En 2017, nous avions publié sur ce site un article intitulé « Le Sahel reverdit ». L’article s’appuyait sur une étude publiée en juin 2015 dans la revue Nature Climate Change sous le titre « Le rôle dominant des gaz à effet de serre dans la reprise des pluies au Sahel ». Les auteurs constataient que le Sahel avait gagné en couverture végétale par rapport aux années 1980 sous l’effet d’une reprise de la pluviométrie à partir des années 1990.
Mais ils attribuaient la reprise des précipitations à la hausse des émissions des gaz à effet de serre. Rowan Sutton, professeur au Centre national pour les sciences atmosphériques à l’Université de Reading et co-auteur l’indiquait en ces termes :« Les quantités de précipitations ont récupéré sensiblement. Ce fut une surprise que l’augmentation de l’effet de serre semble avoir été le facteur dominant. »
Un récent rapport (2021) de la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification, rédigé par Luc Descroix, de l’Institut de recherche pour le développement (IRD), confirme le verdissement su Sahel qui ne fait plus débat aujourd’hui.
Le texte qui suit est un résume de son article qui traite du verdissement du Sahel, mais aborde également les questions démographiques et l’effet du retour des pluies sur le rendement des cultures, notamment céréalières.
Résumé du rapport Sécheresse désertification et reverdissement au Sahel. Par Luc Descroix et la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification, 2021.
Le rapport complet (en français) peut être téléchargé ici.
L’Afrique de l’Ouest a connu un épisode de sécheresse très marqué de 1968 à 1993. Celui-ci a été d’autant plus brutal qu’il a succédé à une période hyper humide de 1950 à 1967. Cette sécheresse a été à la fois exceptionnellement longue, prononcée (un déficit de 15 à 25% des pluies par rapport à la moyenne long terme, de 25 à 50% par rapport à la période humide antérieure) et spatialement étendue puisque toute l’Afrique de l’Ouest a été touchée, soit plus de 5 millions de km². C’est surtout la zone naturellement semi-aride, le Sahel, qui a été la plus affectée.
Depuis le milieu des années 1990, la pluviométrie a retrouvé son niveau moyen de long terme.
Le reverdissement du Sahel ne fait plus débat
Jusqu’au début des années 2000, la tendance était encore incertaine et les débats animés ; mais depuis 2005 environ, la tendance s’est confirmée d’année en année en liaison avec le retour des pluies annuelles autour de leur moyenne, comme le montre le diagramme ci-dessous :
Le retour des pluies a provoqué un reverdissement général et spontané du Sahel, comme si 25 ans après le retour d’une pluviométrie « normale », la végétation parvenait à reprendre sa place et ses droits. Ce reverdissement est attesté surtout par télédétection. Le reverdissement a d’abord été surtout dû aux herbacées de 1990 à 2010 ; depuis, il est « tiré » par les arbres qui mettent plus de temps à pousser, et donc à être détecté par les satellites.
La sécheresse de la période 1978-1995 a laissé des séquelles
Pendant la sécheresse de la période 1978-1995 les sols ont été dégradés du fait de la disparition de la végétation. De grandes étendues de sol nu ont subi un tassement et un encroûtement empêchant l’eau de s’infiltrer dans le sol, entraînant un excès de ruissellement, un déficit hydrique des sols dans lesquels l’eau ne s’infiltre plus, accentuant selon un cercle vicieux l’aridification des milieux.
Il reste donc des zones où l’eau continue à ruisseler sur des sols encroûtés comme sur certains plateaux déboisés autour de la ville de Niamey. Il s’agit de zones encore peu densément peuplées et qui sont surexploitées pour alimenter Niamey en charbon et en bois (98% des ménages cuisinent ensuite avec ces deux types de combustibles). On observe aussi des surfaces dégradées aux alentours de certains forages, du fait de la forte densité du bétail. Cela concerne aussi les zones pluvieuses, mais à longue saison sèche (8 mois) de Casamance et de Guinée Bissau, ou encore des zones de « terres nouvelles » offertes aux arachidiculteurs sénégalais dans les années 1970 pour compenser les pertes de rendements en arachide liées à la baisse durable de la pluviométrie. Dans ces zones, qui portent entre 50 et 70 habitants au km², il n’y a plus d’arbre, alors que le cœur du bassin arachidier sénégalais, 50 ou 100 km plus au nord et plus à l’ouest, porte 250 à 400 habitants/km² et constitue l’un des plus beaux parcs à acacias de la bande sahélienne, avec ceux du sud Zinder et du Sud Maradi au Niger, régions qui elles-mêmes portent des densités de populations bien plus fortes que les plateaux proches de Niamey.
Un taux de croissance démographique les plus élevés de la planète
Depuis une trentaine d’années les pays du Sahel connaissent des taux de croissance démographique parmi les plus élevés de la planète. On peut estimer que les zones rurales du Sahel seront en 2025, quatre fois plus peuplées qu’en 1968 au début de la sécheresse (tableaux 1 et 2). Cela ne manque pas de provoquer une tension sur l’espace, les ressources en eau, et les ressources végétales.
Tableau 1 : Données démographiques
Tableau 2 : évolution de la population rurale au Sahel
Le tableau 2 montre que la population rurale augmente fortement au Sahel, même si elle augmente moins vite que la population urbaine. On voit que la population rurale est plus de 3 fois plus élevée qu’en 1968, début de la sécheresse.
L’autosuffisance en céréale est assurée pour les grands pays sahéliens
L’émergence d’agrosystèmes denses et pérennes est indéniable, et on voit s’étendre des agrosystèmes très arborés un peu partout au Sahel, souvent, mais pas exclusivement, dominés par un réseau de plus en plus dense de Faidherbia albida, un acacia (donc une légumineuse) qui est un peu l’arbre magique du Sahel, puisque, outre sa forte capacité à stocker l’azote de l’air dans les sols (ce qui les fertilise), sa phénologie décalée lui permet de créer un ombrage bienvenu durant la longue et chaude saison sèche, et de perdre ses feuilles durant l’hivernage, rendant l’agriculture possible sous sa couronne. De plus, ses branches et ses feuilles constituent un excellent fourrage.
On constate ainsi que l’autosuffisance en céréale est assurée pour les grands pays sahéliens (figure 2), à l’exception de ceux où le riz est la principale céréale consommée (Sénégal, Gambie) ou des pays au climat saharien (Mauritanie, Cap Vert). Pour les trois pays sahéliens de l’intérieur, la toute petite part qui n’est pas fournie par l’agriculture locale est celle du riz, seule céréale pour laquelle ces pays ne sont pas autosuffisants. Le Mali, ayant fortement accru sa production de riz entre 2008 et 2016, est devenu autosuffisant et virtuellement exportateur. On note d’autres progressions intéressantes comme les rendements de toutes les céréales qui augmentent à peu près comme la population depuis la fin de la sécheresse en 1994, en particulier au Niger, où ces rendements étaient très bas et ont plus que doublé, passant de 350 kg/ha en 1995 à plus de 800 kg/ha ces dernières années.
Le riz reste donc le « maillon faible » de la céréaliculture sahélienne, surtout dans les pays côtiers.
Conclusion
Le retour des pluies a aidé des progrès de la gouvernance de l’espace. On constate que les agrosystèmes sahéliens, qui récupèrent assez bien (sauf dans le moyen Bassin du fleuve Niger où la dégradation des sols semble toujours en cours), ont subi un choc terrible dans les années 70 et 80, en pleine croissance démographique. Il faut tout faire pour que dans le futur, ces agrosystèmes soient résilients aux chocs attendus liés au réchauffement « inéluctable » de la température.
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