Les attaques et les incendies qui ont secoué la France début juillet sont un événement éminemment géopolitique puisqu’ils trouvent leur concrétisation dans des logiques territoriales. Si la géopolitique est l’étude des rapports de force dans l’espace, alors nous sommes bien ici dans un événement géopolitique, qu’il convient d’analyser comme tel.
Nanterre : cœur d’une métropole globale
Nanterre n’est pas vraiment, aujourd’hui, une ville de banlieue au sens de territoire périphérique et déshérité. Bien au contraire. La cité d’où sont parties les émeutes a été construite par Emile Aillaud entre 1973 et 1981. Nommée cité Picasso en raison de la rue qui la traverse (ancienne ville communiste, Nanterre est traversée par l’avenue Lénine et la rue Maurice Thorez), c’est un ensemble de tours plantés dans un espace vert, avec des jeux pour enfants et des terrains de sport. La cité jouxte le parc André Malraux, 25 hectares de verdure, d’espaces herbeux et forestiers, avec de nombreux oiseaux qui le classe comme réserve ornithologique. Nous sommes donc très loin d’un lieu déshérité et abandonné, d’autant que Nanterre, à une échelle plus grande, se trouve à proximité des bords de Seine et du bois de Boulogne.
Les tours Aillaud sont situées à 700 m à vol d’oiseaux du quartier d’affaires de La Défense, premier quartier d’affaires en Europe. Le Cnit et l’Arena, à la fois terrain de rugby et salle de concert, sont accessibles à pied. À quoi s’ajoutent trois gares de RER, trois gares de train, deux stations de métro, qui relient ce quartier à Paris et au reste de la partie ouest. Il y a peu d’endroits en France autant connecté et relié à l’espace monde que la cité Aillaud. D’autant que le quartier de la Défense connait depuis une dizaine d’années une extension vers le sud, si bien que la cité est désormais au centre de celui-ci. La nationale qui le borde comprend des immeubles de bureaux et d’habitation, où sont présents de grands groupes internationaux. C’est là aussi que la ville de Puteaux a lancé le réaménagement du quartier des Bergères : les pavillons des années 1930 ont été rasés pour laisser place à des immeubles modernes, spacieux, ouverts.
La ville de Nanterre a annoncé, en février 2023, un réaménagement de la cité Aillaud pour un montant de 230 millions d’euros, soit 70 000 euros par appartement. En face d’elle, un théâtre et un complexe culturel sont en train d’être bâtis, pour une somme de 50 millions d’euros. Parler de quartier déshérité ou défavorisé est donc contraire à la réalité de ce quartier, qui est l’un des plus aidés et des plus subventionnés de France.
Extension de la crise
L’étude spatiale des violences fournit des renseignements très intéressants. D’abord pour les espaces qui n’ont pas été concernés : la Corse, le Languedoc, la façade atlantique, alors que la population immigrée y est nombreuse. Très peu de violence à Nantes et Rennes, alors que ces villes, tenues par l’extrême gauche, s’enflamment au moindre délire écologiste. Rien à Béziers, ville où la population immigrée est pourtant très importante, presque rien à Marseille, où ce sont surtout les rues du centre-ville qui ont été attaquées.
En revanche, on a vu de grandes violences dans des villes autrefois épargnées. Montargis, 12 000 habitants, charmante ville du Loiret, a été ravagés par 200 à 300 personnes qui ont attaqué et pillé les commerces du centre-ville, dont plusieurs ont été incendiés. Sous le poids de structures fragilisées, trois immeubles anciens se sont effondrés, créant la désolation dans la ville.
Les comparaisons avec 2005 ont fusé alors que la situation est fort différente.
En 2023, la violence a duré beaucoup moins longtemps : une petite semaine contre trois semaines en 2005. En revanche, l’intensité des violences a été beaucoup plus importante : plus de 750 blessés parmi les FDO contre 224 en 2005. Des tirs de fusils d’assaut ont été recensés ainsi qu’un usage massif des mortiers d’artifice. Mais le grand changement porte aussi sur la nature des émeutes. Alors qu’en 2005 il s’agissait essentiellement d’affrontements contre la police, en 2023 il s’agit surtout de razzias. Les violences ne se déroulent pas dans les lieux où les émeutiers habitent, mais en périphérie de ceux-ci, là où il y a des choses à casser et à voler. D’où le grand nombre de magasins pillés et incendiés, y compris dans des villes moyennes et petites. Or ce type de razzia ne peut être effectuée qu’à proximité du domicile : il est impossible de se déplacer en transport en commun pour revenir ensuite les bras chargés de paquets, au risque de se faire arrêter. En attaquant à proximité, on facilite le repli en zone sécurisée et on limite donc les arrestations possibles. Il y a certes le cas particulier du Nike de Châtelet, à Paris, mais c’est une zone qui est très connue des razzieurs et cette attaque est survenue après plusieurs jours de crise, c’est-à-dire au moment où les forces de police étaient positionnées ailleurs.
L’autre grand changement par rapport à 2005 est la présence, à l’Assemblée nationale, de partis indigénistes qui ont soutenu les violences et qui ont attaqué les fondements intellectuels de la résistance. C’est quelque chose de nouveau, qu’il est essentiel de prendre en compte comme élément de la guerre informationnelle et intellectuelle.
Mode tactique
La tactique employée est tout à fait intéressante à étudier et démontre un grand savoir-faire. Si les mineurs sont très nombreux à s’être fait arrêter, c’est qu’ils ont été positionnés en première ligne puisqu’ils ne risquent rien : arrêtées, ils seront relâchés sans condamnation. On constate aussi, dans les villes où l’intensité fut forte, qu’il y a eu plusieurs bâtiments éloignés attaqués en même temps. Ce qui a mécaniquement divisé les forces de police et les pompiers, incapables d’être présents partout en même temps. En guerre urbaine, il faut environ trois défenseurs pour arrêter un assaillant. En multipliant les points d’attaque, les émeutiers ont donc fragilisé les forces de résistance.
Ce mode opératoire tactique est particulièrement habile et bien conçu. Reste à savoir s’ils l’on élaboré seuls ou si des personnes issues de leur milieu, passé ou non par l’armée, leur ont appris ce genre de chose. C’est là une question majeure pour la suite du maintien de l’ordre.
L’usage intensif de mortiers d’artifice signifie que des stocks importants ont été réalisés avant le début des attaques, surtout compte tenu du fait qu’il est difficile de s’approvisionner avant. Les violences se sont arrêtées quand les stocks de mortier ont été épuisés et que les cibles à razzier l’ont été. Quand il n’y a plus rien à tirer et plus rien à voler, alors la violence cesse.
L’usage d’armes à feu fut résiduel. Non pas que ces lieux en manquent mais parce que des consignes ont été donnés par les chefs de la drogue pour qu’il n’en soit pas fait usage. Chose aisément compréhensible : cela aurait conduit à des réactions policières contraires aux intérêts des trafiquants de drogue.
Causes ?
Sur les causes des émeutes, chacun y a vu la justification de ses analyses antérieures. Pour la gauche, c’est la preuve que le racisme est omniprésent en France et qu’il faut lutter contre les inégalités. Pour la droite, le problème vient de l’immigration et de l’éducation. L’opinion publique étant confortée dans ses arguments d’avant les violences, il n’y aura pas de changements majeurs.
En revanche, on peut s’interroger sur les raisons du départ de feu en juillet 2023 et non pas à d’autres moments. Il n’y a pas eu d’émeute après la mort d’Adama Traoré ni après le décès d’autres « jeunes » abattus après un refus d’obtempérer. La mort de Nahel n’est pas un évément extraordinaire : ce type de décès a déjà eu lieu dans le passé, sans engendrer razzias et violences. Cela faisait en outre 18 ans qu’il n’y avait pas eu de violences de grandes ampleurs. Pourquoi le détonateur a-t-il explosé ici ? Je n’ai pas de réponse à cette question, mais le sujet est crucial pour comprendre le déclenchement de ces razzias et donc les éviter dans le futur.
Quant aux conséquences, il est encore trop tôt pour en dessiner. Il est manifeste que l’État n’est plus capable d’assurer la sécurité des populations, en dépit des taux d’imposition exorbitants. Il n’y a pas eu d’usage des flashballs, l’Intérieur ayant préféré contenir les razzias plutôt que les empêcher. Est-ce que cela va générer un refus de payer l’impôt ou une grève type « révolte d’Atlas » ? Il est encore trop tôt pour le dire. Mais il ne faudrait pas que les congés estivaux passent l’éponge sur ces journées majeures connues par le pays.
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