Nicolas Bonnal nous rappelle un épisode peu souvent cité mais raconté par le Général dans ses "Mémoires de Guerre". Peu avant la fin de la guerre, il reçut une lettre de Himmler prônant un rapprochement franco-allemand contre les Anglo-Saxons. Bien entendu, le chef de la SS et de la police allemande cherchait à sauver sa tête. Mais le courrier nous dit aussi autre chose. Himmler, toujours sous-estimé, était en fait très représentatif, de la façon de penser des milieux dirigeants allemands. Et c'est bien dans l'amitié franco-allemande et la construction européenne qu'une partie d'entre eux, moins compromis que le Reichsführer SS, cherchèrent la réhabilitation internationale dans les années 1950. Le caractère instrumental du rapprochement franco-allemand fut d'ailleurs visible dès l'ajout par le parlement allemand, au printemps 1963, d'un préambule OTANien au traité de l'Elysée que de Gaulle avait négocié avec Adenauer. De Gaulle en tira dès cette époque la conclusion qui s'imposait: la coopération franco-allemande ne serait qu'une parmi d'autres; elle permettrait surtout de surveiller ce que devenait l'Allemagne. Vous doutez de cette interprétation? Eh bien c'est pour cela qu'il faut relire le courrier rédigé par Himmler !
Le couple franco-allemand est brinquebalant mais terriblement totalitaire et belliqueux. Rien ne l’arrêtera dans sa volonté de faire souffrir ses propres populations (les « peuples » ayant disparu) ou de guerroyer pour l’occident, notion nazie utilisée par Rebatet dans ses Décombres.
Voyons alors d’où peut lui venir une telle volonté de nuire et de détruire à ce couple maudit.
Quand de Gaulle dressait le portrait d’Hitler
Je citerai le général, lui laissant la responsabilité de ses paroles ! Sur la fin si théâtrale d’Hitler, voici ce qu’il écrivait, en 1959, de son grand style enflammé, si proche de celui de son modèle Chateaubriand :
« C’est le suicide, non la trahison, qui mettait fin à l’entreprise d’Hitler. Lui-même l’avait incarnée. Il la terminait lui-même. Pour n’être point enchaîné, Prométhée se jetait au gouffre. Cet homme, parti de rien, s’était offert à l’Allemagne au moment où elle éprouvait le désir d’un amant nouveau. Lasse de l’empereur tombé, des généraux vaincus, des politiciens dérisoires, elle s’était donnée au passant inconnu qui représentait l’aventure, promettait la domination, et dont la voix passionnée remuait ses instincts secrets… L’Allemagne, séduite au plus profond d’elle-même, suivit son Führer d’un élan. Jusqu’à la fin, elle lui fut soumise, le servant de plus d’efforts qu’aucun peuple, jamais, n’en offrit à aucun chef ».
En 1945, Henri de Kerillis avait défini le gaullisme comme un national-socialisme dans le camp des vainqueurs ! Comme cette formule lui coûterait cher aujourd’hui ! Elle n’est certes pas très exacte, même si elle reflète la secrète fascination et même la secrète admiration de De Gaulle. Qu’on en juge :
« L’entreprise d’Hitler fut surhumaine et inhumaine. Il la soutint sans répit. Jusqu’aux dernières heures d’agonie au fond du Bunker berlinois, il demeura indiscuté, inflexible, impitoyable, comme il l’avait été dans les jours les plus éclatants. Pour la sombre grandeur de son combat et de sa mémoire, il avait choisi de ne jamais hésiter, transiger ou reculer. Le Titan qui s’efforce à soulever le monde ne saurait fléchir ni s’adoucir. Mais, vaincu, écrasé, peut-être redevient-il un homme, juste le temps d’une larme secrète, au moment où tout finit »…
Je laisse l’historien de l’hitlérisme Bernard Plouvier commenter : « Jamais, l’on n’écrivit mieux ni plus justement sur le destin d’AH. On saisit l’ampleur de ce qui sépare De Gaulle de la plupart de ses contemporains. »
L’esprit libre
Sur l’exécution de Keitel et de Jodl, alors qu’on avait tout de même signé l’armistice avec Keitel, le Général déclara : « C’était une erreur deles pendre comme de vulgaires criminels. Il fallait les exécuter avecdes armes de guerre. C’est une vilenie de plus à l’actif des démocraties. »
De Gaulle parlait des démocraties anglo-saxonnes auxquelles il montra tant de juste mépris plus tard. Il déclara d’ailleurs sur Churchill :
« Toute sa vie, il a fait des affaires avec le diable. C’est la méchanceté et l’alcool qui le conservent. »
Quand Himmler écrivit à de Gaulle
Je termine par la fameuse lettre d’Himmler tant ignorée de ceux qui s’estiment les gérants de la mémoire du Général – qui pourtant la publie dans ses mémoires de guerre (III). Elle n’est pas piquée des vers (sic) non plus, annonçant notre couple franco-allemand, qui, bon an mal, tient bon depuis soixante ans et qui semble encore prêt à tout. C’est même un des documents les plus extraordinaires du siècle écoulé.
« A moi-même, Himmler fait parvenir officieusement un mémoire qui laisse apparaître la ruse sous la détresse. “C’est entendu ! Vous avez gagné”, reconnaît le document. “Quand on sait d’où vous êtes parti, on doit, général de Gaulle, vous tirer très bas son chapeau… Mais maintenant, qu’allez-vous faire ? Vous en remettre aux Anglo-Saxons ? Ils vous traiteront en satellite et vous feront perdre l’honneur. Vous associer aux Soviets ? Ils soumettront la France à leur loi et vous liquideront vous-mêmes… En vérité, le seul chemin qui puisse mener votre peuple à la grandeur et à l’indépendance, c’est celui de l’entente avec l’Allemagne vaincue. Proclamez-le tout de suite ! Entrez en rapport, sans délai, avec les hommes qui, dans le Reich, disposent encore d’un pouvoir de fait et veulent conduire leur pays dans une direction nouvelle… Ils y sont prêts. Ils vous le demandent… Si vous dominez l’esprit de la vengeance, si vous saisissez l’occasion que l’Histoire vous offre aujourd’hui, vous serez le plus grand homme de tous les temps. »
Et la cerise sur le gâteau, œuvre du Général et de son style impeccable : « Mise à part la flatterie dont s’orne à mon endroit ce message du bord de la tombe, il y a, sans doute, du vrai dans l’aperçu qu’il dessine. »
Il faut croire qu’Himmler savait ce qu’il faisait : construire une Europe allemande décidée à refaire la guerre perdue contre la Russie. La France aura servi d’idiot utile. L’ordre européen senti par Chateaubriand et de Gaulle ne pouvait reposer que sur un axe Paris-Moscou.
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