En mai dernier, le vice-président du Conseil de sécurité de Russie et ancien président russe, Dmitri Medevedev, avait affirmé que « le conflit durera très longtemps, pendant des décennies, probablement. C’est une nouvelle réalité ». Dans le journal Rossiyskaya Gazeta du 2 juillet 2023, Medevedev parle de « L’ère de la confrontation » en indiquant la manière dont le fossé tectonique entre les civilisations peut et doit être résolu. Si le langage de l’ancien président russe surprend parfois, pour ne pas dire souvent, par la violence des termes utilisés, le fond de ses propos doit être analysé avec attention. C’est ce que nous indique Igor Karaulov.
L’article de Dmitri Medvedev dans Rossiyskaya Gazeta, intitulé « L’ère de la confrontation », a été publié entre deux événements importants, dont l’un, heureusement, est déjà passé et l’autre est à venir. Le premier est la rébellion de Prigozhin, qui a grandement remonté le moral des chefs de Kiev et de l’OTAN, déjà déprimés par les vagues résultats de la contre-offensive – annoncée de longue date – des forces armées ukrainiennes. Le deuxième est le sommet de l’OTAN, qui doit se tenir à Vilnius les 11 et 12 juillet de cette année. L’ordre du jour du sommet comprend une analyse des succès et (ou) des échecs des Forces armées ukrainiennes ainsi qu’une discussion sur les actions futures.
Par conséquent, dans son article, le vice-président du Conseil de sécurité de la Fédération de Russie aurait dû souligner, en premier, qu’après l’échec de la rébellion, la Russie n’est pas devenue instable. Elle n’a pas fait l’objet d’un renversement de son gouvernement ; son orientation géopolitique n’a pas été remise en question. Medvedev a peu parlé de l’événement qu’a vécu le pays les 23 et 24 juin, mais je voudrais attirer l’attention sur un point. Dans le même paragraphe, qui évoque l’échec de la rébellion, il est fait mention de « notre prise d’Artemovsk, alias Bakhmut ». Comme chacun le sait, cette ville a été prise principalement par les forces du Wagner PMC. Ainsi, Medvedev souligne que les combattants de base de Wagner sont les « nôtres », sont semblables aux autres militaires russes. C’est avec la direction de cette structure qu’il y a des discussions particulières.
Un message sérieux adressé à la direction de l’OTAN
En second, Medvedev veut, avant le sommet de l’OTAN, essayer de convaincre sa direction de la futilité d’une nouvelle escalade et qu’il est possible de résoudre le conflit par le compromis. Et ce sont précisément les arguments qu’il avance qui sont les plus intéressants.
L’article a une double nature dans son style. D’une part, il est facile de voir dans le texte des invectives dans l’esprit de la correspondance entre les cosaques et le sultan turc, bien connues des abonnés de la chaîne Telegram de Medvedev. Le lecteur rencontre des « séniles au Sénat américain », la « basse-cour d’Orwell » et les « porcs anglais impudents », des « vieillards instables à la Maison Blanche » et des « crétins complets », etc. Pour rendre à César ce qui est à César, il faut rappeler que la manie d’appeler Olaf Scholz, « saucisse de foie », provient des politiciens ukrainiens et non des Russes, de sorte que l’utilisation de telles termes peut être désormais considérée comme une pratique internationale. Cependant, un vocabulaire imagé ne doit pas occulter le contenu sérieux de l’article. Et nous revenons ici aux arguments anti-escalade de Medvedev.
Tout le monde a prêté attention à l’un d’eux – probablement même ceux qui n’ont pas lu le reste : c’est la question des armes nucléaires. En effet, bien que toutes les parties jurent de ne jamais utiliser ces « armes de la dernière chance », nous sommes bien obligés d’observer que, maintenant, le conflit armé a commencé à être activement poussé par l’Ouest vers un bord quasi nucléaire. Il s’agit d’abord de la fourniture d’obus britanniques à l’uranium appauvri à l’Ukraine, puis et de l’utilisation possible par le régime de Kiev d’une « bombe sale », y compris avec l’aide de missiles fournis par l’Occident. Sans oublier le battage médiatique sans précédent en Ukraine autour de la centrale nucléaire de Zaporizhzhya que la Russie est censée pouvoir faire exploser. Mais pourquoi devrions-nous le faire sur notre territoire ? Dans le même temps, de l’autre côté, chez les Occidentaux, il est mentionné que tout incident avec la libération de radiations au ZNPP sera assimilé à l’utilisation d’armes nucléaires par la Russie.
L’utilisation de l’arme nucléaire n’est plus un tabou pour l’Occident
Medvedev apporte de la clarté à cette question, néanmoins dramatique pour l’humanité. Un conflit nucléaire, écrit-il, est probable non seulement parce que nos adversaires ont décidé de vaincre la plus grande puissance nucléaire qu’est la Russie, mais aussi parce que « les armes nucléaires ont déjà été utilisées par qui et où, ce qui signifie qu’il n’y a pas de tabou ! ». On sait qui est le qui… Cet argument, en fait, porte atteinte à l’un des principes importants de la démagogie américaine : « Oui, nous l’avons fait, mais personne d’autre ne devrait le faire ». Ce principe s’applique également au bombardement atomique des villes japonaises, au changement forcé des gouvernements étrangers ainsi qu’à la lobotomie faites sur les homosexuels[1].
Mais cette idée de la réalité de la menace nucléaire doit, par tous les moyens, être diffusée au sein de la population des pays de l’OTAN. Il faut que la bourgeoisie européenne craigne pour sa vie. L’on ne devrait pas être autorisé à combattre la Russie dans des conditions de « confort psychologique ». Si les paroles de Medvedev sont entendues, alors nous aurons vraiment l’effet de levier qui nous permettra d’influencer les gouvernements occidentaux, comme ce fut le cas à l’époque soviétique, lorsque des milliers de manifestations en faveur de la paix ont secoué l’Europe.
Une confrontation totale entre l’Occident et le reste du monde
Toutefois, l’argument nucléaire n’est pas le seul de l’article, ni même le principal. Plus importante, à mon avis, est la thèse selon laquelle l’« opération militaire spéciale » menée par la Russie n’a pas été la cause, mais le résultat d’une « puissante rupture civilisationnelle ». Il ne s’agit pas d’un conflit régional isolé que l’Occident aurait pu gagner sans fournir un effort extrême de ses forces, mais d’« une confrontation totale entre l’Occident collectif conditionnel et le reste du monde ».
En d’autres termes, les gens au Brésil, en Inde, et dans d’autres pays éloignés, respectent les intérêts de la Russie, non pas parce qu’ils considèrent la Crimée ou le Donbass comme légitimement russes ; ils sont à peine capables de comprendre nos problèmes historiques. Ils aiment plutôt l’idée de combattre la domination occidentale en tant que telle. Et cette idée peut prendre des formes différentes selon les continents. La Chine, par exemple, aimerait être réunifiée avec Taïwan. L’Argentine voudrait qu’enfin les îles Malouines, détenues injustement par les Britanniques, soient décolonisées. Désormais, l’Occident collectif n’aura plus assez de force. Cependant, ce ne sont que des détails dans le contexte de ce qui unit la plupart des pays non occidentaux : le désir de se débarrasser de la domination du dollar.
« Je ne suis pas optimiste »
Cependant, Medvedev expose ces deux arguments non pas pour menacer, mais pour proposer un compromis. A quoi ressemblera ce compromis, personne ne peut encore le dire. Car l’Occident ne veut pas mener de négociations. Les lignes rouges de la Russie : le régime de Kiev doit être éliminé, et l’Ukraine, comme toutes les autres « anciennes parties de notre pays », ne doit en aucun cas être admise dans l’OTAN. Ces paramètres laissent ils suffisamment de place au compromis ? A mon avis, oui.
Néanmoins, à la fin de l’article, son auteur avoue : « Je ne suis pas optimiste ». Et cela peut se comprendre. Le conflit entre l’Ukraine et la Russie qui n’a aucune signification civilisationnelle essentielle, pourrait être réglé une fois pour toutes.
A l’inverse, en ce qui concerne la « faille tectonique mondiale », le processus du déplacement des centres de pouvoir mondiaux et de l’établissement d’un nouvel ordre mondial prendra des décennies. Il peut y avoir des compromis et des trêves temporaires sur cette voie, mais l’abandonner signifierait pour la Russie quitter la scène historique en tant que telle. Par conséquent, ne baissons pas la garde et soyons conscients que nous évoluons dans un jeu long et dangereux.
[1] Ndlr : L’appellation « thérapie de conversion » (ou « de réorientation sexuelle »), commence à être utilisée aux États-Unis à la fin des années 1950. L’idée alors répandue est que l’homosexualité est une maladie psychiatrique pouvant, et même devant, être soignée. La manière forte est employée : techniques aversives associant une décharge électrique à une image homosexuelle, électrochocs, lobotomies ou castrations chimiques… En 1973, soit plus de 20 ans après, l’homosexualité est enfin retirée par l’Association américaine de psychiatrie de la liste des maladies mentales.
Source : https://lecourrierdesstrateges.fr/2023/07/05/la-transition-vers-un-nouvel-ordre-mondial-prendra-des-decennies-par-vz/
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