Il y a donc eu une deuxième attaque kiévienne contre le pont de Crimée. Les interprétations ne vont certainement pas manquer devant ce qui est d’abord un geste spectaculaire et symbolique, – l’aspect opérationnel rencontrant ainsi parfaitement l’avantage en matière de communication. Il est bon de s’attarder à ce que nous pourrions en dire, du fait justement, – chronique oblige, – que nous en avons une qui nous est aussitôt apparue. De ce point de vue, le titre aurait aussi bien pu être, pour bien mettre en évidence le paradoxe élégant de cette attaque qui concernerait ainsi, et assez peu, la Russie elle-même : “La réponse de Mister Z. à son humiliation de Vilnius”.
D’abord, un sacrifice rapide aux “faits”, c’est-à-dire aux données d’information des autorités russes annonçant et détaillant l’attaque. (Sur ‘SputnikNews’, ce jour.)
« L'attaque contre le pont de Crimée a été commise par Kiev, a déclaré lundi le ministère russe des Affaires étrangères.
» La décision de cibler le pont de Crimée a été prise par des responsables ukrainiens, leurs chefs militaires et avec la participation des services spéciaux américains et britanniques, a ajouté le ministère dans un communiqué.
» Dans la nuit, deux véhicules navals sans pilote ont attaqué l'infrastructure, selon le Comité national antiterroriste russe.
» “À 3 h 05 [6 h 05 GMT], deux véhicules sous-marins sans pilote ukrainiens ont lancé une attaque contre le pont de Crimée. À la suite de l'attaque terroriste, la partie routière du pont de Crimée a été endommagée, tandis que deux adultes ont été tués et un l'enfant a été blessé”, indique le communiqué.
» Les enquêteurs russes sont en train d'identifier les personnes impliquées dans l'organisation de l'attaque terroriste sur le pont de Crimée menée par les services spéciaux et les unités armées du régime de Kiev, selon la commission d'enquête russe.“Les examens nécessaires ont été nommés dans le cadre de l'affaire pénale. L'enquête identifie des individus des services spéciaux ukrainiens et des unités armées impliquées dans l'organisation et l'exécution de ce crime”, a déclaré le comité. »
La participation, ou le “soutien” des deux services anglo-saxons habituels, – CIA et MI6 par exemple, – est effectivement possible sinon probable, d’autant plus compte tenu de l’aspect technologique de l’attaque avec l’emploi d’engins sous-marins guidés, probablement des drones-kamikaze. Le ministère des affaires étrangères russes insiste là-dessus, avec une communication sur les réseau sociaux.
« “Ce régime [le gouvernement ukrainien] est terroriste et présente toutes les caractéristiques d'un groupe criminel organisé international”, a déclaré le ministère sur les médias sociaux.
» “Les fonctionnaires et le personnel militaire ukrainiens prennent ces décisions avec l'aide directe des services spéciaux et des politiciens américains et britanniques. Les États-Unis et la Grande-Bretagne gèrent une structure terroriste qui s'apparente à un État”, ajoute la déclaration. »
Cette éventuelle “participation” anglo-saxonne n’implique pas nécessairement une volonté politique des deux pays USA et UK, voire une instruction politique précise, loin s’en faut. Les deux services, surtout la CIA, ont montré depuis longtemps qu’ils ont et qu’ils cultivent en cette matière une grande autonomie, et qu’ils peuvent d’ailleurs monter ou soutenir des opérations qui ne correspondent pas à l’orientation politique “du jour” de leurs gouvernements mais répondent à leurs perceptions et à leurs intérêts propres. A partir de ce constat on peut donc encore plus envisager hypothétiquement que l’opération est politiquement “indépendante”, sinon contradictoire des politiques suivies par les USA (surtout) et le Royaume-Uni. D’où la thèse, dans tous les cas l’hypothèse que l’opération a été voulue par la direction ukrainienne sans consultation, et encore moins l’autorisation des deux gouvernements (surtout celui des USA).
On peut dès lors envisager que Zelenski a voulu cette opération, d’abord “en représailles” du traitement qui lui a été réservé au sommet de Vilnius, et notamment de l’intention qu’auraient désormais les USA de freiner l’activité guerrière et réduire leur implication en Ukraine en fonction du contexte électoral aux USA, dans la perspective des présidentielles. Mister Z. a suffisamment montré son caractère vindicatif à cette occasion, notamment à l’égard de “ses maîtres”, comme on l’a vu lors de sa réaction sarcastique après qu’on lui ait reproché de manquer de gratitude.
« “Je ne comprends pas bien ces questions. Nous avons toujours été reconnaissants et nous le sommes toujours”, a déclaré Zelenski lors d'une conférence de presse. “Je ne sais tout simplement pas comment nous pourrions être reconnaissants autrement. Nous pouvons nous lever le matin et remercier le ministre. Qu’il m’écrive comment être reconnaissant, et je le serai”. »
Cette hypothèse est présentée dans la mesure où la seule explication d’une opération terroriste dans le cadre de l’actuelle guerre en Ukraine est assez faible. Elle ressemble un peu trop à une façon de tenter de détourner l’attention des échecs répétés et très coûteux de la fameuse “contre-offensive” ukrainienne, et de ce fait conduit plutôt à mettre encore plus en lumière ces échecs.
D’autre part, et peut-être par contre, elle tend à montrer que les USA, et tout l’Ouest-supplétif, pourraient avoir des difficultés grandissantes avec Zelenski dans le contexte d’une situation en aggravation, en raison de ses réactions d’indépendance vindicative, et de l’insatisfaction d’un soutien occidental qu’il juge trop faible. Ce genre d’avatar arrive souvent avec les “marionnettes” des USA (voir le précédent du président afghan Karzai).
L’histoire montre que la légendaire finesse psychologique des pouvoirs américanistes successifs a souvent des conséquences très malheureuses sur le comportement de leurs “marionnettes” qu’ils jugent en général très brutalement et très maladroitement (« He is a son of a bitch but he is our son of a bitch »). Dans le cas de Zelenski, et les Russes connaissant bien les pratiques américanistes à cet égard et cherchant à en profiter, il y a là un facteur d’incertitude et d’imprévisibilité important.
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