03 avril 2023

Soignants suspendus : le futur casse-tête des « reconvertis »

 

La réintégration des soignants suspendus sera un casse-tête

Dans les prochaines semaines se posera la question délicate des soignants suspendus « reconvertis » depuis leur suspension, c’est-à-dire ceux qui ont rebondi dans une nouvelle vie, parfois dans le déchirement, parfois sans regret. Pire encore, se posera la question délicate de ceux qui ont rebondi après avoir fait un ou deux aller-retour avec l’hôpital, au gré des certificats de rétablissement obtenus de-ci de-là.

Le gouvernement aura évidemment la tentation de les passer à la trappe, en ne retenant (comme le proposent certains députés manifestement très éloignés du sujet) que les situations de ceux qui sont sur le carreau depuis septembre 2021. J’ai déjà dit qu’il y aurait une vraie injustice à ne traiter que ceux-là, et à pénaliser ceux qui, parfois dans la souffrance, ont fait l’effort de se reconvertir. En revanche, leur situation sera difficile à évaluer. 

Dans l’imaginaire de nombreux députés peu concernés par la résistance à l’ARN Messager, la question des soignants suspendus est assez simple à résoudre : dans la majorité des cas, pensent-ils, les soignants suspendus ont attendu patiemment de réintégrer, ou alors ils ont décidé de se reconvertir et ne sont plus concernés par la question de la réintégration. Jusqu’ici, aucun député n’a proposé un texte réglant la question de l’indemnisation du préjudice subi du fait d’une loi qui a rompu avec la tradition juridique française en matiière de suspension.

La réalité est évidemment très différente. Je passe ici en revue les quelques grands cas qui se poseront, et les difficultés qu’ils soulèvent.

 
Ceux qui sont « partis » en retraite ou en invalidité

On l’ignore trop souvent, mais de nombreux soignants suspendus ont trouvé des échappatoires pour contourner la loi (ce qui permet au gouvernement d’afficher des chiffres de suspendus extrêmement bas).

Certains sont partis à la retraite de manière anticipée : ceux-là peuvent mettre en avant quelques mois de différentiels entre leur salaire et leur retraite (s’ils sont partis à taux plein), sinon le différentiel entre le salaire non perçu et leur retraite mensuelle.

D’autres sont partis en maladie longue durée ou en invalidité. Statutairement, leur situation sera difficile à « reprendre », dans la mesure où le congé maladie est une position exclusive de l’activité. Dans ce cas de figure, on voit mal comment le législateur pourrait règlementairement leur accorder une compensation financière.

Certains ont obtenu un congé maladie et se sont reconvertis dans la foulée. Dans ce cas, il faut étudier les situations au cas par cas. Mais leur congé-maladie est souvent antérieur au 15 septembre 2021, et ces personnes n’ont pas été suspendues au sens administratif du terme. Elles devraient échapper aux mécanismes d’indemnisation.
Ceux qui ne sont pas reconvertis ou qui sont en disponibilité

Autre situation commune : certains soignants n’ont pas trouvé de reconversion et sont restés sur le carreau (probablement 10% des effectifs, mais on manque d’élément tangible sur ce sujet). D’autres ont préféré demander une disponibilité pour échapper à la suspension

Ces deux cas doivent être traités séparément.

Ceux qui sont sur le carreau seront les plus « faciles » à indemniser.

Ceux qui sont partis en disponibilité devront établir un lien de causalité entre leur disponibilité et leur statut vaccinal. L’affaire ne sera pas simple, et il est indispensable que la proposition de loi règle cette question en offrant une sorte de droit de « tolérance » pour régler le dossier sans léser les soignants honnêtes qui ont voulu partir avant d’être exclus. 

Ceux qui se sont « reconvertis »

Dans la plupart des cas, (probablement 80%, si l’on enlève ceux qui sont encore en errance et ceux qui sont malades ou retraités) les soignants suspendus se sont reconvertis, parfois dans des pratiques de médecine complémentaire qu’ils rêvaient d’exercer de longue date – et l’occasion a fait le larron.

Pour cette population, deux cas doivent être distingués.

Il y a d’abord ceux qui ont repris un travail à proprement parler après leur suspension. Dans leur cas, la procédure d’indemnisation court à compter du 15 septembre ou du 15 octobre 2021. Il est très probable qu’une forte proportion d’entre eux n’ait nullement l’intention de reprendre son activité à l’hôpital. Pour eux, il faudra donc ajouter la perspective d’un licenciement de la fonction publique, avec une indemnité supplémentaire, ou d’une disponibilité adaptée.

Et puis il y a un fort volume, encore mal connu, de cas spécifiques qu’il ne sera pas facile de régler. Par exemple, certains soignants ont été suspendus pendant deux ou trois mois, ont repris quatre mois grâce à un certificat de rétablissement obtenu après un COVID déclaré, puis ont fait l’objet d’une nouvelle suspension à l’issue de laquelle ils ont trouvé un autre emploi. Dans ces cas-là, il faudra cadrer la loi pour que l’indemnisation soit calculée de la façon la plus favorable et permette un licenciement dans de bonnes conditions pour ceux qui ne veulent pas réintégrer.

De l’importance d’anticiper et de s’organiser

Dans tous les cas, on le voit, la réintégration in abstracto n’est pas une fin en soi, mais le commencement des problèmes.

Il est important de poser le principe général de réparation du dommage dû à un détournement de la notion originelle de suspension. Le diable sera dans les détails de l’application de ce principe général.

Il est indispensable que nous nous organisions pour régler les problèmes avec équité. 

Source : https://lecourrierdesstrateges.fr/2023/04/03/soignants-suspendus-le-futur-casse-tete-des-reconvertis/

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