14 octobre 2023

Météo exécrable des années 1787 et 1788



Le 13 juillet 1788 un terrible orage ravagea la France. « Tous les pays affectés de cet orage n'offraient plus que le spectacle de pays totalement ruinés et détruits par la grêle, écrit Charles-Joseph Messier, un astronome passionné de météorologie. Tout fut enterré, haché, abîmé, déraciné ; les toits découverts, les vitres brisées, les vaches et les moutons tués ou blessés ; le gibier, la volaille périrent. »

Une grêle désastreuse

Le ciel n'épargne pas même le roi, pourtant de droit divin. « Plusieurs personnes ont été tuées, raconte le curé de Saint Mars-de-Cré, un village de la Sarthe. Le roi Louis XVI était à la promenade, son cocher fut tué. Les chevaux blessés, les portières du carrosse brisées, Sa Majesté eut beaucoup de peine à se sauver. »

Les scientifiques se passionnent aussi pour le sujet. Ils évaluent, comptent, mesurent. Au château de Rambouillet sont recensés 11.749 carreaux et tuiles cassés. Messier pèse des grêlons « de plus de 5 quarterons », soit plus d'un demi-kilo. Le médecin Henri-Alexandre Tessier affirme dans un rapport que ces grêlons étaient « lancés avec une telle force qu'ils rebondissaient comme une balle de paume ».

Dans le même rapport, son collègue géographe Jean-Nicolas Buache dessine ce qui est sans doute la première carte d'orage de l'histoire. Y sont tracées deux bandes parallèles de grêle, qui zèbrent la France du sud-ouest vers le nord-est. Ce document tente même d'établir la facture de l'orage. Les dégâts sont évalués à 25 millions de livres, soit 5 % du budget de l’État. Comme de nombreuses pertes n'ont pas été déclarées, la note réelle aurait été deux fois plus élevée.

1.000 paroisses frappées

Il serait cependant naïf de croire que l'orage de 1788 a déclenché la tempête de 1789. Le chiffre de 1.000 paroisses frappées semble énorme… mais la France en comptait 38.000 à l'époque. Les récoltes amputées par la grêle ont certes poussé les prix à la hausse, mais on savait déjà que les récoltes seraient médiocres.

En réalité, l'orage de 1788 est un symbole de la pagaille climatique qui a précédé la Révolution française. Car la météo des années 1780 a été désastreuse. Tout commença peut-être le 8 juin 1783. Ce jour-là débute l'éruption du volcan Laki en Islande, qui dura huit mois. En Europe, les trois hivers suivants sont terribles. En 1785, une sécheresse inhabituelle survint en été.

"Il tomba dans le pays et dans les environs une quantité prodigieuse d'eau pendant le mois d'octobre et la moitié de celui de novembre."

- le curé du village d'Ezy (EURE)

L'été 1787, lui, est catastrophique après des récoltes miraculeuses l'année précédente. Des pluies fréquentes empêchent de moissonner. Quand la moisson est faite, le grain pourrit. La paille et le foin manquent. L'automne est pire encore. « Il tomba dans le pays et dans les environs une quantité prodigieuse d'eau pendant le mois d'octobre et la moitié de celui de novembre », raconte le curé du village d'Ezy, dans l'Eure qui décrit les inondations compliquant les semis. « A la mi-décembre, on ne pouvait aborder à l'église qu'à l'aide d'un bateau. »

Puis l'hiver est doux, trop doux. Insectes et mauvaises herbes prolifèrent. La douceur continue au printemps. Puis en mai-juin, le thermomètre grimpe encore. Les grains de blé sont « échaudés » : la chaleur freine leur croissance. Il ne pleut presque plus, comme en 1774 - juste avant la « guerre des farines » de 1775, provoquée par la flambée des prix du pain.

Le pays, lui, s'échauffe aussi pour d'autres raisons. A court d'argent, après les dépenses engendrées par la contribution française à la guerre d'indépendance américaine, le roi veut augmenter les impôts et revenir sur les pouvoirs accordés aux parlements régionaux au début de son règne. La ville de Grenoble s'enflamme le 7 juin, lors de la « journée des Tuiles ». Le 8 août, le roi se résout à annoncer la convocation des États généraux. N'ayant pas encore repéré le problème de la récolte, il maintient la libéralisation des exportations de grains mise en œuvre l'année précédente par son ministre des Finances, Etienne-Charles de Loménie de Brienne.

Des moissons médiocres

Les campagnes sont pour l'instant paisibles. Mais les médiocres moissons de l'été vont faire basculer le climat politique. L'orage du 13 juillet, et plus encore l'échaudage, aboutissent à un déficit de production d'environ un tiers, après une récolte 1787 déjà médiocre. Les prix du blé et des autres céréales grimpent dès juillet. La mécanique de la rébellion est enclenchée.

En août, une première émeute éclate à Lamballe, en Bretagne, suivie d'autres en Provence et dans le Languedoc à l'automne. Ayant succédé à Loménie de Brienne, Jacques Necker tente de réagir. Il interdit en septembre les exportations de grains. Deux mois plus tard, il subventionne même les importations d'Amérique.

Après un été trop chaud, la fin de l'automne puis l'hiver sont glaciaux. Jamais depuis en France les températures n'ont été aussi basses (86 jours de gel à Paris). Thomas Jefferson raconte dans ses Mémoires les grands feux au coin des rues à Paris, pour réchauffer les pauvres. Messier décrit une Seine glacée : « On y avait établi de petites boutiques de fruits et autres. »

239

239 émeutes provoquées par le blé sur les quatre premiers mois de l'année 1789, selon un décompte de l'historien Jean Nicolas.

Dans certains champs qui ont gelé trop tôt, il faut ressemer en urgence, ce qui diminue encore la quantité de grains à manger. Les transports sont freinés par la glaciation des fleuves et des rivières. Et le dégel apporte à son tour son lot de catastrophes, car des blocs de glace cassent ponts et moulins. Le prix du blé continue de monter. A Lille, il prend 50% en neuf mois.

La population n'en peut plus. Les actes de rébellion se multiplient partout en France et la maréchaussée est débordée - quand elle ne laisse pas faire. Sur les marchés, les émeutiers imposent des rabais sur les prix - ou pillent les sacs de blé. Sur les cours d'eau, des bateaux remplis de grains sont arraisonnés. A Paris, des manifestants défilent le 27 avril en scandant notamment « Mort aux accapareurs ! Le pain à deux sous ! ». L'historien Jean Nicolas a détecté 239 émeutes engendrées par le blé sur les quatre premiers mois 1789, quatre fois plus que sur toute l'année précédente.

 
 
Les prix des céréales à Montrésor, près de Tours'Les campagnes de Touraine au XVIIIe siècle', par Brigitte Maillard, Presses universitaires de Rennes, 1998

Les autorités ordonnent l'inspection des greniers des fermiers, pour que les grains disponibles soient mis en vente. C'est dans cette atmosphère tendue que s'ouvrent les États généraux, le 5 mai 1789. A Versailles, le débat est très politique. Partout ailleurs ou presque, on a faim. Arthur Young, un agronome britannique en voyage en France où il tient son carnet de bord, note le 10 juin : « La disette de pain est terrible ; à tout moment, on reçoit de province des nouvelles d'émeutes et de troubles ».

Des hypothèses circulent pour expliquer la pénurie. Au début, les grands fermiers et les marchands de grains ont été accusés de garder des stocks en espérant les vendre plus cher. Puis les nobles et les prêtres ont été soupçonnés à leur tour d'être des « accapareurs » (d'où l'attaque du couvent Saint-Lazare le 13 juillet). En bon Anglais, Young pointe les mesures de Necker restreignant le commerce de grains. Et croit savoir que les députés du tiers état « ne sont pas fâchés du haut prix des blés, qui secondent grandement leurs vues, rend plus aisé l'appel aux sentiments passionnés ».

La soudure, cette époque entre l'épuisement des stocks et la récolte suivante, est douloureuse. Des pluies tombent en juin, retardant la moisson. « Il y en a beaucoup qui languissent dans une espèce de famine et il y a tout à craindre de l'extrémité où les pauvres sont réduits », signalent les autorités à Chartres.

La moisson s'annonce bonne. « Nos blés, je vous assure que c'est un charme de les voir fleurir, écrit Angélique Delputte, une fermière vivant non loin de Lille, à son mari devenu député du tiers état. Ils ont encore augmenté de ces pluies. Il y a des épis à assommer des bœufs avec. » Mais en attendant, le prix du pain continue de monter, encore et toujours. Les manifestants qui défilent à Paris début juillet exigent avant tout la baisse des prix du grain et du pain. Les prix culminent à la mi-juillet, avant que les céréales des nouvelles récoltes commencent à arriver sur les marchés. Mais c'est trop tard : la Bastille a été prise le 14 juillet, et un nouveau chapitre de l'histoire de France a commencé.

Bien sûr, la crise agricole engendrée par l'incroyable succession de gels, d'inondations, de sécheresses et d'orages n'explique pas à elle seule la Révolution française. La crise financière aiguë, les idées nouvelles des Lumières, une noblesse et un clergé cramponnés à leurs privilèges, l'inconscience du roi y ont aussi leur part.

« La cartouche était dans le fusil »

Emmanuel Le Roy Ladurie, auteur d'une « Histoire du climat depuis l'an mil », le dit à sa manière : « La cartouche (les problèmes politiques et sociaux) était dans le fusil, et il ne restait plus qu'à appuyer sur la détente. Cette gâchette, ce fut la longue sécheresse de 1788. »

Mais pourquoi donc le 13 juillet 1788 a-t-il tant marqué les esprits ? Sans doute parce qu'il constituait une formidable métaphore des événements à venir, les « orages désirés » évoqués par Chateaubriand. Des événements anticipés de manière stupéfiante quelques jours après ce 13 juillet par le magistrat et ancien ministre de Louis XVI Chrétien Guillaume de Lamoignon de Malesherbes : « Je vois se former des orages qu'un jour toute la puissance royale ne pourra calmer, et des fautes de négligence et de lenteur […] répandront l'amertume sur toute la vie du Roi, et précipiteront son royaume dans des troubles dont personne ne prévoit la fin. »

Pour en savoir plus, lire notamment « L'orage du 13 juillet », par Anouchka Vasak, dans la revue « Le Débat » n° 130 (2004/3).

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