Instrument de domination patiemment mis au point, étape par étape, par l’élite financière qui a décidé de dominer le monde à la fin du 19ème siècle, le dollar est de plus en plus contesté par de nombreux pays qui sont en train de s’organiser pour se passer de lui.
Monnaie établie sous un « faux-nez», le dollar avait besoin, pour s’imposer à tous, d’apparaître comme une monnaie stable dans le temps, de façon à éviter des fluctuations importantes inhérentes aux monnaies fiduciaires.
Le dollar a été imposé à la planète sans contre-partie
Ce faux-nez fut l’apparence de la convertibilité en or. Cela permit à ses promoteurs de faire passer la pilule de sa double nature de monnaie domestique américaine et de monnaie internationale. Les accords de Bretton-Woods de juillet 1944 le consacrèrent ainsi.
Peu de gens à l’époque en avaient perçu les implications.
L’économiste Robert Triffin était de ceux-là et l’ avait magistralement démontré dans un ouvrage paru en 1960 intitulé «l’or et la crise du dollar», plus connu sous le nom du «dilemme de Triffin» et dans lequel il démontrait qu’une monnaie à la fois domestique et internationale devait être créée d’une façon si importante que la couverture en or ne pouvait être respectée.
Ce qui avait fait dire par le secrétaire du Trésor américain John Connally cette phrase assez provocante: «le dollar est notre monnaie et votre problème», après que la convertibilité en or du dollar fut abandonnée le 15 août 1971.
L’élite financière avait donc atteint son but en pouvant émettre sans aucune limite de la monnaie qui ne lui coûtait rien et que tous les autres pays devaient se procurer pour commercer à l’international.
Ce « privilège exorbitant » (de Gaulle dixit) ne pouvait, à la longue, que susciter des rancœurs qui, au fil du temps, allaient coaliser un nombre de plus en plus grand de pays las de subir ce diktat injustifié qui compromettait sérieusement leur développement.
Une contre-attaque qui est partie de loin
En développant le potentiel industriel des pays « émergents », la finance internationale a joué avec le feu. La cupidité ayant endormi toute analyse prospective et les perspectives de gain quasiment sans limite, l’élite financière internationale a pesé de tout son poids pour que les transferts de technologie se fassent rapidement de façon à ce que les produits industriels fabriqués dans ces pays arrivent le plus vite possible dans les pays dont le coût de main-d’œuvre maintenait des prix élevés à la production. Ce fut autour du milieu des années 1970 et l’une des conséquences a été la fin des «30 glorieuses ». La montée de la puissance économique des pays émergents comme la Chine, l’Inde et le Brésil en résulte également et c’est l’élément dominant dans lequel le basculement actuel trouve son origine. On constate également que, lorsque la puissance industrielle d’un pays ou d’une zone augmente, sa monnaie est de plus en plus utilisée pour les échanges commerciaux. On peut dire que « la monnaie suit la production » ce qui est normal, surtout si les émissions monétaires sont liées à l’augmentation des richesses produites, ce qui devrait être le cas général et seul gage de la stabilité monétaire.
Les crises successives et les errements des banques systémiques depuis le début du 21e siècle et l’abrogation du « Glass – Steagall Act » de 1934 qui limitait la spéculation bancaire ont conduit les banques centrales occidentales (FED, BoE et BCE) à faire de la création monétaire quasiment sans limite uniquement pour renflouer ces banques et leur éviter la faillite et celle du système financier mondial lié au dollar.
Conscients de ce danger face auquel les pays émergents étaient démunis, cette logique les a conduit à projeter la mise en œuvre d’un autre système dont leur prospérité future ne dépendrait pas de cette monnaie.
Sans bruit et très discrètement depuis une quinzaine d’années, les BRICS et d’autres organisations internationales ont œuvré pour élaborer un autre système de paiement pour leurs échanges commerciaux. L’idée de base était d’en limiter l’emploi aux seuls pays concernés et éventuellement de faire entrer progressivement de nouveaux pays s’il y avait un intérêt mutuel à le faire.
Le catalyseur de la guerre en Ukraine
Les choses se sont brutalement accélérées en février 2022 avec la guerre en Ukraine, aboutissement logique d’un affrontement à peine déguisé ayant des relents de guerre froide. On ne connaîtra probablement jamais les raisons exactes qui ont poussé l’état-profond américain à intervenir en Ukraine dès 2014 afin de remplacer le président Yanoukovitch élu en 2010 en fomentant un « coup d’Etat ». Il s’en suivit une sorte de guerre entre les provinces russophones de l’Est et l’armée de Kiev qui fit environ 14 000 victimes en 8 ans.
Toujours est-il qu’à peine les premiers échanges de tirs commencés, la Russie subit un ensemble de sanctions économiques destinées à ruiner son économie, notamment en stoppant la vente des produits énergétiques avec l’Union européenne, devenue son principal client. Mais il y eut aussi la saisie de plusieurs centaines de milliards de dollars appartenant à la banque de Russie qui pourraient être reversés à l’Ukraine qui crééent une sorte de précédent inquiétant.
Cette «extra-territorialité» manifestement outrancière du Droit américain ne peut qu’accélérer le processus de dédollarisation qui va en s’amplifiant et de plus en plus de pays manifestent leur intention de rejoindre les BRICS afin de ne plus dépendre du dollar pour leur commerce international. Le monde a brutalement pris conscience de la puissance économique des BRICS en découvrant avec quelle rapidité la Russie avait conclu des accords avec d’autres pays pour écouler ses produits énergétiques sans recourir au dollar qui lui était désormais interdit. Cette promptitude atteste d’un plan prévu bien en amont dont nous ne percevons peut-être que les premières mesures en en ignorant encore l’étendue.
Aujourd’hui la part du dollar dans les échanges internationaux ne représente plus qu’environ 50% alors que le PIB des BRICS dépasse celui du G7.
Réunion de Johannesburg: une étape-clé?
Du 22 au 24 août prochains, une réunion des BRICS est prévue en Afrique du Sud. Celle-ci fait suite à la réunion du mois de juin au Cap et va finaliser les discussions qui s’y sont tenues.
En particulier, l’examen des futures candidatures d’environ une vingtaine de pays, mais également la création, qui semble s’accélérer, d’une nouvelle monnaie qui posséderait une convertibilité en or.
Elle pourrait s’appeler «l’or des BRICS» et son unité de compte serait le gramme d’or. Les banques centrales des BRICS mettraient en commun leurs réserves d’or dans une banque des BRICS créée pour la circonstance qui les inscrirait dans son bilan.
Cet or servirait de garantie pour des prêts libellés en «or des BRICS», cette future monnaie internationale pourrait alors être utilisée à la place du dollar dans les échanges commerciaux internationaux.
Vers une guerre dollar / or des BRICS ?
Le dollar étant devenu une monnaie purement fiduciaire depuis août 1971, donc sans valeur intrinsèque, il apparait difficile pour lui de pouvoir entrer en compétition avec une monnaie qui, elle, posséderait une valeur intrinsèque. Le dollar peut être créé à partir de rien, alors qu’une monnaie gagée sur l’or suppose que l’entité émettrice possède au minimum dans ses coffres la quantité d’or correspondante à la quantité de monnaie émise.
Il parait invraisemblable que le dollar puisse retrouver une couverture-or, compte-tenu des émissions effectuées qui se chiffrent probablement autour de plusieurs millions de milliards de dollars.
Aujourd’hui, la plupart des banques, y compris les banques systémiques, ont des fonds propres en dollars, souvent sous forme de «bons du Trésor américain ».
Tant que le dollar reste l’unité de mesure, ces bons conservent leur valeur. Mais s’ils venaient à subir une décote, comme ce fut le cas récemment avec la Silicon Valley Bank, personne n’est en mesure de dire ce qu’il en adviendrait. Cette incertitude ne peut jouer qu’en faveur d’une monnaie gagée sur l’or, qui serait naturellement préférée au dollar pour les transactions internationales.
Les banquiers internationaux vont-ils accepter de se voir dépossédés de ce qui a été un outil essentiel de la domination de l’Occident et surtout des États-Unis sur le reste du monde?
Un rapport de force incertain, mais évoluant
Les États-Unis étaient la puissance dominante incontestée après la chute de l’URSS, Francis Fukuyama parlait de «la fin de l’histoire». Le libre échange mondialisé l’avait emporté et allait s’imposer de proche en proche en unifiant le monde gouverné par une instance unique qui maintiendrait la paix d’un monde dans lequel chacun trouverait naturellement sa place. La situation géopolitique actuelle démontre que cette vision n’était pas exacte.
A la conception ancienne d’un monde «monopolaire globalisé» s’oppose maintenant un projet « multipolaire » organisé autour de pays conscients de leurs similitudes et qui veulent mettre en commun leurs potentiels pour en faire un ensemble à la fois autonome et performant.
Aujourd’hui, la balance penche plutôt de leur coté, tant sur le nombre d’individus concernés que sur
leur importance économique. Logiquement, cette nouvelle architecture géopolitique devrait s’imposer, mais l’Occident, qui a beaucoup à perdre dans la mesure où il est peu probable que les pays de l’Union européenne, trop dépendants économiquement et politiquement des États-Unis, se joignent à cette démarche, acceptera-t-il ce projet?
Le piège de Thucydide, évoqué par Graham Allison en 1971, risque fort de se refermer sur le monde en provoquant un conflit armé entre l’Occident et le reste du monde.
Les prochaines semaines et les prochains mois risquent d’être, de ce point de vue, décisifs.
Source : https://lecourrierdesstrateges.fr/2023/08/07/pourquoi-le-dollar-est-il-si-menace-aujourdhui-par-jean-goychman/
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