07 juillet 2023

Pourquoi la France a-t-elle perdu l’Afrique ?


On a très longtemps utilisé le terme de « France Afrique » lorsque l’on parlait des relations diplomatiques avec les ex-colonies françaises sur le continent. Un épisode marqué par ailleurs par de nombreuses « affaires ». Mais la page est désormais tournée : Paris n’est plus la première puissance mondiale en Afrique francophone. Et désormais, le sentiment anticolonial couvre tous les aspects de l’agenda africain.
Le 14 juin, le président algérien, Abdelmajid Tebboun, a signé un décret selon lequel les lignes suivantes, mentionnant la France comme puissance coloniale, sont réintégrées dans l’hymne national algérien :

« Oh, France, le temps des bavardages est révolu.
Nous l’avons fermé comme un livre est fermé.
Ah la France ! Préparez-vous, le jour est venu où vous devrez payer vos factures.
Voici notre réponse, notre révolution rendra son verdict.
Parce que nous avons décidé – l’Algérie vivra, soyez-en témoins !

Ces vers avaient été retirés de l’hymne par décision de l’ancien président de l’ANDR, Chadli Bendjedid, en 1986 pour des raisons politiques. L’Algérie a été une colonie française de 1830 à 1962. Ce pays d’Afrique du Nord a obtenu son indépendance à la suite de la guerre de libération nationale, qui a duré de 1954 à 1962.

Un mouvement généralisé de rejet de la France

L’exemple de l’Algérie vient d’être suivi par le Niger. Le 23 juin, le Parlement de ce pays a approuvé un nouvel hymne national, qui a remplacé le précédent, écrit en 1961 par un compositeur français et perçu par beaucoup comme une gratitude envers la France pour l’accession à l’indépendance d’un pays africain. Le nouvel hymne s’intitule « Au nom de la patrie » et contient un couplet dédié à la lutte anticoloniale. L’hymne précédent, écrit par le compositeur Maurice Albert Thirier, contenait les vers suivants : « Soyons fiers et reconnaissants de notre nouvelle liberté ». Cette gratitude s’adressait à la France.

Le 8 juin de cette année, des militaires de l’armée de la République du Tchad ont arrêté cinq militaires français qui agissaient sans l’autorisation des autorités tchadiennes à la frontière avec le Soudan. Ils ont confisqué leurs armes et documents. Le porte-parole de l’armée française, Pierre Godillier, a noté que « cela a été fait de manière très agressive ».

Le journal turc, Yeni Şafak, commente ainsi ces évènements : « La France, qui a exploité l’Afrique pendant des décennies et était considérée comme le principal coupable de l’instabilité dans la région, est devenue persona non grata sur le continent. Alors que de nombreux pays de l’Algérie au Burkina Faso ont décidé d’effacer la présence de l’ancien colonialiste sur leur territoire, l’autre jour, le Tchad a arrêté l’armée française… C’est le traitement de la France, désormais expulsée de nombreux pays africains, comme le Burkina Faso et le Mali. Cela démontre une fois de plus que l’influence de la puissance coloniale sur le continent s’affaiblit ».

Le concept de France Afrique mis à mal

En mars 2023, le président français Emmanuel Macron avait effectué une tournée de cinq jours en Afrique, visitant le Gabon, l’Angola, la République du Congo et la République démocratique du Congo. Avant le début de la route africaine, Macron avait annoncé la fin de l’ère de « l’Afrique française ».

Le concept de France Afrique (« Françafrica ») était entré en circulation à l’aube de la décolonisation. Félix Houphouët-Boigny, premier président de la Côte d’Ivoire indépendante, en a été considéré comme l’auteur, soulignant la proximité entre Paris et les anciennes colonies. Au fil des années, le terme a pris un sens différent, devenant un symbole du néo-colonialisme.

Le mécanisme de France Afrique reposait sur la corruption de dirigeants africains, l’envoi de mercenaires comme Bob Denard sur le continent noir en échange de conditions minières préférentielles pour des entreprises comme Total. Les dictateurs africains pro-français (Congo, Sénégal, Burkina Faso, Gabon, Côte d’Ivoire) avaient rendu un véritable hommage aux présidents français.

Après la fin de la guerre froide, la position de la « France Afrique » a été largement ébranlée. Le 13 octobre 2012, le président français François Hollande, s’adressant aux députés de l’Assemblée nationale du Sénégal à Dakar, avait promis que désormais Paris discuterait avec les États africains sur un pied d’égalité. Et la pratique du néo-colonialisme deviendra une chose du passé. « L’époque de ce qu’on appelait la « France Afrique » est révolue », avait-il déclaré. Cependant, François Hollande a en fait relancé le concept France Afrique en organisant des interventions militaires au Mali et en République centrafricaine en 2013.

Un sentiment anti-français s’est développé ces dernières années

Jusqu’à récemment, le gouvernement français insistait sur la nécessité de la présence de l’armée française dans ces pays. Or, lors de la rencontre des dirigeants des cinq pays du Sahel africain (G5 Sahel) en janvier 2020 avec le président Macron, dans la ville française de Po et à la veille du sommet, des tensions sont apparues : Emmanuel Macron et la ministre française de la Défense Florence Parly ont déclaré que « les peuples du Sahel… ont besoin de troupes françaises … ». Le Sahel est une région de savane tropicale en Afrique : une sorte de transition du Sahara au nord vers des terres plus fertiles au sud. Il recouvre 10 pays et 300 millions de personnes de l’océan Atlantique à la mer Rouge.

Le sentiment anti-français s’est accru dans les pays du Sahel ces dernières années. Lors de sa première tournée officielle en Afrique, Macron s’était rendu au Burkina Faso, où il avait été accueilli par une attaque terroriste. A la veille de son arrivée dans la capitale du pays, Ouagadougou, le 28 novembre 2017, des motards au visage couvert avaient lancé une grenade sur un véhicule transportant des forces spéciales françaises. Une autre grenade avait explosé sur le trottoir, blessant grièvement des passants. Lors de la visite, les rassemblements et les piquets ne s’étaient pas arrêtés : les manifestants avaient exigé le retrait des troupes françaises du pays et jeté des pierres sur la voiture de Macron. Sous les fenêtres de l’université de Ouagadougou, où le président français avait rencontré des étudiants, les manifestants avaient scandé : « A bas l’impérialisme ! », « Non aux bases françaises au Burkina Faso et en Afrique ! ». Lors d’une réunion avec des étudiants de l’université de la capitale, il avait été demandé à Macron pourquoi si peu d’étudiants africains étudient dans les universités de la République française et pourquoi tant de soldats français sont dans les pays africains. La réponse de Macron a été extrêmement grossière : “Ne me parlez pas comme ça des soldats français, vous n’avez qu’à les applaudir ». Le politologue français, Thomas Dietrich, avait noté que lors de cette visite, « Macron s’est comporté comme un petit fonctionnaire colonial ivre d’absinthe ».

L’échec de Barkhan en dit long

Cerise sur le gâteau, il faut mentionner l’impuissance des militaires français dans leurs actions contre les militants africains. Le 15 août 2022, le dernier soldat français a quitté le Mali après neuf ans passés dans ce pays dans le cadre de l’opération antiterroriste Barkhane. « Aujourd’hui à 13h00, le dernier détachement des forces de Barkhan, situé sur le territoire du Mali, a franchi la frontière entre le Mali et le Niger », avait indiqué l’état-major français. Les troupes françaises avaient été retirées de la ville de Tombouctou et des colonies de Kidal et de Tesalit.

Le même jour, le Mali avait demandé au Conseil de sécurité de l’ONU de convoquer une réunion d’urgence, accusant la France de soutenir « des groupes djihadistes et d’espionnage ». Une lettre du ministre malien des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop, au Conseil de sécurité de l’ONU énumérait « des violations répétées et fréquentes de l’espace aérien malien » par des avions français, ainsi que des largages de fret à des groupes djihadistes. Il y avait aussi des accusations d’implication des Français dans les massacres de la ville de Gossy. Une fois avoir retiré l’unité française de là, des charniers y avaient été découverts.

L’enjeu des mines d’uranium et du commerce de minerais

Abubakar Sidiki Fomba, membre du Conseil national de transition malien, avait déclaré à RIA Novosti que « l’armée française ment, fabrique des faits, veut cacher des puits miniers. S’il y a des charniers là-bas, alors elle en est responsable. Selon Sidiki, une recherche a également commencé pour des installations secrètes de stockage de déchets nucléaires, créées illégalement par les Français ».

Le grand gisement d’uranium de Falea est situé à 350 km de la capitale de la république, la ville de Bamako. Il a été découvert en 1977 par des employés de la société française COGEMA. En 2016, les droits de développement ont été achetés par le canadien GoviEX. Selon l’AIEA, depuis 2017, l’uranium n’a pas été extrait de ce gisement. Cependant, ces dernières années en Afrique, avec la participation directe de la France, un réseau d’extraction illégale de substances radioactives nécessaires aux centrales nucléaires françaises et aux forces nucléaires s’est créé .

Pour dissimuler son activité ténébreuse au Mali, la France a organisé et mené une « opération anti-terroriste » pluriannuelle. En 2013-2014, l’armée française a mené l’opération Serval au Mali contre les Touaregs et les islamistes qui se sont rebellés dans le nord du pays. Et en 2014 l’opération Barkhan est devenue la suite de Serval. Non seulement le contingent militaire français de l’opération Barkhan, mais aussi des groupes islamistes radicaux et même des tribus Touaregs étaient impliqués dans le commerce illégal de l’uranium.

L’une des raisons de l’entrée du contingent militaire français au Mali en 2013 était que les gisements d’uranium étaient sous le contrôle des militants qui s’étaient emparés des deux tiers du territoire malien. Le Frankfurter Allgemeine Zeitung allemand avait écrit « que la France est intervenue dans le conflit afin d’avoir accès à de l’uranium bon marché pour ses centrales nucléaires ». Les Français ont délibérément saboté la lutte contre toutes sortes de partisans. Au cours de l’opération Barkhan, les formations illégales n’ont fait qu’étendre leurs opérations et prendre le contrôle de 80 % du pays. 

L’échec de la politique africaine de la France lui est largement imputable

Peut-être que les autorités maliennes n’auraient pas osé expulser les Français du pays depuis longtemps. Mais elles se sont inspirées de l’exemple de la République centrafricaine, qui a longtemps été la colonie française la plus « apprivoisée », comme Alesya Miloradovich, un employé de l’Académie de géopolitique de Paris, l’a noté dans une interview à la FSK : « La main des Français a amené les Russes au Mali et en RCA. On sait que la guerre contre les militants en République centrafricaine dure depuis des décennies, des troupes françaises étaient stationnées dans le pays, qui auraient fourni une sorte de sécurité conditionnelle au régime au pouvoir, mais en fait à leurs hommes d’affaires, ramassant ressources des Africains pour rien ».

Le sentiment anti-français couvre tous les aspects de l’agenda africain. Le 23 juin, le portail Le journal de l’Afrique a publié un article intitulé « Comment l’État français protège les maraudeurs d’Afrique ». Il s’indigne que le tribunal administratif de Paris ait annulé une autorisation judiciaire qui permettait de mener des enquêtes indépendantes sur régimes de corruption associés à la métropole des fonctionnaires corrompus africains. Ceci est fait, selon la publication, « pour étouffer les poursuites qui portent atteinte à la paix de la Françafrique ».

Malgré tous les efforts de l’Elysée pour renier son passé colonial, la stratégie de la France sur le Continent Noir est toujours intéressée et ne répond pas aux intérêts des pays africains.

Source : https://lecourrierdesstrateges.fr/2023/07/07/pourquoi-la-france-a-t-elle-perdu-lafrique-par-vpoanalytics/

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.