L’université de Shanghai vient de publier le énième classement de ses consœurs à travers le monde. Sans surprise, ce classement consacre la domination anglo-saxonne dans le monde de l’enseignement supérieur, sur des critères éminemment contestables. La France s’enorgueillit cette année d’être le seul pays non anglo-saxon à caser l’un de ses établissements dans les vingt premiers mondiaux. Mais, derrière cet exercice annuel de communication, c’est la perte réelle d’influence de l’université française dans le monde qui devrait surtout inquiéter les Français. Plus que jamais, les poussiéreuses et bureaucratiques universités hexagonales perdent chaque année un peu plus d’attractivité sur la scène internationale, affaiblissant sans cesse notre influence dans le monde.
L’alignement des drapeaux est évidemment parlant : l’influence anglo-saxonne dans le monde universitaire est écrasante, du moins en apparence, puisque, sur les 20 premiers établissements classés par l’université de Shanghai, 15 sont américains, 3 sont britanniques, 1 est français, et le 20è est suisse. On notera avec intérêt que le premier établissement chinois est 22è… et que l’université de Shanghai elle-même ne se classe que 46è… (4è établissement chinois). On ne pourra donc soupçonner les Chinois d’avoir bâti un classement pour mieux les mettre en avant.
A quoi sert le classement de Shanghai ?
Une illusion très française consiste à croire que ce classement, bricolé il y a une vingtaine d’années par l’université de Shanghai pour justifier des crédits d’État en faveur de la modernisation des universités chinoises, a une valeur scientifique. En réalité, la France est l’un des seuls pays occidentaux à accorder une telle importance à ce classement. La Chine elle-même s’en détache.
Dans la pratique, ce classement mélange les pommes et les choux, et n’a guère de sens universitaire en soi. Il valorise les universités disposant d’une “taille” importante, avec une fonction de recherche tournée vers les publications internationales, sans forcément prêter attention à la qualité des contenus pédagogiques.
Sa principale utilité est de montrer que, dans la course au rattrapage des USA par la Chine, cette dernière souffre encore de nombreux handicaps. On peut d’ailleurs se demander pourquoi la Chine continue à nourrir un classement qui donne le sentiment de sa misère universitaire face à la prospérité anglo-saxonne.
La diplomatie universitaire comme vrai enjeu
En réalité, le véritable enjeu n’est pas, contrairement à ce que paresseusement la presse subventionnée véhicule en France, de passer de la 16è à la 15è place au classement de Shanghai, qui intéresse somme toute très peu de gens. Le véritable enjeu est d’attirer de bons étudiants dans nos universités pour les former et nouer avec eux des liens d’influence durables qui serviront l’influence et le rayonnement français dans les années, et même les décennies à venir.
Sur ce point, l’indicateur pertinent n’est certainement pas le classement de Shanghai, mais le classement des étudiants par origine dans les universités mondiales. C’est ce classement qui permet de mesurer l’attractivité réelle des systèmes universitaires, et d’avoir une première représentation des liens futurs d’influence de chaque pays dans le monde.
Ce classement-là témoigne de la perte progressive d’influence de la France, et il devrait plutôt inquiéter les Français.
Une simple lecture du tableau publié par Campus France permet de mesurer l’étendue des dégâts :
Donc, de 2015 à 2020, le nombre d’étudiants en “mobilité” a augmenté de 32%. Des pays comme les Émirats Arabes Unis ou la Turquie ont fait le plein, ce qui témoigne d’un vrai dynamisme. Ils ont tiré la moyenne vers le haut. La Chine et le Canada ont pratiquement doublé le nombre de leurs étudiants étrangers sur cette période. L’Allemagne, l’Italie, le Japon, ont surperformé, très au-dessus de la moyenne mondiale.
La France, en revanche, a sous-performé, passant progressivement de la quatrième à la sixième place mondiale avec seulement 250.000 étudiants étrangers sur son sol, quand la Grande-Bretagne, en a plus du double.
Tiers-mondisation des universités françaises
Mais, en soi, ces chiffres pourraient ne pas être inquiétants s’ils révélaient, par ailleurs, une sorte de construction positive dans la durée qui constitue une vraie concurrence vis-à-vis de nos voisins industrialisés. Le problème est que la perte d’influence de la France s’accompagne d’une tiers-mondisation de ses universités dont le tableau suivant est la preuve :
Comme on le voit, Campus France organise une partie de bonneteau : officiellement, en 2020, nous comptions 250.000 étudiants étrangers en France, qui passent miraculeusement à près de 400.000 deux ans plus tard, avec seulement 21% d’augmentation. Voilà qui ressemble à du traficotage de chiffres en beauté. Mais qu’importe !
Que constate-t-on sur ces chiffres officiels ? Parmi les 10 premiers pourvoyeurs d’étudiants, un seul est asiatique : la Chine, avec 27.500 étudiants. Deux sont européens : l’Italie et l’Espagne, avec 30.000 étudiants à eux d’eux. Les autres pays sont africains, anciens membres de l’empire, sauf le Liban, qui est francophone et placé sous mandat français en 1918.
Bref, l’influence universitaire française est désormais limitée aux pays paupérisés d’Afrique et d’Europe. Elle est loin derrière celle de l’Allemagne qui, pur 2019, affichait ces chiffres
:
Donc, l’Allemagne parvient attire 40.000 étudiants chinois, 20.000 indiens, plus de 10.000 russes : autant de pays stratégiques que la France aurait intérêt à flatter, à choyer, mais dont elle est cruellement absente.
Donc, l’Allemagne parvient attire 40.000 étudiants chinois, 20.000 indiens, plus de 10.000 russes : autant de pays stratégiques que la France aurait intérêt à flatter, à choyer, mais dont elle est cruellement absente.
Une diplomatie universitaire sous domination américaine
Reste que, in fine, il existe aujourd’hui une diplomatie universitaire, qui est une diplomatie du soft power. Elle s’exerce par l’intermédiaire d’outils d’influences comme l’accueil d’étudiants et de diplômés sur le sol américain.
Pour mémoire, nous rappelons ici l’interview que Paul-Marie Couteaux nous avait donnée sur l’influence américaine en Europe :
Dans le domaine universitaire, la stratégie est la même.
Source : https://lecourrierdesstrateges.fr/2023/08/16/derriere-le-classement-de-shangai-lavachissement-universitaire-francais/
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.