26 juin 2023

La rébellion de Prigojine ne serait-elle pas une psyop russe ?

 

La grande histoire médiatique de la semaine dernière fut la « rébellion armée conduite par Prigojine » et sa « marche pour la justice sur Moscou ». Une histoire rocambolesque comme les aiment les médias du monde entier. Un rebondissement de plus dans l’histoire médiatique déjà pleine de rebondissements qu’est « l’invasion de l’Ukraine par la Russie ».

Pendant quelques jours, les spéculations allèrent grand train sur le pourquoi et pour qui de cette rébellion totalement suicidaire pour Prigojine. Un coup de folie mégalomane, sa corruption par l’Occident, une colère noire et incontrôlable contre Shoigu, autant de spéculations auxquelles nous n’aurons pas de réponse.

Mais dans ce déluge d’hypothèse, une n’a pas été étudiée et pourtant, selon ma logique, elle correspond le mieux aux faits observés, à la dinguerie du scénario et aux intentions des scénaristes : Et si cette soudaine et intempestive « rébellion armée » n’était qu’une psyop menée par le gouvernement russe avec en tête d’affiche le couple d’acteurs Poutine/Prigojine.

Expliquons maintenant cette hypothèse en commençant par remonter le temps de quelques mois, à la prise de Bhakmut par Wagner, l’armée de mercenaires dirigée par Prigojine. Rappelons-nous qu’à cette époque un mélodrame du même genre, à plus petite échelle, s’était déroulé quand Prigojine avait, par réseaux sociaux interposés, maudit l’armée russe de ne pas lui fournir assez d’armes et de soutien logistique, menaçant de tout laisser tomber. Cette histoire s’était paradoxalement passée au moment même où Wagner était en train de prendre les derniers quartiers résistants de Bhakmut. [Beaucoup d’articles de RT sur cette histoire ont été effacés depuis, mais suivant RT de près a cette époque je m’en souviens bien].

Pour comprendre ma logique, il faut bien se rappeler de deux choses :

  1. Le but actuel de l’armée russe n’est pas de prendre du terrain en Ukraine mais de « démilitariser le pays », c’est-à-dire d’infliger le maximum de pertes en vie humaines et en matériel. Une fois la « démilitarisation » effectuée, prendre du terrain sera un jeu d’enfant. Cette démilitarisation permettant surtout que ce terrain ne soit plus pris et repris par d’incessantes et douloureuses attaques et contre-attaques. A Bhakmut, Prigojine a lancé ces attaques verbales contre l’armée russe au moment ou les ukrainiens commençait à perdre espoir de tenir la ville et battre en retraite. Voir Wagner en difficulté leur a redonné de l’élan et ils ont donc envoyé quelques centaines d’hommes en plus dans le « hachoir à viande » qu’était Bhakmut. Toujours cela de pris pour les russes.
  2. Dès le début de son « Opération Militaire Spéciale », le gouvernement russe a pondu un décret condamnant à la prison quiconque critiquait ou cherchait à déstabiliser l’armée russe. Pourtant, Prigojine a pu le faire publiquement sans subir la moindre répercussion, même pas une frappe sur les doigts. On sait pourtant que Poutine peut être très dur quand il le faut. Cette « faiblesse » de la part du gouvernement russe alors même que Shoigu était publiquement touché est donc extrêmement surprenante. Dans un scénario « vraie vie » Prigojine aurait déjà dû, dès l’épisode Bhakmut, être mis sur la touche, d’une manière ou d’une autre, d’autant plus qu’il n’a rien d’indispensable dans cette « Opération Militaire Spéciale ». Kadirov, le grand chef de l’armée Tchétchène est prêt à le remplacer, comme il l’a déjà proposé moultes fois.

Maintenant revenons à cette « tragédie bouffe » russe du week-end et notons qu’elle se déroule dans un timing identique à celui de Bhakmut. La contre-offensive ukrainienne bat de l’aile et des rumeurs de repli stratégique commencent à poindre malgré l’impérieuse nécessité d’une victoire ukrainienne. C’est-à-dire, pour les russes, un « taux de démilitarisation » passant de 800-1000/jours à quelques dizaines/jours. Voilà qui ne fait pas leur affaire. Il faut donc redonner des ardeurs guerrières à l’armée ukrainienne. Tout combattant sait combien percevoir l’adversaire faiblir va relancer son ardeur à la bagarre. Alors Prigojine qui, à Bhakmut, s’était déjà révélé un aussi bon acteur que Zelensky rentre en scène et déclare que l’armée russe ment, que ses pertes sont totalement sous-évaluées, que la dissension interne va entraîner la défaite de la Russie, que le chef des armées est soit un incapable soit un traitre. Il y va très fort et balance tout à la fois puis, histoire que le scénario soit plus convaincant et marque les esprits, passe à l’action. « Envahissement de Rostov sur le Don », « prise du quartier général militaire », « Marche sur Moscou », sans une goutte de sang versée et minutieusement reporté sur Twitter où sa tronche de folle-dingue apparaît sans arrêt, tel un joker fou. En voyant ces scènes, on se dit que le metteur en scène avait visiblement peu de moyens mais le sens du mélodrame. Alors pour donner encore plus de consistance au scénario, Poutine lui-même entre en jeu et fait un discours martial mais sans accuser directement Prigojine, ni prononcer son nom une seule fois. Pour un caractère moral comme Poutine, le mensonge a ses limites.

Là, on se dit que « quand même, ils y vont fort, c’est trop gros ». Et bien non. Comme le dit l’adage qui se révèle souvent exact : « plus c’est gros plus ça passe ». Et ça passe.

Immédiatement l’Ukraine, voulant profiter de cette extraordinaire aubaine à ne surtout pas louper, va relancer sa contre-offensive, au sud, à l’est, au nord, dans tous les sens, en y mettant le paquet car « c’est le moment ou jamais ». Encore autant de milliers d’ukrainiens envoyés à la boucherie.

Puis, comme pour tout roman, c’est trouver une bonne fin qui est difficile. Alors un figurant rentre en scène, le bon Lukashenko qui va faire que « tout est bien qui finit bien ». Il réussit à calmer le bouillant Prigojine, lui offre le gite et le couvert, le temps que les choses se tassent et, incroyablement magnanime, malgré l’outrageuse offense, Poutine pardonne à Prigojine car « nous respectons leur exploit à Artiomovsk ». Alors on se dit « quand même, un peu gros la fin, mal ficelée ». Mais non, quand un spectateur est pris dans une histoire, il en vient à confondre l’histoire et la réalité. Et cela a marché, tout le monde croit à cette psyop, même les analystes alternatifs qui frissonnent face à « la faiblesse de l’État russe ».

Il est vrai que le seul doute envers cette hypothèse est : « pourquoi Poutine engagerait-il la crédibilité de son gouvernement dans une telle histoire ? ». C’est vrai que Poutine et Shoigu auront paru faible pendant 48 heures. Mais la situation est déjà en train de s’inverser avec le narratif « Poutine a renversé la situation à son avantage sans qu’une seule goutte de sang ne soit versée », vendu au peuple russe et aux alliés de la Russie.

Le générique de fin n’est pas encore terminé alors que j’écris ces lignes, mais une scène se dessine en filigrane : Zelensky, le regard tourné vers la Biélorussie, la frontière nord de l’Ukraine, d’où la figure folle et sauvage de Prigojine est en train de l’observer, prête à le mordre, alors qu’il est déjà tellement occupé à l’est et au sud. Un cauchemar de plus pour Zelensky dont les nuits doivent être déjà très longues et tourmentées.

Voilà, mon hypothèse en vaut une autre, mais comme je ne l’ai lue nulle part je me suis dit qu’elle pourrait vous intéresser, essentiellement car elle redonne de la logique aux actes du gouvernement russe et du sens stratégique à une histoire qui n’en avait aucune.

Wayan

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