31 mai 2023

Le plan de paix chinois force l’Occident à accepter l’inévitable

 
Des politologues soulignent les avantages pour la Russie de l’initiative de paix chinoise. Ils relèvent qu’en Occident, des informations témoignent de la volonté de discuter de la possibilité d’attribuer certains anciens territoires de l’Ukraine à la Russie. C’est du moins la conclusion qu’ils tirent de la grande tournée européenne du diplomate chinois Li Hui. Certaines « fuites » tendent à démontrer que la position de la Chine répond aux attentes de la Russie, mais en partie seulement. Pourquoi Moscou soutient-elle, malgré tout, l’initiative chinoise concernant la résolution de la crise ukrainienne ? 


Lundi dernier, le ministère chinois des Affaires étrangères a résumé les résultats de la grande tournée européenne effectuée par Li Hui, le représentant spécial de la Chine pour les affaires eurasiennes. Le département diplomatique chinois a indiqué que « la RPC apportera sa propre contribution au règlement politique de la crise ukrainienne ». La semaine dernière, Sergueï Lavrov, avait rencontré Li Hui : selon le ministère russe des Affaires étrangères, il avait « exprimé sa gratitude à la partie chinoise pour une position équilibrée sur la crise ukrainienne, et hautement apprécié la volonté de Pékin de jouer un rôle positif dans son règlement ».
Le refus occidental de geler le conflit

Mais la Russie et les pays occidentaux ne sont pas les seuls à accorder une attention croissante au plan de paix chinois pour l’Ukraine. Ce qui, dans la presse occidentale, était considéré, il y a quelques mois encore, comme un ensemble de souhaits irréalistes de la part des Chinois, commence désormais à être discuté sur le fond. Non seulement sur les points spécifiés dans le plan officiel (respect de la souveraineté, et cessez-le-feu), mais aussi sur les modalités de leur mise en œuvre pratique. Et il s’avère que beaucoup n’aiment pas ces méthodes.

Ainsi, selon « The Wall Street Journal », Li Hui, à son arrivée en Europe, a suggéré aux dirigeants locaux de soutenir la formule suivante : le conflit est gelé et la Russie conserve les territoires qu’elle contrôle actuellement. L’envoyé chinois a suggéré que l’Europe prenne ses distances avec les instigateurs américains et britanniques. Et, apparemment – l’article n’en parle pas, ce qui est logique – Li Hui s’est appuyé sur le fait que, de tous les sponsors extérieurs du conflit, c’est l’Europe qui supporte les principales pertes. Cependant, les Européens ont rejeté ce plan, exigeant même que Pékin refuse de coopérer avec Moscou. La logique des Européens est compréhensible. Certains d’entre eux ont peur d’être sanctionnés s’ils quittent le bloc occidental, tandis que d’autres croient sincèrement que l’Occident peut encore infliger une défaite stratégique à la Russie. C’est pourquoi, tous sont contre le gel du conflit.

L’ironie est que Moscou est également contre le gel du conflit aux conditions du maintien d’un contrôle de facto sur les territoires désormais libérés et cela, pour diverses raisons :

Premièrement, la Russie n’a pas encore entièrement libéré ses territoires. Un certain nombre de villes russes (Kherson, Zaporozhye, Slaviansk, etc.) sont sous occupation ukrainienne. Elena Suponina – experte du RIAC et politologue internationale – explique que « le gel du conflit en ce moment peut être interprété en Occident comme défavorable à la Russie, puisque Moscou n’a pas encore atteint tous ses objectifs. Par conséquent, tant que Moscou n’atteindra pas ceux-ci, il est prématuré de parler de suspension des hostilités ». Pour l’Occident, c’est une chose d’essayer de reconquérir ces territoires, c’en est une autre d’accepter leur occupation temporaire. Côté Russe, ce scénario du gel peut être interprété comme une violation de la constitution russe et de la faiblesse de la Russie.

Deuxièmement, ce scénario du gel signifie l’émergence d’une menace sérieuse sur les frontières occidentales de la Russie. C’est ce que souligne Dmitry Suslov – directeur adjoint du Centre d’études européennes et internationales approfondies – : « Geler le conflit sur la base de la reconnaissance de la ligne de démarcation actuelle comme une véritable nouvelle frontière entre la Russie et l’Ukraine, est inacceptable pour Moscou. Ce scénario transforme l’Ukraine en une anti-Russie militarisée sous stéroïdes qui constituera une menace constante pour la sécurité de la Russie. La sécurité de ses nouveaux et anciens territoires ». Selon cet expert, en ce qui concerne l’Ukraine, l’Occident mettra en œuvre un plan dénommé par eux comme « modèle israélien » ou « modèle du porc-épic hérissé ». Cela signifie que le conflit est gelé et que l’Occident augmente la fourniture d’armes et d’équipements militaires à l’Ukraine (y compris des avions de chasse et des missiles) afin d’augmenter sa capacité de résistance.

Pour la Russie, accepter ces conditions signifierait qu’elle est convaincue qu’elle ne pourra pas remporter une victoire militaire, et qu’elle sera incapable d’éviter que l’Ukraine devienne un avant-poste occidental, source d’une menace terroriste, qui entraînera de l’instabilité sur d’autres régions de l’espace post-soviétique. « Pour la Russie, une telle situation sera encore pire que celle qui existait avant le début de l’opération spéciale, ce qui signifie qu’elle est inacceptable », poursuit Dmitri Suslov.
Une pédagogie internationale pour positionner le plan chinois

Alors pourquoi la Russie soutient-elle formellement le plan de paix chinois ? Pourquoi participe-t-elle à des discussions sur ce quelque chose qu’elle ne peut accepter ? Il y a plusieurs raisons à cela.

En premier lieu, tout conflit doit se terminer par un accord de paix. « La plupart des médiateurs comprennent désormais que les conditions ne sont pas réunies pour le gel du conflit ou le succès des négociations. Néanmoins, ils poursuivent leur travail, essayant de créer le terrain pour des négociations à venir d’ici à l’automne ou vers la fin de l’année », commente Elena Suponina. Et il vaut mieux baser cet accord sur un plan écrit par un allié et non par un ennemi. C’est pourquoi la Russie participe actuellement à une campagne mondiale de relations publiques pour positionner le plan chinois (plutôt que français ou turc) comme base des futures négociations de paix.

En second lieu, contrairement aux options européennes annoncées, le plan chinois comporte un point fondamental : le refus de restituer les frontières de l’Ukraine d’avant 2014. « Des informations circulent selon lesquelles, non seulement chez les Chinois mais aussi au sein de divers centres d’analyse en Occident, il existe une volonté de discuter des possibilités de sécuriser certains anciens territoires de l’Ukraine pour la Russie. Dans cette perspective, on parle surtout et fréquemment de la Crimée. Ces propositions ont commencé à apparaître chez les analystes sérieux depuis l’été 2022, poursuit Elena Suponina qui poursuit : « En fait, par rapport au plan chinois, les pays occidentaux se sont habitués à l’idée que l’Ukraine devra accepter la perte de territoires. Mais il n’est pas fait mention d’une ligne de contrôle réelle, ni même d’un retour à la Russie des territoires désormais occupés par l’Ukraine, ce qui pourrait soi-disant faire cesser les hostilités

« Pour que l’Occident accepte de facto le contrôle russe sur les quatre nouveaux territoires, il faut non seulement que l’Ukraine subisse une sévère défaite militaire, mais aussi que la Russie accepte que le territoire de l’Ukraine, non contrôlé par elle, soit intégré à l’Occident et transformé en « anti-Russie sous stéroïdes », sans aucune démilitarisation, dénazification, restriction de sa coopération militaro-technique avec l’Occident » avertit Dmitri Suslov. Ce qui serait incroyable. Mais s’il n’est pas possible de changer fondamentalement la nature du régime politique actuel en Ukraine, il faut au moins faire en sorte que le territoire de l’Ukraine, non contrôlé par la Russie, devienne un État non viable. C’est-à-dire, qu’il soit coupé de la mer Noire.
Le soutien au plan de paix chinois place la Russie du bon côté du système des relations internationales

Selon Dmitry Suslov, « Moscou se révèle ainsi faire partie intégrante de la majorité mondiale, qui défend un règlement pacifique du conflit ukrainien. Pour tout le monde, le plus tôt sera le mieux, et même demain. Et cette majorité mondiale s’oppose désormais à l’Occident, lequel reste favorable à la poursuite de la guerre. Le plan chinois et sa discussion montrent cette scission entre l’Occident – qui joue en faveur de la défaite de la Russie – et la grande majorité du reste de l’humanité, à laquelle appartient Moscou, affirmant qu’elle est prête à arrêter les hostilités dès demain si son ses demandes sont satisfaites ».

Le processus de discussion et de jeux autour du plan chinois va se poursuivre encore longtemps. Il ne sera discuté sérieusement que lorsque la situation aura changé, à la fois sur le champ de bataille et dans l’esprit des dirigeants occidentaux. « Tout le monde comprend que le travail à accomplir est long et difficile, et que l’on ne peut espérer un résultat rapide. Et les Chinois ne sont-ils pas les mieux placés par rapport aux autres pour agir sans précipitation ? », conclut Elena Suponina.

Source : https://lecourrierdesstrateges.fr/2023/05/31/le-plan-de-paix-chinois-force-loccident-a-accepter-linevitable-par-vz/

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