03 novembre 2023

Des dirigeants de la CGT jugés pour « abus de confiance » et « blanchiment aggravé »

Plusieurs cadres de la fédération agroalimentaire cégétiste seront jugés en 2024 au tribunal correctionnel de Bobigny pour « abus de confiance » et « blanchiment aggravé », selon les informations de Libération. Un dossier qui plonge la nouvelle patronne de la centrale syndicale, Sophie Binet, dans l’embarras.

C’est une affaire judiciaire qui risque d’entacher durablement la réputation de la CGT et, par la même occasion, de rejaillir sur son nouveau visage, Sophie Binet, militante écologiste et féministe élue secrétaire générale du syndicat en mars dernier. Sept dirigeants passés et actuels d’une de ses 33 fédérations, la Fédération nationale agroalimentaire et forestière (Fnaf), qui regroupe 27% des travailleurs du secteur, seront jugés en septembre 2024 par le tribunal correctionnel de Bobigny pour « abus de confiance », « recel de biens obtenus par un abus de confiance » et « blanchiment aggravé ». Un procès public qui fait suite à cinq années d’investigations par la brigade financière, dont les rapports accablants ont été transmis au Parquet.

Notes de frais injustifiées, versements en argent liquide de sommes colossales à ses cadres fondateurs, usage de cartes bancaires et de chéquiers au nom d’associations-satellites de la Fnaf… Ces malversations découvertes par les policiers constituent un dossier sensible pour la centrale syndicale : la séquence judiciaire qui va s’ouvrir pourrait mettre en lumière des pratiques illégales susceptibles de nuire aussi bien à la CGT dans son ensemble qu’à d’autres organisations syndicales. Elisabeth Binet le sait. Pour l’instant, le silence est de mise.

Des sommes importantes qui « n’apparaissent pas » dans les bilans de la fédération

Le point de départ de cette affaire remonte à 2018 quand Johnny Neto, un ancien responsable de cette fédération, se retrouve licencié par sa direction. Dès le lendemain de son éviction, l’ancien salarié écrit une lettre au procureur de la République de Bobigny dans laquelle il alerte sur « de nombreuses malversations dans la gestion » de la Fnaf, listant de « nombreux avantages en nature », des « enveloppes d’argent liquide », l’utilisation de « logements » et de « cartes bancaires à des fins personnelles », des sommes importantes qui « n’apparaissent pas » dans les bilans de la fédé… Commence alors une longue enquête préliminaire diligentée par le Parquet de la ville, qui s’est terminée il y a seulement quelques mois. Outre les investigations, les policiers ont conduit une série d’auditions et de gardes à vue en mars 2023, notamment du secrétaire général actuel et de ses deux prédécesseurs. Une « attaque antisyndicale » visant à « salir la CGT » et à « museler » la Fnaf, avait aussitôt dénoncé son comité exécutif dans une déclaration « adoptée à l’unanimité ».

Le résultat des courses fait pourtant mal. Selon un rapport du 15 mars, le préjudice total avoisinerait les 865.000 euros. Chaque année depuis 2002, cette fédération perçoit entre 1 million et 1,5 million de financement en vertu d’une cotisation obligatoire prélevée sur les salaires versés dans le monde agricole. Problème : la majeure partie de cet argent ne figure pas sur ses bilans annuels jusqu’à juillet 2018, date à laquelle les fonds propres de la Fnaf vont subitement grossir de plusieurs millions d’euros. Incidemment, ce renflouement comptable soudain et massif se produit juste après le déclenchement de l’enquête du Parquet…

Des arrangements juteux en cash

Par ailleurs, les enquêteurs se sont penchés sur la profusion d’agent liquide ayant servi à alimenter les finances « d’anciens cadres fondateurs retraités » en contrepartie de « coups de main donnés à la fédération ». Des « sommes forfaitaires annuelles » qui n’auraient été ni déclarées aux organismes sociaux, ni aux impôts ni formalisées par un contrat de travail. Selon un rapport de synthèse du 29 juillet 2022, ce « complémentaire retraite occulte et non imposable » ne faisait l’objet d’aucune délibération jusqu’à l’année 2019, date à laquelle… les faits ont été communiqués au Parquet

Le niveau des sommes perçues par les dirigeants retraités a de quoi attirer l’attention. L’ex-patron de la fédé Alfred Huck a ainsi touché 13.800 euros en espèces chaque année depuis 2012. Un autre cadre, retraité depuis 2016 et toujours élu au bureau fédéral, Jean-Luc Bindel, reçoit depuis cette date une enveloppe de 34.800 euros en espèces par an. Retraité depuis 2008, mais toujours élu au sein des instances dirigeantes, Christian Alliaume, encaisse pour sa part 37.200 euros annuellement.

Courses chez Ikéa et restaurants haut de gamme au frais du contribuable

En parallèle, l’équipe dirigeante a bénéficié d’avantages personnels via la création d’une nébuleuse d’associations dont les objectifs sont plus ou moins obscurs : IAAA (Information, aide, agroalimentaire), Usopa (Union syndicale des organismes professionnels agricoles, qui salariait Johnny Neto alors que concrètement il œuvrait pour la Fnaf), Agasec (Association de gestion et d’animation socio-éducative et culturelle), Iresa (Institut de recherche et d’études des salariés agricoles), 4AS (Association aide salariés artisanat alimentaire), OSE (Organisation syndicale européenne). Nul ne sait, hormis la direction de la Fnaf, comment ces organismes sont financés.

Quoi qu’il en soit, quelques-unes de ces associations ont acheté plus d’une demi-douzaine de maisons ou d’appartements, où les uns et les autres habitent en échange de loyers notablement bas. En outre, la plupart d’entre elles ont ouvert des comptes bancaires permettant aux dirigeants de faire chauffer leur carte bleue sans réel contrôle, comme au Train Bleu, le restaurant haut de gamme de la gare de Lyon, ou la Villa 9Trois, une table prisée de Montreuil.

Dans ce rapport de la brigade financière, on apprend également qu’un cadre piochait dans les caisse de la fédération pour alimenter son épargne et son assurance-vie, tandis qu’un autre s’achetait du matériel de piscine, de moto et faisait ses courses chez Ikea. Sachant que le budget annuel de la Fnaf, évalué à 4 millions d’euros, est financé par les cotisations des salariés et les subventions de l’État, ces révélations ne manqueront pas de provoquer l’indignation du contribuable français.

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