14 septembre 2023

Les géants de Patagonie

Tout a commencé en 1520. Magellan qui a quitté Las Muelas, à Séville, le lundi 10 août 1519, se retrouve (après une escale à Tenerife), le 29 novembre 1519 en vue des côtes du Brésil. Il se dirige vers le pôle austral, à la recherche du détroit qui lui permettrait de passer dans la mer du Sud que Balboa avait aperçue. En janvier 1520, les vaisseaux atteignent l'estuaire du Río de la Plata où Juan de Soifs avait été dévoré par des anthropophages. Mais là, point de détroit, et le voyage se poursuit vers le Sud.

Les détails du périple nous sont heureusement connus. Un membre de l'expédition, Antonio Pigafetta, un noble italien qui accompagnait Magellan comme criado del Capitán (un homme attaché à l'Amiral), tenait le journal de bord. On ne peut imaginer de meilleur observateur. C'est l'un des 18 hommes qui eurent la chance de revenir à Séville. A son retour, Pigafetta écrivit une relation où il narrait le premier voyage autour du monde accompli sous les ordres de Magellan, puis de Juan Sebastián Elcano qui ramena en Espagne, après la mort de l'Amiral, le vaisseau Victoria, seul rescapé de la périlleuse navigation.

Fin mars 1520, alors que le froid commence à se faire sentir, Magellan qui a atteint les 49° 30'de latitude Sud, se prépare à hiverner dans la baie de San Julián. C'est là qu'il découvre les fameux Patagons.

***

L'endroit était peu fréquenté. Deux mois s'étaient écoulés depuis qu'on avait choisi le mouillage et jamais un indigène ne s'était manifesté sur le rivage. Pigafetta écrit alors :

"Toutefois, un jour, sans que personne y pensât, nous vîmes un géant qui était sur le bord de la mer tout nu, et il dansait et sautait et chantait, et en chantant il mettait du sable et de la poussière sur sa tête."

Le récit prend alors un tour différent. On a l'impression de lire un de ces contes merveilleux qui évoquent les aventures extraordinaires des capitaines pleins d'audace.

Les marins ne semblent pas avoir été frappés de stupeur, car les propos de Pigafetta ne traduisent que surprise et curiosité. L'apparition d'un géant serait-elle considérée comme un de ces événements auxquels doit s'attendre tout explorateur ? Les nombreux mois qui se sont écoulés entre la rencontre du géant et l'instant de la narration auraient-ils émoussé l'étonnement initial ? Pigafetta aurait-il pensé qu'il était inutile d'insister sur l'un des épisodes merveilleux que le public s'attendait à trouver dans un récit de voyage ? Fallait-il surenchérir, alors que le lecteur, blasé, se rappelait inévitablement les incroyables aventures relatées dans les romans de chevalerie ? A l'époque où naissaient Gargantua et Pantagruel, où la frontière entre la réalité et la fiction était quasiment inexistante, pouvait-on montrer de la stupéfaction quand surgissait un géant ? Car, suivant Pigafetta, l'expédition de Magellan aurait bien rencontré des géants. Leur stature était impressionnante ; on avait pu se comparer à eux :

"Il était si grand que le plus grand de nous ne lui venait qu'à la ceinture. Il était vraiment bien bâti."

Comme le précise Léonce Peillard, les équipages n’étaient pas composés que de méridionaux :

"Toutes les nationalités sont représentées : Espagnols et Portugais en majorité, Italiens et Français, Belges, deux Anglais, un Allemand (...)"

Il devait bien se trouver, sur un total de 265 ou 270 hommes, quelque individu particulièrement grand. Mais le géant que décrit Pigafetta n'a que des nains autour de lui. Et cet indigène a des compagnons que l'on voit apparaître, progressivement, au cours des jours suivants. Quand on le découvrit, il était nu, mais on l'aperçut, peu après, dans son accoutrement ordinaire :

"Quand il fut amené au Capitaine, il était vêtu d'une peau de certaine bête cousue bien subtilement. (...) Ce géant avait les pieds couverts de la peau de la dite bête en forme de souliers, et il portait à la main un arc court et gros (...)".

Ces curieuses chaussures, qui ont retenu l'attention des Européens, sont certainement à l'origine du nom que l'on attribua aux autochtones. Pigafetta déclare, un peu plus loin, sans commentaire :

"Le capitaine appela cette manière de gens Pataghoni."

Les pieds, chaussés de ces mocassins en peau de guanaco devaient paraître plus grands, d'où le surnom de Patagöe ou pata goa dont fut gratifié l'Indien. La tribu reçut alors le nom de Patagons et le pays s'appela la Patagonie9. D'après Paul Groussac, le mot viendrait plutôt de pata de cão ('patte de chien'). Cette hypothèse semble séduisante, surtout si l'on considère que Magellan était d'origine portugaise.

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