Lorsqu’on tente de réfléchir sur l’idée même de politique c'est-à-dire de s’interroger simplement sur ce dont on parle, il s’avère immédiatement que l’on doit utiliser des termes et des idées qui ne sont pas réellement définis ou du moins dont les définitions présupposées sont historiquement variables, voire contradictoires et, en tous cas, sujettes à interprétations.
En particulier les concepts d’ « État », de « Nation », et de « République », employés en permanence par tous, sont des objets intellectuels très surprenants par la plasticité et la multiplicité de leurs sens. En apparence ils sont pourtant compris et pratiqués comme des références établies et immuables dont toutes les variantes semblent connues et faire consensus. Mais ce sont en réalité des abstractions, de sens imprécis, dont l’étymologie nous ouvre des abîmes de perplexité…
En particulier les concepts d’ « État », de « Nation », et de « République », employés en permanence par tous, sont des objets intellectuels très surprenants par la plasticité et la multiplicité de leurs sens. En apparence ils sont pourtant compris et pratiqués comme des références établies et immuables dont toutes les variantes semblent connues et faire consensus. Mais ce sont en réalité des abstractions, de sens imprécis, dont l’étymologie nous ouvre des abîmes de perplexité…
Commençons donc par la notion d’ « Etat »
Etymologiquement issu du latin « status » (action de se tenir) et de « stare » se tenir debout. Le mot latin signifie déjà également « forme de gouvernement » mais aussi « situation d’une personne ». Tout ces sens se retrouvent en français et sont liés par l’idée générale de « manière d’être » concept valise s’il en est qui va être particulièrement investi.
Mais ce n’est qu’à la fin du XIVème siècle qu’il va désigner « un groupement humain soumis à une même autorité » puis « l’autorité souveraine qui s’exerce sur l’ensemble d’un peuple et d’un territoire ». S’y trouvent alors réunis les quatre éléments qui en étayent la structure : L’autorité, la souveraineté, le peuple, et le territoire. Et c’est ce dernier qui me semble être à l’origine de tout. Car l’on peut émettre l’hypothèse que les cueilleurs-chasseurs de la préhistoire en devenant sédentaires furent les véritables instigateurs des embryons d’états. Devant par nécessité défendre et protéger l’espace physique où ils s’installent,, ils s’approprient les premiers « territoires », inventent la notion de frontière et fondent les premières règles attenantes. Et découvrent ainsi leur capacité à l’appropriation de l’espace naturel ! Une caractéristique de l’espèce humaine qui est peut être à l’origine de son exceptionnel destin autant qu’à sa probable déchéance. Pour l’ensemble de nos (pré)historiens rien ne vient contester, ni même simplement questionner, ce tournant dans notre « évolution » comme autre chose qu’un évident progrès (la pensée libérale inventera même l’inepte droit « naturel » à la propriété !). Pourtant à y réfléchir d’un peu plus près, cette sédentarisation n’est-elle pas une bifurcation dramatique, qui nous a irréversiblement entrainés vers un cul de sac évolutif en générant une irréversible rupture avec notre milieu naturel? Merveilleuse progéniture du monde nous l’avons réifié, le considérant comme un bien à exploiter, à réduire à notre service et à nos besoins, avec pour seule légitimité, l’assurance auto proclamée de notre supériorité. Etait-ce évitable ? Au cours des centaines de milliers d’années de cette période inconnue n’y a-t-il pas eu de grandes indécisions ? C’est d’autant plus historiquement vraisemblable lorsqu’on réalise que la sédentarisation ne se généralise qu’au néolithique (soit moins de 10000 ans avant JC), un souffle à l’échelle de l’apparition de l’homme sur terre (-2,9 Ma aux dernières estimations). La considérer comme simple étape de cette « fabuleuse » marche en avant de l’humanité vers le « progrès » (cf. Cette série rabâchée d’images anthropocentriques du singe se redressant vers l’homme !) est si loin de la réalité, et d’ailleurs de nos capacités à la connaitre, qu’il est très étonnant d’y croire encore sans réserve. Pourtant le rejet des peuples nomades (Touaregs, Roms, etc.) par les états modernes pourrait bien être la cruelle expression de cet atavisme structurel mal assumé. Comme à l’accoutumée nous n’avons aucun état d’âme, tout en la glorifiant, à oublier et mépriser notre propre histoire.
Mais, pour revenir à l’Etat comme institution, en définitive que désignons-nous par « autorité souveraine » ? L’adjectif est issu d’un latin populaire « supranus » signifiant supérieur et du bas latin « supera » dérivé de « super » ou « supra ». Dès 1050 il qualifie ce qui dépasse tout par son excellence. Il s’applique surtout à dieu en tant qu’il détient l’autorité suprême puis ensuite à une personne qui détient le pouvoir politique. Filiation que l’on retrouve dans la légitimation du pouvoir royal par le divin. Employé dans le domaine juridique il signifie « qui juge sans appel ». Il désigne aussi en droit (dès 1560) « la personne physique ou morale en qui réside la souveraineté » à distinguer de « monarque » emprunté au grec « monarkos » formé de « mon(o) » [seul, unique] et d’ « arkhos » [celui qui guide, le chef] et le mot s’est perpétué, en latin tardif, sous la forme « monarchus » [chef unique]. Différence essentielle qui s’illustre par exemple entre Etat souverain et Etat monarchique mais qui disparait lorsque l’on parle d’un Roi comme d’un Souverain car il n’y a, là, aucune ambigüité quant à son caractère élitiste et son antinomie au terme démocratie.
Par contre celui d’« autorité » est bien plus complexe et subtil dans ses sens et son historicité. C’est un emprunt au latin ancien « auctoritas » dérivé de « auctor » signifiant le fait d’être [fondateur, instigateur, conseiller, garant, vendeur, possesseur] (toutes valeurs propres au latin) et aussi [auteur], en tant que responsable d’une oeuvre. Parmi les sens du mot [auctoritas] on relève, « crédit d’un écrivain, d’un texte », et en latin d’église d’ « un texte révélé ».
On peut y voir immédiatement la dualité moderne entre l’autorité qui est imposée et/ou s’impose par un pouvoir à priori incontestable et celle qui résulte de la qualité intrinsèque d’une pensée ou d’un acte.
Et lorsqu’il s’agit de comprendre ce qu’est l’Etat il faut bien se rendre à l’évidence que l’ambivalence demeure et que ce « pouvoir souverain d’imposer l’obéissance » ne peut totalement s’expliquer par la seule contrainte physique de ses sujets. Sa forme, monarchique par exemple, ne peut perdurer que par la validation par le peuple de la légitimité de son statut. D’ailleurs sa remise en question débouchera sur 1789 ! Il lui faut impérativement susciter et entretenir une adhésion.
Nous touchons là, en fait, au pouvoir essentiel de l’Etat, si bien explicité et démontré par Pierre Bourdieu (cf. Sur l’Etat Ed. Seuil Col. Raisons d’agir), le « pouvoir symbolique ». C’est par un va et vient dynamique entre la force brute, la soumission volontaire intéressée, et le formatage des esprits que s’établit la puissance étatique, quelle qu’en soit la forme visible (La républicaine n’étant par exemple que le prolongement et l’évolution logique et nécessaire de la dynastique).
Et cet assujettissement ne peut s’opérer qu’avec la participation active de ceux qui le subissent. Le « Discours de la servitude volontaire » ou le « Contr'un » rédigé en 1549 par Étienne de La Boétie à l'âge de 18 ans reste d’une totale actualité face à la question du « comment? ». En particulier en démontrant, dans ce texte visionnaire, la préservation de l’intérêt de chacun par la distribution pyramidale des pouvoirs. Mais sa théorie de « la malencontre » comme « dénaturation d’une liberté originelle », en considérant qu’il s’agit d’une sorte d’accident de l’histoire sans nécessité, est d’une grande faiblesse conceptuelle.
La tentative d’élucidation du « pourquoi » nécessite certainement plus d’exploration de notre « nature humaine » pour tenter d’appréhender l’origine et l’évolution de nos modèles sociaux. Il faut donc partir de notre premier, et incontestable, déterminisme, notre animalité, (notre pure nature) et de l’habitude, (que l’on nomme sans réfléchir « seconde» nature!), qui commandent l’essentiel de notre existence. Cette régulation de nos vies, d’abord biologique, circadienne, saisonnière (manger, dormir, s’accoupler) rythme notre relation au monde et nous soumet de manière subliminale à notre propre condition. Et la « dénaturation » des conditions de vie « modernes », liées par exemple à l’hyper urbanisation et à l’envahissement des technologies, ne fait que substituer de nouvelles formes de comportements et d’environnements aux anciens. Les habitudes de vie « animalières » d’un cadre supérieur logé en milieu urbain ne sont certainement pas bien différentes, ni moins contraignantes que celle d’un paysan moyenâgeux ou d’un homme du Neandertal (tous ont besoin de « lieux d’aisances » !). Cette primitivité est bien évidemment constitutive de notre relation au monde et à nos semblables. Les processus de « socialisation » (étym. Cf. socius : compagnon) y prennent sources et en sont inséparables.
Penser « la société » comme une invention humaine n’est qu’un non-sens anthropocentrique! Il est d’ailleurs « amusant » de constater que l’éthologie s’arrête étonnamment aux frontières de ce que nous nommons l’humain.
A ce stade il me semble nécessaire d’affirmer l’absurdité épistémologique de la scission nature/société. Il ne s’agit pas de nier les différences considérables qui caractérisent l’infinie variété des espèces et, d’évidence, les extraordinaires capacités qui ont permis aux « grands singes » (dont nous) de jouer un rôle déterminant et dominant sur l’ensemble du monde vivant. Mais notre arrogante hégémonie sur cette planète ne prouve aucunement, par elle-même, la suprématie de notre valeur et l’affirmation de notre dissociation du reste du monde animal mais uniquement notre capacité à nous en convaincre et à « domestiquer » ce qui nous serait donc « étranger »!
Pourtant la proximité génétique (génotypes semblables à près de 99 %) de l’homme et des paninés (chimpanzé, bonobo) laisse rêveur et devrait nous convaincre de ne plus chercher l’infime grain de sable évolutif qui nous en sépare et qui est susceptible de nous permettre de continuer à idéaliser insolemment notre spécificité. Se risquer à formuler les raisons objectives de cette différenciation ne peut être qu’une projection anthropocentriste ; ce que nous faisons en permanence lorsque nous cherchons à comprendre nos origines. Notre irrécusable appartenance à la famille des grands singes aurait dû uniquement nous inciter à les observer pour nous comprendre (et vice versa !) et non pour nous en dissocier (à voir et revoir les deux films tous deux intitulés « la planète des singes »). Le « propre de l’homme », ce qui, d’après lui seul (juge et parti) le distinguerait radicalement de ce qu’il nomme lui-même « l’animal » est un non sens et une négation stupide (comme le dirait Jacques Derrida l’expression d’une « bêtise ») de son extraordinaire et transcendantale condition d’animal pensant.
Ceci réglé revenons en à cette « seconde nature » celle de nos habitudes, comme celle de tous les hominoïdés qui constituent notre famille, dans l'ordre des primates aussi nommés singes anthropoïdes ou anthropomorphes et dont nous serions le dernier embranchement!. De même que pour un grand nombre d’autres espèces animales, leurs « habitudes » primales fondent leurs initiales organisations communautaires autour de la protection et à la survie. Parallèlement, il est envisageable que la répétitivité contrainte des conduites quotidiennes produise une stabilité psychique propre à des actions exploratoires indéterminées et innovantes. Peut être est ce là l’origine de notre désir de liberté…. ? Toute société animale-humaine est régulée par la coexistence territoriale (sédentaire ou nomade / proies et/ou prédateurs), par un système de hiérarchie lié aux pulsions sexuelles, à la maternité et à la protection, la nourriture et l’éducation de la progéniture, et par une répartition de rôle spécialisé, utile au bon fonctionnement de la communauté.
(Et cela n’implique pas nécessairement une dominance patriarcale, comme la science préhistorique et protohistorique officielle et sexiste de notre époque récente l’affirme sans nuance, alors qu’il s’avère de plus en plus certain que ce ne fut pas le cas. Je renvois à un article de Wikipédia sur ce sujet, en cours d’élaboration mais suffisamment pertinent et objectif, pour mériter l’attention ! (1). De toute manière et par delà les polémiques, la logique déductive permet d’émettre l’hypothèse tangible qu’au sein d’une horde primitive seule la filiation maternelle exhibée était certaine et de ce fait donnait un indéniable pouvoir aux femelles. Ce que l’on retrouve encore de nos jours chez de nombreuses espèces animales, notamment les lions, les éléphants, et surtout les hyènes, chez lesquelles on peut observer une hiérarchie basée sur la femelle dominante et sa descendance. Et comme le mode social des bonobos, nos plus proches « cousins », est lui aussi matriarcal il y a vraiment là matière à douter d’une conception patriarcale linéaire, uniforme et orientée de la domination masculine. Pourtant celle dernière est mondialement hégémonique et se retrouve à la source (n’est ce pas aussi remarquable qu’éloquent ?) de la quasi-totalité des structures décisionnelles au pouvoir.
Cette incise, un peu longue mais indispensable, permet de mieux aborder la question qui suit forcément et nous ramène à la genèse de l’Etat :
Au sortir de la préhistoire, comment ce dernier nait-il de cet « état » originel et en quoi cette (infra) structure structure-t-elle historiquement sa forme? Ou pour le dire autrement, et comme l’affirme le « savoir certifié », sommes-nous ontologiquement déterminés par une seule matrice d’organisation social fondamentalement, sexiste, inégalitaire, élitiste et autocratique, impliquant une minorité de dominants et une majorité de dominés produisant tous inconsciemment la même doxa (2) ou bien, sommes nous seulement prisonniers d’un schème dit « naturel » mais réversible dont nous n’osons pas tester l’élasticité par crainte de perdre le confort que nous garantit notre soumission inconsciente et /ou volontaire ? La probabilité d’une société matriarcale originelle effondre l’ensemble de nos préjugés évolutionnistes et nous force à regarder encore plus notre quotidienneté comportementale contemporaine comme particulièrement suspecte. Dans un monde où la compétition est « La Loi » et où la masculinité est violemment et/ou insidieusement régnante (car, à l’échelle de la planète, il est aisée de constater que les « avancées » féministes ne sont qu’une infime concession de façade, réservées à quelques pays dits « développés » !) il est plus qu’urgent de comprendre et de critiquer ce que nous croyons être le sens progressiste de notre histoire.
Au vu du désastre généralisé en cours, facilement associable à la prédominance de la figure tutélaire du pater familias et aux structures de pouvoir qui lui sont corrélatives (chefs de tribus, de clans, de monarchie dynastiques, de famille capitaliste, etc., et bien sûr religieux car là c’est Dieu, lui même , Le Père, etc.) ne serait-il pas salutaire de penser qu’elle n’a certainement aucune légitimité « naturelle » et que bien au contraire elle n’est que soumission à une doxa archaïque; celle qui s'ébauche et s’élabore à l’aube du néolithique (3) où la prise de pouvoir du masculin sur le féminin apparait avec la sédentarisation et l’appropriation du territoire. Sa structuration progressive en ce que nous appelons de nos jours « Patriarcat » fut certainement très lente (quelques milliers d’années) et chaotique, et nos médiocres outils d’analyses des rares traces de ce passé si lointain n’en permettent qu’une connaissance parcellaire, plus interprétative qu’objective, et donc toujours sujette à controverse. Par contre la stupidité suicidaire du résultat est patente et n’est plus contestable que par ceux d’entre nous qui en « profitent » en nous dominant de toute leur imbécile et cupide arrogance et dont personne n’aura l’audace d’apparenter les caractéristiques et les déterminismes à celles et ceux de la féminité. Et si, comme Pierre Bourdieu le démontre avec rigueur dans ses cours au Collège de France « Sur l’Etat », sa constitution n’est que la mutation des pouvoirs individuels et dynastiques de quelques potentats locaux en structures administratives et bureaucratiques nécessaires au développement et à la pérennité de leurs privilèges, il n’y a plus rien de surprenant à constater aujourd’hui la collusion d’intérêt entre les institutions gouvernementales et les grands tenants du capitalisme débridé (par leurs soins) ! La genèse de l’Etat et son triomphe, considéré, à postériori, comme un incontestable progrès, n’est donc en définitive, à mon sens, que la perpétuation hypertrophié d’un atavisme mal maitrisé: L’appropriation du territoire concomitante à la sédentarisation et la nécessité de la légitimer.
Alors est-il encore possible de résister à cette aliénation (dans les deux sens du terme) et est-il concevable que ce siècle engendre une nouvelle bifurcation évolutive comparable à celle issue de la sédentarisation? J’en doute mais une force en moi continue d’espérer et d’évidence me force à écrire et à penser !
Alors essayons et tentons de nous soustraire à ce que Pierre Bourdieu nomme « habitus » c’est-à-dire « l’intériorisation individuelle inconsciente de conduites sociales et de structures mentales générée par une (infra) structure dominante (en l’occurrence l’Etat), ces conduites à leur tour reproduisant et renforçant ce processus d’assujettissement (par exemple à travers l’éducation familiale et scolaire des enfants, l’ambition d’un statut social, etc. ». Pour ce faire, il faut discerner et comprendre ce qui agit (et ceux qui agissent) en nous, tout en nous donnant l’illusion d’une autonomie décisionnelle (n’est ce pas là le décryptage que nous pouvons faire de ce qui nous est nommé Démocratie ?) et mettre à jour notre propre participation semi-consciente (4) à ce processus qui nous asservit.
Nous percevons l’Etat comme extérieur à nous alors que nous en sommes l’élément primitif et fondateur. Ne plus éprouver la domination étatique comme l’emprise d’un monstre froid et déshumanisé mais comme l’émanation de notre seule immaturité est la condition « sine qua non » du début de notre libération. L’Etat n’agit pas sur nous mais nous agissons sur nous même via les pouvoirs que nous lui avons (de grès ou de force) octroyés et continuons de lui attribuer.
A ce stade il devient indispensable de tenter de décrire une particularité contradictoire dans la constitution de l’état moderne (toujours brillamment mise en évidence par Pierre Bourdieu) (5) qui se manifeste par un double « mécanisme » d’apparence antagonique et qui crée une profonde ambigüité dans la perception que nous en avons : Il centralise et monopolise le(s) pouvoir(s) tout en intégrant, unifiant et ainsi universalisant les multiples disparités (territoriales, langagières, juridiques, éducatives, etc.). Il crée ainsi une norme consensuelle qui implique une soumission ou une exclusion des pouvoirs locaux réfractaires. Il faut décréter une langue « nationale » pour qu’apparaissent des « patois » et une Education Nationale » pour désigner des incultes. Mais cette instruction de masse est elle-même génératrice de rébellion potentielle tant il est inéluctable qu’un esprit éclairé résiste à l’endoctrinement. Il est donc vital pour l’état d’éduquer (au sens de domestiquer) sans démystifier. De fait cette incontestable conquête du « Siècle des lumières » fondée sur l’égalité des droits des individus quelle que soit leur lignée, en totale opposition au droit dynastique, ne fut pas sans âpres combats. Et tendrait à prouver que les agents sociaux sont à même d’influer le cours de l’histoire. Pourtant au-delà de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, voire des mathématiques, la volonté affichée à l’époque était bien plus ambitieuse et politique. L’Etat se voyait alors imposer la fonction d’éduquer ses ressortissants pour qu’ils deviennent aptes à exercer leurs droits et devoirs de citoyens responsables et avisés. A terme c’est son dépérissement qui était recherché….Lors il n’est pas étonnant de constater que cette « ambition » a pratiquement disparu des programmes (exception faite de quelques sporadiques et indigestes cours d’ « instruction civique » d’une volontaire inefficacité. Bien que l’Etat, à travers l’école, affiche une vocation d’intégration et d’universalisation (ce qui peut être nommé et perçu comme un progrès social), il doit, comme instance structurant son propre pouvoir, éradiquer du champ éducatif tout ce qui pourrait attenter à sa domination et favoriser les comportements et représentations symboliques aptes à renforcer et légitimer sa doxa. J’y vois, par exemple, l’explication de l’énigmatique pérennité du maitre et du cours magistral comme pièces maitresses de l’arsenal pédagogique, remarquables survivances d’une éducation autocratique, en parfaite contradiction avec toute instruction réellement démocratique. De même que l’hyper-hiérarchisation, administrative et professionnelle, du « corps enseignant » dément d’évidence sa volonté de façade à produire des individus libre et égaux en droits. A moins, bien sûr, de considérer la hiérarchie comme un des piliers de l’idéal démocratique ?
Cet exemple démontre sobrement qu’il est illusoire de penser pouvoir compter sur l’Etat (du moins ce qui se nomme et que nous nommons ainsi) pour affaiblir ses « fonctions vitales », celles qui le créent, le renforcent et améliorent son efficacité. Il, enfin ceux qui le servent, est ontologiquement conservateur, hiérarchisé, dissimulateur, machiavélique, etc., donc anti-démocratique et la possibilité d’un état révolutionnaire est totalement contradictoire avec l’essence même de sa constitution.
D’ailleurs l’association du concept de nation à celui d’état, probablement une mutation sémantique et « démocratisée » de celui de royaume, renforce l’apparente radicalité de cette affirmation.
En effet « le mot nation vient du latin nascio ou natio, qui signifie naître, et le terme latin nation désignait les petits d'une même portée, et par extension groupe humain de la même origine ». Or, d’évidence, lorsque l’on veut identifier un peuple à un territoire uniquement par la naissance on s’affronte à des contradictions irréductibles et essentiellement à celle confrontant « le droit du sang à celui du sol» ignorant délibérément l’endémique mobilité des peuples. Les frontières, par essence artificielles, n’indiquent que les limites de pouvoir d’un état souverain avec ses voisins et en aucun cas l’homogénéité naturelle d’une population. Il existe autant de nations en puissance que de revendications identitaires et c’est d’ailleurs là que ce trouve un autre des éléments de la genèse des Etats. C’est la « fédération » par un pouvoir dominant et conquérant d’origine dynastique (par l’armée et/ou la police) des petits pouvoirs locaux (en vrac : clans, coteries, ethnies, familles, groupes, hordes, partis, peuplades, etc.) et la constitution parallèle d’un pouvoir symbolique générant et suscitant l’adhésion (ou soumission) volontaire, qui permet d’ aboutir à des entités territoriales de grandes tailles figées (temporairement !) à l’intérieur de frontières tracées au sang humain et qui, in fine, s’auto désigne comme Etat Souverain. L’Histoire nationale venant après coup « raconter » et légitimer cette fabuleuse (au sens propre) identité commune.
En définitive le mot « Nation » ne signifie rien d’autre que ceux qui nous dirigent tentent de lui faire dire. Il a pour seuls objectifs de flatter l’orgueil des populations, de leur faire croire à leur présupposée supériorité, de les agglutiner derrière une autre définition creuse et sans réel fondement : L’identité nationale (être français ne prend son seul véritable sens que par opposition à ceux qui ne le sont pas). L’ignoble (mais heureusement avorté) tentative de débat français sur ce thème par des hommes et femmes (soit disant) politiques en est l’éclatante démonstration. Il garde le même sens général et abstrait dont toute pratique du pouvoir peut user et abuser à sa guise. Car il est facile de constater immédiatement qu’en stigmatisant la culture de populations nées sur le sol français mais d’ « origines étrangères » ce gouvernement bafoue l’idée même de nation qu’il prétend ainsi renforcer ainsi, bien sûr, que celle de démocratie, par essence contraire à toute discrimination de race et/ou d’origine. L’Etat Nation Démocratique est donc une pure antilogie.
Quant au mot « république », il provient du latin res publicae qui signifie au sens propre « chose publique » et désigne dès 1140 le bien public, la propriété d’état, puis l’état, les affaires publiques et la vie politique, spécialement le gouvernement dans ces rapports à l’extérieur, et aussi une forme de gouvernement. Tout cela !
Aujourd’hui il est repris avec un sens politique circonscrit, courant et majoritaire, défini juridiquement par la révolution de 1789, de « forme d’état dans laquelle les citoyens délèguent leur souveraineté par le vote » autrement dit des « démocraties représentatives ». Le saut sémantique est immense, et particulièrement ambigu, car il nous conduit d’une définition sans véritables contours, la chose publique, que l’on pourrait identifier à la politique (si ce mot pouvait être encore employé sainement), à une forme de gouvernement aux règles établies et gravées dans le marbre des constitutions. La référence aux républiques Romaines et surtout Athéniennes (5) servant de légitimation antique aux principes modernes régissant les nôtres. Ce que l’actualité éditoriale confirme (cf. La République de Platon (6) d’Alain Badiou) même s’il me semble que nous projetons bien facilement nos conceptions et perceptions contemporaines sur une période historique mythifiée et muséifiée. Ensuite, en France, le 20 septembre 1792, la Convention nationale proclame d’emblée l'abolition de la royauté, l'avènement de la République. Elle va devenir le référent symbolique de nos institutions démocratiques à venir.
Aujourd’hui, c’est donc un terme à la fois rempli (en vrac) de toute cette richesse historique et pourtant sans véritable signifiance si ce n’est celle que chacun d’entre nous peut lui attribuer. Il continue à être utilisé comme l’équivalent de liberté et de démocratie alors qu’instrumentalisé jusqu’à la corde (vive la République, vive la France !), il a servi et sert encore toutes les manipulations idéologiques des tyrannies au pouvoir. De la République de Weimar (aboutissant à l’élection démocratique d’Hitler) aux républiques populaires, de Chine ou d’ailleurs, de l’ex Union des Républiques Socialistes Soviétiques aux nouvelles Républiques Islamiques et, en France, de celle de Pétain à celle d’aujourd’hui, ce mot n’est plus autre chose que le paravent de nos renoncements. Cette vérité, placée en évidence sous nos yeux, semble pourtant indécelable, comme s’il était devenu possible d’utiliser le même vocable pour dire la vie et la mort !
Pourtant force est de constater que ce « brouillage » intellectuel se généralise et est même devenu, inconsciemment ou stratégiquement, la norme du discours politicien. Nous sommes là bien au-delà de la démagogie, mais dans la manifestation de l’incapacité institutionnelle (ou plutôt de son manque de volonté) à établir du vrai pour bannir l’imposture et la bouffonnerie généralisées ; alors que ces dernières sont flagrantes et qu’elles s’exhibent même en France depuis cinq ans au plus « haut sommet de la République » sans provoquer la moindre récusation de l’Etat (et de ses « grands serviteurs ») et le discréditent ainsi sans appel ! Et le cauchemar s’est amplifié en ce début 2012 submergé que nous sommes par l’effroyable pantalonnade électorale. Le remugle qui s'exhale de ce pitoyable théâtre mité, où s’agitent quelques marionnettes encore convaincues de leur utilité, nous asphyxie et nous prive de toute espérance. La compétition finale qui fait rage, en ce triste printemps 2012, pour obtenir 6 millions de suffrages nauséabonds, avilie définitivement tous ceux qui s’y vautrent et préfigure du sordide à venir. Le maitre d’oeuvre depuis cinq ans aux manettes de cette désolation, dont le nom ne doit plus être écrit ni prononcé tant nos esprits en sont saturé(7) et dont l’exécrable arrogance narcissique est une perpétuelle insulte à l’idée de démocratie, sera, peut être, enfin évincé. Mais n’a-t-il pas fait la place à bien pire que lui ?
A avoir flatté la fange stagnante des esprits faibles pour obtenir leur adhésion, à avoir éhontément menti à toutes et à tous au grès de ses revirements et tressautements permanents, à n’être au bout du compte que la triste caricature de son propre pantin, cet improbable et insignifiant « gugusse » a finit par dynamiser le ferment fasciste, inlassablement entretenu depuis des décennies par la famille Lepen et sans cesse instrumentalisé par l’ensemble de la classe politique, dans ce lugubre pays pourtant un temps dit (il n’y a pas si longtemps…)« des droits de l’homme » !
Le 28 avril 2012
Singulier.eu
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(1) http://fr.wikipedia.org/wiki/Matriarcat Travaux de Marija Gimbutas. Ses théories, en particulier celle du culte de la Déesse qui se serait universellement répandu durant toute la préhistoire, ne se baserait pas sur une discrimination sexuelle, mais sur l'importance accordée au féminin, la femme incarnant la reproduction de l'espèce et son espoir de pérennité dans une dimension temporelle qui n'était pas linéaire comme elle le devint avec le patriarcat, mais circulaire et cyclique où prend naissance le mythe de « l'éternel retour »
(2) « La doxa est un point de vue particulier, le point de vue des dominants, qui se présente et s'impose comme point de vue universel; le point de vue de ceux qui dominent en dominant l'État et qui ont constitué leur point de vue en point de vue universel en faisant l'État. » (Pierre Bourdieu Raisons pratiques, Seuil, 1994, p.129)
(3) La définition initiale, fondée sur une innovation technique, a progressivement cédé la place à une définition socio-économique : au Néolithique, les groupes humains n’exploitent plus exclusivement les ressources naturellement disponibles mais commencent à en produire une partie. La chasse et la cueillette continuent à fournir une part substantielle des ressources alimentaires mais l’agriculture et l’élevage jouent un rôle de plus en plus important. L’agriculture implique le plus souvent l’adoption d’un habitat sédentaire
et l’abandon du nomadisme des groupes de chasseurs-cueilleurs paléolithiques et mésolithiques. La chronologie du Néolithique est particulièrement délicate à établir puisqu'elle diffère en fonction des régions du monde et en fonction des critères de définition que l'on retient. Plutôt qu'une époque, le Néolithique est considéré par certains auteurs comme un stade culturel défini par un ensemble de traits techniques, économiques et sociaux. Il existe toutefois un consensus assez large pour reconnaître qu'un des foyers de néolithisation les plus anciens se situe dans le croissant fertile, au Moyen-Orient. Vers la fin du IXe millénaire av. J.-C., les groupes humains, déjà en partie sédentaires, commencent à y domestiquer les animaux (mouton, chèvre) et les plantes (blé, orge suivis de légumineuses) dans un but alimentaire. Au début du VIIe millénaire av. J.-C. : fabrication de poteries et pratique du tissage.
(4) Une totale inconscience de notre aliénation n’offrirait plus le moindre espoir. La prise de conscience est un passage progressif et non une révélation. La grande majorité des populations accédant à l’ « artificiel bonheur consumériste » en pressent très vite la triste inanité même si la promesse sans cesse renouvelée d’un mieux être par la surenchère (maison après appartement, écran mural numérique 3D après TV hertzienne, grosse Mercédès après petite Peugeot, etc.) peut retarder indéfiniment (au moins à l’échelle d’une vie) une logique remise en question.
(5) Je renvois encore une fois à ses cours au Collège de France « Sur l’état » et tout particulièrement à celui du 14 mars 1991 (page 348)
(6) La République de Platon, cette méditation philosophique et politique dialoguée (autant il est possible de la résumer) tend à démontrer que s’interroger sur l’idée de justice et de sa nécessité conduit à penser l’organisation sociale idéale susceptible de la fonder et de la garantir. Elle est certainement le premier texte idéologique.
(7) L’accession de ce personnage à la tête de l’Etat Français est une forme de cauchemar éveillé dont nous n’avons peut être pas encore mesuré l’ampleur des conséquences. L’analyse critique demeure vaine puisqu’en définitive, toute parole (même incisive) exprimée à son endroit le conforte, sa légitimité élective le rendant, par essence, invulnérable. (Lorsque Emanuel Todd l’a qualifié de « machin » sur un plateau de télé, Jacques Attali (relayé par l’animateur et une grande partie des présents se sont offusqués que l’on traite ainsi un président de la République). Pourtant, in fine, c’est celle de la fonction elle-même qu’il a rendu inique au point que le nouveau prétendant a cru nécessaire de se présenter comme « normal » et promet de réformer le statut (ce dont il est permis de douter tant il est prouvé que l’accession au « trône » transforme irrémédiablement la personnalité de l’ « élu »). D’autant qu’un « président normal » n’évoque qu’une nouvelle étrangeté et qu’après qu’un tel « olibrius » ait pu le devenir, plus de président du tout ne devrait être que la seule espérance…
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