius
La tête et les jambes (prises à son cou parfois) ! Premier de la classe et de la course aux postes... Martin Bureau / AFP

PORTRAIT CRACHE - Laurent Fabius en politique, c’est successivement député, maire, directeur de cabinet de François Mitterrand, ministre, plus jeune Premier ministre de la Ve république, président de l'Assemblée nationale et premier secrétaire du Parti socialiste (PS). En quarante ans de carrière, l’actuel président du Conseil constitutionnel français s’est fait remarquer par un record de prises de positions aussi tranchantes que contestées à propos de l’Europe, de la fiscalité, du conflit syrien et du nucléaire iranien. Mais ce qui aura surtout marqué au fer rouge le presque octogénaire, ce sont les différents scandales, ainsi qu’une tentative ratée de présider le Fonds monétaire international (FMI), une exclusion du PS, un échec à l’investiture du parti pour la présidentielle et une présidence de la Conférence de Paris de 2015 sur le climat.

Quand Tonton pioche chez Attali pour constituer son gouvernement

Fils d’un grand antiquaire, Laurent Fabius après des études somme toutes brillantes, finit son cursus universitaire avec un doublé ENS-ENA en 1974, puis devient auditeur au Conseil d’État. Trois années plus tard, il est élu conseiller municipal à la mairie de Grand-Quevilly avant de devenir, en 1978, député du département de la Seine-Maritime. En 1981, il est recommandé par le déjà très fameux Jacques Attali, proche conseiller de François Mitterrand, tout juste élu président. Fabius devient, à 35 ans, ministre délégué chargé du Budget. A ce poste, il fait adopter l’impôt sur la fortune… dont les œuvres d’arts seront exclues ! 

Après un court passage au ministère de l’Industrie et de la recherche, il est, en 1984, pressenti pour devenir le chef du gouvernement. "François Mitterrand m’avait invité à l’Elysée pour un déjeuner (...), nous étions seuls”, raconte-t-il. Le président de la République lui rappelle son intention de changer de gouvernement et Laurent Fabius estime “ne pas être le mieux placé” pour trancher la question. "Vous avez peut-être une idée, non ? En tout cas moi, j’ai une idée (...), c’est vous ! C’est prévu cet après-midi !”, lui apprend François Mitterrand.

Laurent Fabius remplace donc Pierre Mauroy à Matignon. Il devient, à 37 ans, le plus jeune Premier ministre de la Ve République, roule en deux chevaux pour les photographes mais possède une Ferrari. Il ne s’éternise pas à l’hôtel de Matignon et quitte son poste en 1986. Deux années à poursuivre la politique de son prédécesseur, en vertu du programme électoral de Mitterrand, visant à réduire l’inflation et la dette publique qui dépasse, en 1983, 20 % de la production nationale. Il se distingue néanmoins par des positions individuelles sur le plan international, en soutenant, par exemple, la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud. 

Au poste de Premier ministre, deux scandales le suivront (certainement jusqu’à sa mort). L’affaire du Rainbow Warrior, bateau de l’organisation Greenpeace, devant se diriger vers l’atoll de Mururoa pour dénoncer les essais nucléaires français, va défrayer la chronique. L’appareil est dynamité à Auckland, en Nouvelle-Zélande, par une équipe de la DGSE (ancienne dénomination des services extérieurs, NDLR), provoquant la mort d’un photographe. Les services secrets français et le ministre de la Défense, Charles Hernu, sont accusés par les enquêteurs néo-zélandais. Les auteurs de cette opération, arrêtés, sont condamnés quatre mois plus tard à 10 ans de prison. 

Quand ça pète dans l’"arc-en-ciel”, c’est forcément la faute à Hernu

Et Laurent Fabius dans tout cela ? Le chef du gouvernement affirme n'avoir jamais été informé de l’opération par Charles Hernu, démissionnaire devant l’ampleur prise par cette affaire. Mais le Premier ministre se rétracte et reconnaît la responsabilité de la DGSE, qui a agi “sur ordre”. 

Contrairement à cette affaire, dont les conséquences sont aussi médiatiques que politiques, celle du “sang contaminé”, d’une autre dimension encore, poursuit Laurent Fabius jusqu’à 1999, année où il est innocenté par la justice française. Que s’est-il passé ? Nous sommes dans les années 1980, après la découverte du virus du sida par Luc Montagnier, et l'on en sait un peu plus sur les modes de transmission du virus, parmi lesquelles figurent les transfusions de sang pour les patients atteints, entre autres, d’hémophilie. 

(Dessin d'Ara)

Malgré les alarmes répétées de scientifiques à travers le monde, de nombreux hémophiles sont contaminés et les autorités françaises tardent à réagir. Laurent Fabius finit par annoncer le dépistage obligatoire pour les donneurs de sang à partir du 1er août 1985. L’affaire éclate en avril 1991. Quatre médecins sont jugés et les politiques font aussi l’objet de poursuites. Laurent Fabius, Edmond Hervé, alors ministre de la Justice, et Georgina Dufoix, ministre des Affaires sociales, sont jugés devant la Cour de justice de la République pour homicide involontaire. 

Le chef du gouvernement et Georgina Dufoix sont innocentés mais Edmond Hervé est condamné. “Compte tenu des connaissances de l’époque, l’action de Laurent Fabius a contribué à accélérer les processus décisionnels”, explique la Cour. Ce dernier est depuis associé à l’inénarrable expression “responsable mais pas coupable”, prononcée par Mme. Dufoix. 

Entre le début des contaminations au VIH par transfusion sanguine et la décision de la Cour de Justice en 1999, Laurent Fabius redevient député malgré la victoire de la droite aux législatives de 1986. En 1988, alors âgé de 41 ans, il est élu président de l’Assemblée nationale suite à la réélection de Mitterrand et devient Premier secrétaire du Parti socialiste en 1992 après deux vaines tentatives face à Pierre Mauroy et Lionel Jospin (Fabius et lui se vouant une haine farouche). La course à la présidentielle de 1995 ne le laisse pas indifférent mais il se la refuse en raison de l’affaire du sang contaminé qui lui colle à la peau. Cette année-là, il est élu maire de Grand-Quevilly, ville où sa carrière politique a débuté une vingtaine d’années auparavant, puis redevient président de l‘Assemblée nationale en 1997. 

Le seul rescapé du cimetière des "éléphants"

Laurent Fabius lorgne ensuite la direction du Fonds monétaire international (FMI) mais est finalement nommé, en 2000, ministre de l’Economie. A ce poste, il préconise à son Premier ministre, Lionel Jospin, la baisse de la fiscalité tout comme celles des dépenses de l’État, fait adopter plusieurs lois, assiste au passage à l’euro et cède la moitié du capital des autoroutes du Sud au secteur privé, premier pas vers la privatisation, tant controversée, de ces infrastructures

Il quitte son poste en 2002, après la défaite historique de Lionel Jospin à la présidentielle. Tête d’affiche du Parti socialiste aux élections législatives, il évolue alors dans le sillage de François Hollande, réélu à la tête de la formation politique. Fabius se distingue en 2004 par son opposition à la Constitution européenne, milite en faveur du “non” au sein du PS alors 59 % des militants sont favorables au “oui”. C’est finalement le “non” qui l’emporte lors du référendum national de 2005. La position de Fabius, qui dit avoir “une certaine idée de l’Europe”, divise le parti entre ses critiques et ses partisans et le Conseil national vote son exclusion. 

Il se déclare candidat à l’investiture du Parti socialiste pour la présidentielle de 2007 mais Ségolène Royal et Dominique Strauss-Kahn le devancent au suffrage. Réélu député de la quatrième circonscription de la Seine-Maritime, il préfère, cette fois-ci, soutenir DSK ou Martine Aubry à la primaire présidentielle socialiste de 2011, mais l’un comme l’autre sont dépassés par François Hollande, élu président de la République quelques mois plus tard, en 2012.

Laurent Fabius représentera d’ailleurs le successeur de Nicolas Sarkozy à l’étranger durant sa campagne présidentielle et François Hollande le nomme à la tête du ministère des Affaires étrangères. Le bilan de ses quatre années au Quai d’Orsay (2012-2016) est qualifié de “mitigé”. On lui reproche son échec dans le dossier syrien, sa réticence à frapper l’État Islamique, son pari sur une chute rapide de Bachar al-Assad (qui, selon lui, ne "mériterait pas d'être sur la Terre"), signes d’une “dépendance certaine vis-à-vis des États-Unis”. 

Sa position, jugée “dure” dans le dossier du nucléaire iranien, ne fait pas non plus l'unanimité, les uns estimant que cela a permis d’obtenir un meilleur accord tandis que pour d’autres, son intransigeance a constitué une menace pour les négociations. A, cela s’ajoute son audition comme témoin par la justice dans l’affaire Lafarge, qui a non seulement poursuivi ses activités en Syrie pendant la guerre, mais est également accusé d’avoir payé des groupes jihadistes pour le faire. 

L’art de faire son beurre en famille

Certains attribueront un point “positif” à son bilan : l’Accord de Paris, signé lors de la Conférence de 2015 sur le climat (COP21) par 196 parties. Accord salué et soutenu par le Forum Économique mondial de Davos (WEF), au même titre que l’agenda 2030 de l’ONU, adopté la même année et dont les objectifs sont liés. 

S’il n’est pas un membre des Young Global Leaders, en raison, sans doute, de son accession à des postes élevés à un âge précoce, Laurent Fabius est aussi un habitué des sommets de Davos ou des réunions du Bilderberg. Il fait partie des rares socialistes français, aux côtés de Dominique Strauss-Kahn, à avoir été convié à ces réunions. 

Enfin, comme "bon sang ne saurait mentir", on signalera que l’un des trois fils du président du Conseil constitutionnel, Victor, est directeur associé du département français du cabinet McKinsey, au budget pharaonique, critiqué jusqu’à la cour des comptes, mais qui a surtout conseillé le gouvernement dans sa politique sanitaire lors de la crise Covid…

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