09 mai 2023

Twitter Files (partie 18): Le "Complexe industriel de la censure", ou comment "sacrifier la vérité" pour "servir un récit"



CENSURE NUMÉRIQUE EN BANDE ORGANISÉE - Dans la 18e partie des Twitter Files, le journaliste indépendant Matt Taibbi décortique un “Complexe industriel de la censure” implanté aux États-Unis. Dans une suite de messages, il explique comment ce consortium composé d’agences fédérales comme le FBI, d'organisations de la société civile comme l’Institut Aspen, le laboratoire d'idées Alliance for Securing Democracy (ASD) et de médias, ont mené des campagnes de censure de milliers de contenus, dont ceux qui interrogeaient la vaccination anti-Covid-19. Dans quel but ? Encore et toujours au nom de la lutte contre “la désinformation”. Ce complexe nous a été par ailleurs décrit par l’essayiste et défenseur des droits numériques Andrew Lowenthal, au sein d’un entretien exceptionnel livré à France-Soir. Celui-ci est disposé, accompagné de sous-titres en français, à la fin de cet article.

Depuis leur publication par Elon Musk et ses collaborateurs en décembre 2022, les Twitter Files (des documents internes à la plateforme numérique) ont étalé au grand jour l’omniprésence du FBI, de la CIA et de nombreuses autres agences fédérales comme le Département de la Sécurité intérieure des États-Unis (DHS) dans la modération des contenus du réseau social.

Ces agences, sous prétexte de lutter contre la “désinformation et la propagande étrangère”, ont exigé la suspension, le bannissement ou le bridage (processus de shadow-banning, ndlr) de milliers de comptes de citoyens lambda ou de personnalités américaines, présentés à leur insu comme étant des menaces à la sécurité intérieure des États-Unis.

Le réseau social apparaît comme avoir agi comme un “partenaire du gouvernement”.

Considéré au début des Twitter Files comme étant “un pouvoir qui agit par-dessus le gouvernement”, en censurant les contenus liés au laptop de Hunter Biden ou en bannissant Donald Trump, le réseau social apparaît comme avoir agi comme un “partenaire du gouvernement”, commentait le 9 mars dernier le journaliste indépendant Matt Taibbi.

Les révélations qui ont suivi au fil des derniers mois ont démontré en effet comment l’oiseau bleu est passé sous la coupe des services de renseignements américains, qui faisaient pression, au même titre que la Maison Blanche, des organisations de la société civile et des médias, pour “sacrifier la vérité factuelle au profit de narratifs officiels”.

Ces précédents épisodes ont expliqué en détail le modus operandi pour censurer des contenus hostiles aux versions officielles des événements, qu’il s’agisse de Hunter Biden, la lutte contre la pandémie, de la vaccination anti-Covid-19 ou encore du prétendu RussiaGate.

“Relation incestueuse” d’une “équipe autoproclamée de vérité”

Si les agences fédérales faisaient ouvertement et directement pression sur l’équipe de modération de Twitter pour la pousser à censurer des listes de milliers de comptes, les organisations de la société civile comme le think-tank (laboratoire d‘idées) Alliance for Securing Democracy (ASD) ou le Global Engagement Center (GEC), organisme interne au Département d’État, avaient recours aux médias pour discréditer le réseau social et sa politique de modération.

“Nous en sommes venus à penser à ce regroupement d’agences gouvernementales (le DHS, le FBI ou le Global Engagement Center), d’ONG et d’un partenaire inopinément agressif, les médias commerciaux, comme étant le Complexe industriel de la censure”, explique Matt Taibbi.

Dans ce 18e épisode des Twitter Files, le journaliste d’investigation démontre comment ce consortium a déclenché des campagnes de censure sur les réseaux sociaux, particulièrement chez l’oiseau bleu.

“Un accès total” de l’État aux “données pour faciliter la recherche des contrevenants” aux récits officiels.

Le “Woodstock” de ce regroupement comme le nomme Taibbi (tristement festif...), c’est-à-dire le rassemblement de la majorité de ses membres, est intervenu en août 2021 à l’occasion de la parution d’un rapport de l’Institut Aspen, intitulé “Commission on Information Disorder” (Commission sur le désordre informationnel).

Ce document, auquel ont contribué des cadres de Twitter et de Facebook ainsi que de hauts responsables au DHS, préconisait dans ses conclusions “un accès total” de l’État aux “données pour faciliter la recherche des contrevenants” aux récits officiels.

Les conclusions du rapport suggèrent même de les “placer dans une zone de détention”, estimant que le gouvernement devrait “restreindre la désinformation, même si cela signifie perdre une certaine liberté”. L’Institut Aspen recommande d’accorder à la Federal Trade Commission (FTC), une agence indépendante du gouvernement chargée de contrôler les pratiques commerciales, le pouvoir d’exiger la divulgation des données.

Les “mêmes agences fédérales invitaient les mêmes experts, financés par les mêmes fondations, suivies par les mêmes journalistes, aux mêmes panels” pour relayer des discours identiques à celui du rapport de l’Institut Aspen.

Et si Twitter était capable techniquement de vérifier si un compte signalé par ces agences est un bot (robot) ou pas, le réseau social était moins efficace lorsqu’il s’agit de juger si contenu est mensonger ou pas. Les modérateurs se réfèrent alors aux mêmes médias ou encore à des sites détenus par les mêmes fondations.

Une relation “incestueuse” de la part d’une “équipe autoproclamée de vérité qui revendique un droit spécial de faire ce qu’ils disent être une mauvaise pratique pour tous les autres : être vérifié uniquement par eux-mêmes”, commente Taibbi. 

“Sacrifier la vérité au service de récits”

Dans son thread, il insiste sur le fond du problème: ces “campagnes de censure” sont financées par le contribuable, alors que “l’État est supposé se tenir à l’écart d’une propagande locale”.

Ces organisations, comme le Global Desinformation Index, financée par le GEC ou NewsGuard, financée par le Département de la Défense, ne “recommandent” pas seulement de modérer le contenu. “Ils appliquent des scores subjectifs de 'risque' et de 'fiabilité' de médias. Voulons-nous que le gouvernement joue ce rôle ?”, s’interroge le journaliste.

Mais l’apogée de ce “Complexe industriel de la censure” est le Stanford Internet Observatory, un programme interdisciplinaire “de recherche, d’enseignement et d’engagement politique pour l’étude des abus dans les technologies de l’information actuelles, avec un accent sur les médias sociaux”, selon l’Université de Stanford.

Ce programme a donné naissance au “Election Integrity Partnership” (EIP), une “coalition de chercheurs pour détecter et prévenir les tentatives de délégitimer les résultats des élections de 2020”. Il s’agit d’une des sources de signalements les plus volumineuses des Twitter Files.

La responsable de l’EIP est une certaine Renee DiResta, qui se vantait d’avoir réussi à convaincre les partenaires technologiques comme Google, TikTok, Facebook et Twitter de prendre des mesures à l’égard de “35 % du URL signalés”, en les “supprimant, les limitant ou les informant” des politiques. Selon les données de l’EIP, 22 millions de tweets ont été signalés lors des élections de 2020.

Les élections passées, l’EIP est renommé Virality Project et devient “une infrastructure interne de Twitter” en étant intègre le compte Jira du réseau social. Jira est un système de suivi de bugs, de gestion des incidents, de gestion de projets et des ticketings, qui permettait ainsi à Virality Project de signaler directement des tweets parmi les 50 millions reçus par jour.

Cette organisation menée par Renee DiResta jouera un rôle déterminant dans les campagnes suivantes. Un tweet de Matt Taibbi dévoile un email de Virality Project dans lequel il est recommandé aux réseaux sociaux de prendre des mesures, “y compris contre les contenus à propos de réels effets secondaires des vaccins et les messages véridiques qui pourraient alimenter l’hésitation”. “L’essence même du complexe industriel de la censure: une bureaucratie prête à sacrifier la vérité factuelle au service d’objectifs narratifs plus larges. C’est le contraire de ce que fait une presse libre”, poursuit le journaliste.

Un “rempart anti-désinformation”... à l’origine de désinformation

Renee DiResta, présentée comme “un soldat contre les bots russes”, devient ainsi le visage de ce Complexe. “Un nom promu partout comme une autorité incontestée sur la vérité, les faits et l’hygiène digitale, même si son ancien cabinet, New Knowledge, a été impliqué dans deux scandales de désinformation majeurs”, fait remarquer la même source.

Pour Taibbi, il s’agit du “plus gros problème” avec le ”Complexe industriel de la censure”. Présentés comme étant “un rempart” contre la désinformation, les membres de ce regroupement “deviennent eux-mêmes une source majeure de désinformation”, dont les campagnes sont financées par le contribuable. Il en veut pour preuve le rôle de New Knowledge dans la création de la plateforme "Hamilton 68".

“Sans de véritables mécanismes de surveillance, rien n’empêche ces 'avant-gardistes' de l’information super-habilités de déformer la vérité à leurs propres fins”.

Pour rappel, il s’agit d’une plateforme d’analyse et de monitoring (surveillance) de données, qui a été créée sous l’égide du think-tank (laboratoire d'idées) Alliance for Securing Democracy (ASD). La "Hamilton 68" a servi de sources à des politiciens et des médias américains pour affirmer que des bots russes étaient derrière de nombreuses compagnes d’influence. Toutefois, les conclusions de cette plateforme se basaient sur une liste de 600 comptes, présentés comme étant liés à des activités d’influence russe alors qu’ils s’agissaient, en réalité “des comptes légitimes de droite sont accusés à tort d’être des robots russes”.

L’autre scandale de désinformation mené par New Knowledge et évoqué dans cette 18e partie des Twitter Files est le Project Birmingham, durant lequel des milliers de faux-comptes russes ont été créés sur Twitter pour suivre Roy Moore, représentant républicain de l’Alabama et candidat en 2017 à un siège au Sénat. “Tout comme les journalistes, Twitter n’a rien dit lorsqu’il a appris la vérité”.

Ce scandale démontre le “danger extrême” du Complexe industriel de censure, poursuit Taibbi, qui affirme que “sans de véritables mécanismes de surveillance, rien n’empêche ces 'avant-gardistes' de l’information super-habilités de déformer la vérité à leurs propres fins”.

Les médias et la société civile, au lieu de défendre leur indépendance et la liberté d'expression, ont sombré dans le business.

Le “Complexe industriel de la censure” est l’objet des prochains épisodes des Twitter Files. Après le départ de Matt Taibbi de Twitter en signe de protestation contre les restrictions d'Elon Musk envers la plateforme Substack, c’est Andrew Lowenthal, essayiste, chercheur affilié à l'Institute for Network Cultures de l'université d'Amsterdam et producteur indépendant qui prend le relais.

Il explique le mécanisme par lequel des médias et la société civile, au lieu de défendre leur indépendance et la liberté d’expression, ont sombré dans un business estimé à plusieurs centaines de millions de dollars (voire plus) dans lequel peut intervenir contre toute attente l’armée ou l'industrie, comme Big Pharma.

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