07 octobre 2023

Google pourrait suspendre les liens vers des contenus journalistiques en décembre

Après Meta, c’est au tour de Google de menacer de bloquer les médias canadiens de sa plateforme à compter de l’entrée en vigueur de la loi C-18, en décembre prochain. Le géant du web exhorte Ottawa à modifier sa réglementation, sans quoi il pourrait mettre sa menace à exécution.

La ministre du Patrimoine, Pascale St-Onge, s’était montrée optimiste plus tôt cette semaine au sujet des négociations autour de la Loi sur les nouvelles en ligne, mais le bras de fer entre Google et Ottawa semble plutôt s’intensifier.

L’écart entre leurs positions est apparu clairement vendredi lors d'une séance d'information technique destinée aux journalistes, où ces derniers ont pu prendre connaissance d’un document que Google a soumis au gouvernement fédéral au cours des récentes consultations.

Dans ce document, Google rejette le projet de réglementation d'Ottawa qui précise la portée de la loi C-18 et demande à ce qu’elle soit modifiée, à défaut de quoi l’entreprise pourrait suspendre tous les liens vers les contenus journalistiques canadiens à partir du 19 décembre prochain.

Deux raisons justifient la position de Google. D’abord, l’entreprise refuse de se faire imposer un modèle de négociation et d’arbitrage obligatoire avec les organismes de presse canadiens.

De plus, le géant du web estime que les redevances annuelles aux médias canadiens qui ont été fixées par Ottawa sont trop élevées. Le gouvernement fédéral demande 172 millions de dollars, tandis que Google est prêt à donner 100 millions de dollars.

Malheureusement, les règlements proposés ne parviennent pas à résoudre suffisamment les problèmes structurels critiques du projet de loi C-18, a déclaré Shay Purdy, porte-parole de Google.

Nous continuons à craindre sérieusement que les problèmes fondamentaux ne puissent finalement pas être résolus par la réglementation et que des changements législatifs soient nécessaires, a-t-il ajouté.

En attendant le dépôt de la version finale du règlement, Google se dit prêt à chercher une issue pour éviter un éventuel blocage en décembre.

Ouverture du côté d’Ottawa

De son côté, la ministre St-Onge a réitéré vendredi le point de vue de son gouvernement, à savoir que les Canadiens s’attendent des géants du web à ce qu'ils payent leur juste part pour soutenir l’information.

Nous allons analyser toutes les soumissions que nous avons reçues. Nous continuerons de communiquer avec ceux qui ont des questions ou des préoccupations, y compris les géants du web, a-t-elle ajouté.

Nous gardons le cap afin de favoriser la création d'accords commerciaux équitables entre les géants du web et les médias d’information, a encore mentionné la ministre.

Une source gouvernementale a indiqué que le gouvernement fédéral était ouvert à l'idée de revoir certaines parties de la réglementation mais pas à réécrire la loi.

Le gouvernement aurait dû prendre les choses au sérieux

De l'avis du bloquiste Martin Champoux, porte-parole en matière de patrimoine aux Communes, le gouvernement Trudeau a tardé à comprendre que les menaces des géants du web étaient sérieuses.

Ce qui arrive cette semaine, c'est la concrétisation de ce qu'ils nous disent depuis le début, a-t-il déclaré lors d'une entrevue accordée à Radio-Canada.

Il faut qu’on commence à prendre en considération le fait que les médias souffrent énormément financièrement présentement et qu’il y a des mesures qui doivent être prises pour le temps que ça prendra de régler la situation avec Google et Meta.

L'élu a toutefois invité Ottawa à se tenir debout face aux géants du numérique : Je pense que de toute façon, Google va continuer de s'opposer à la loi.

Il y a une équité à rétablir dans ce milieu-là; les nouvelles, ce n'est pas gratuit à produire. Google s'enrichit avec les nouvelles, quoi qu'ils en disent, a poursuivi M. Champoux, qui a dit estimer que le processus pour parvenir à un accord prendrait plus de temps que prévu.

L’heure est venue pour que le gouvernement contre-attaque et mette fin aux incitatifs publics reliés à l’achat publicitaire sur les plateformes de Meta et de Google, a pour sa part déclaré Peter Julian, porte-parole en matière de patrimoine canadien au Nouveau Parti démocratique (NPD).

Les menaces de ces géants du web multimilliardaires et leur refus de respecter nos lois canadiennes issues de notre processus démocratique sont complètement inacceptables.

Le pire des deux mondes

Ce nouveau rebondissement dans les pourparlers entourant la loi C-18 arrive au terme d’une consultation de 30 jours portant sur le projet de réglementation qui n’a visiblement pas satisfait les représentants de Google. Dès lundi, dans une déclaration aux médias, l’entreprise a exprimé son insatisfaction. Celle-ci est apparue encore plus clairement vendredi lorsque les documents de la consultation ont été rendus publics.

Le résultat de cet exercice est un modèle hybride qui représente le pire des deux mondes, a-t-on écrit.

Selon le géant du web, la feuille de route d'Ottawa revient à impos[er] les obligations d'une taxe sans offrir de certitude et [à] demand[er] à Google d'absorber toutes les responsabilités et les coûts associés à la négociation des accords et au versement des fonds, sans que l'entreprise dispose d'une marge de manœuvre pour prendre de véritables arrangements qui visaient à répondre à ses préoccupations.

La loi C-18 vise à forcer les géants du numérique à conclure des ententes d'indemnisation avec les médias d'information pour le partage de leur contenu.

Le projet de réglementation, présenté en septembre, est venu préciser que toute plateforme ayant un chiffre d'affaires d'au moins un milliard de dollars canadiens par année et comptant minimalement 20 millions d'utilisateurs au Canada chaque mois sera soumise à la loi.

Ottawa s'attend à ce que la loi s'applique à Meta, la société mère de Facebook, et à Google, à la condition qu'elles permettent le partage de nouvelles.

Les plateformes qui ne permettront pas un tel partage échapperont aux dispositions de la loi.

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Meta a déjà entamé un tel blocage depuis août pour les utilisateurs canadiens de ses plateformes. Google a menacé de faire de même mais n'est pas passée à l'action pour l'instant, sauf temporairement, au printemps dernier, pour mener des tests.

Selon Alain Saulnier, ancien directeur de l’information de Radio-Canada et auteur du livre Les barbares numériques, les impacts d'un blocage de Google pourraient être nettement plus dommageables pour les médias canadiens.

Cette menace-là est plus grave, plus imposante que celle de Meta et Facebook, parce que [...] c’est 93 % des gens qui utilisent ce moteur de recherche-là [Google] plutôt que les autres [moteurs] qui existent. Par conséquent, ce serait vraiment dramatique si c’était une menace qui devait être mise à exécution, a-t-il expliqué en entrevue à l'émission 24/60.

Toutefois, dans cette sortie de Google, M. Saulnier voit davantage une posture de négociation. On veut simplement montrer le sérieux et on monte le ton d’un cran.

En effet, dans ses documents publiés vendredi, Google ne menace pas de couper le robinet définitivement, mais elle évoque une suspension potentielle.

L'entreprise fait cette mention dans un passage qui critique les échéanciers prévus dans la loi et dans la réglementation. Plus précisément, des délais sont prévus pour qu'une plateforme soit exemptée d'un cadre de négociation obligatoire qui, lui, comporte aussi ses propres échéanciers. Pour être exempté, un géant du web doit conclure des ententes volontairement avec un éventail de joueurs, y compris des médias locaux.

Google estime qu'elle pourrait se retrouver dans une situation où elle demanderait une exemption en même temps qu'elle est engagée dans un processus de négociation obligatoire.

Le problème d'échéancier demeure, ce qui pourrait mettre Google dans une position où elle devrait suspendre les liens vers les contenus de nouvelles pendant le processus d'obtention d'une exemption, fait-on valoir.

Méthode de calcul décriée

La contribution exacte que Google pourrait devoir verser aux médias sera établie en fonction d'une formule qui pourrait encore être modifiée.

Selon la proposition fédérale actuelle, l'indemnisation sera établie en fonction du montant des recettes globales de la compagnie multiplié par la part canadienne du PIB mondial, puis multiplié par 4%.

Google qualifie ce taux de chiffre arbitraire qui surestime la valeur commerciale des liens portant sur l'actualité.

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