14 avril 2023

Mourir pour Taïwan ?

Sitôt Emmanuel Macron avait-il quitté le sol chinois que Pékin lançait son opération Joint Sharp Sword « Épée acérée ». Mettons-nous à la place des habitants de Taïwan : une île encerclée par la marine chinoise, des avions militaires qui violent l’espace aérien, des simulations de tirs ciblés sur des zones stratégiques. Se réveiller en étant un pays bloqué, encerclé et sous les coups du grand voisin. Il y a de quoi être inquiet devant cette démonstration de force de l’Armée populaire de libération (APL).

La tactique chinoise est assez lisible : il s’agit d’étouffer Taïwan en faisant comprendre qu’une annexion est inévitable, donc qu’il est préférable pour l’île de se rendre dès maintenant plutôt que de livrer un combat perdu d’avance. Message aussi adressé aux puissances étrangères, dont les États-Unis : n’intervenez pas et ne venez pas aider Taïwan.

Les questions posées par Taïwan

La situation à Taïwan pose plusieurs questions pour la France.

1/ Une question de présence internationale

Il était déjà curieux qu’Emmanuel Macron se rende en Chine, dans le cadre d’une visite française, avec Ursula von der Leyen. Quels étaient la place et le rôle de la présidente de la Commission, si ce n’est montrer que la France est inféodée aux organismes européens ? Mais il est encore plus surprenant que l’opération militaire soit déclenchée juste après le départ du président français, preuve s’il en est que la France compte peu aux yeux des Chinois.

2/ Une question de nature du régime chinois

Parce que la France est aveuglée par le communisme depuis des décennies, beaucoup d’élites se sont illusionnées sur la nature du régime chinois. Xi Jinping a remis le communisme au goût du jour, ce qui était moins le cas de ses prédécesseurs. Il cite Mao et Lénine, il revivifie la pensée marxiste. Or le propre de ces régimes c’est qu’il est difficile, si ce n’est impossible, d’avoir confiance en eux. Le mensonge est l’une de leurs marques de fabrique et de fonctionnement. Nous ne sommes pas dans le domaine du droit, mais dans celui de la force. Seule la force est respectée et prise au sérieux. Or qu’elle force la France et l’Europe peuvent-elles opposer à la Chine ? Sans armée véritable, sans vision du monde autre que celle des bons sentiments, englué dans la repentance et la lecture humiliée de l’histoire, comment s’imposer sur la scène mondiale ?

3/ Une question de rapport à la guerre

Ne pas vouloir que la Chine envahisse Taïwan est une chose. Mais que ferons-nous si l’invasion a lieu ? Ce débat doit être tranché maintenant, et de façon démocratique, car il engage la nation tout entière, beaucoup plus que la question de savoir s’il faut relever le seuil de départ à la retraite.

En cas de guerre, les conséquences humaines, économiques et militaires seront terribles.

Soit on laisse Pékin envahir Taïwan et la chose se fait rapidement, avec pas mal de dégâts côté chinois, mais sans trop de heurts au niveau mondial.

Soit on ne laisse pas faire et on soutient Taïwan. Avec de l’argent, des armes, voire des hommes. Dans ce cas, les conséquences sont immenses et incalculables aujourd’hui.

Soutenir avec quel argent, puisque nous sommes déjà surendettés, et avec quelles armes, puisque nous n’avons pas grand-chose et donné beaucoup à l’Ukraine ?

Soutenir de quelle manière compte tenu de l’imbrication des économies occidentales et chinoises ? Une guerre contre la Chine, même via Taïwan interposé, signifie une récession terrible pour nos économies. Pour la Chine aussi, mais au moins Xi Jinping peut-il vendre à son opinion qu’il s’agit de récupérer un morceau de la Chine. Comment expliquer aux habitants de Nantes ou de la Creuse qu’il va falloir supporter chômage, récession et pauvreté pour aider les habitants de Taipei ?

Les réactions en chaine d’une intervention contre la Chine ne sont pas mesurables. Envoyer des hommes ? Certes des Français, en leur temps, sont morts en Corée et en Indochine, mais c’était une autre époque et il est peu probable que de jeunes Français d’aujourd’hui soient prêts à ce sacrifice. Netflix plutôt que Taïwan.

L’élément le plus probable et le plus rationnel est donc que nous laissions la Chine envahir Taïwan. Attitude rationnelle, mais lors des guerres la raison n’a plus vraiment sa place. D’où agir aujourd’hui pour empêcher cette invasion.

4/ Une question de rapport au sacrifice

Dans les pays où le service militaire existe encore et dure longtemps, et où la menace de guerre est réelle, il n’est pas rare de voir de jeunes diplômés quitter leur pays afin d’échapper au service. On peut blâmer ces jeunes en arguant qu’il faut défendre son pays, quitte au prix de sa mort. Mais nous ne sommes plus au XXe siècle. La guerre à outrance et le sacrifice de masse ne parlent plus. On veut être défendu, mais pas nécessairement se défendre. Ce qui remet au goût du jour les mercenaires et pas seulement pour des usages en Afrique. Si les Sud-Coréens ne veulent pas se battre, pourquoi ne pas employer des populations étrangères qui seraient ponctuellement enrôlées dans l’armée ? C’est le retour du mercenaire ou de l’homme payé pour accomplir un service. On pourra trouver la chose absurde et contraire à notre tradition, une tradition qui a à peine deux siècles, mais nombreux sont ceux qui préfèreront payer pour permettre à d’autres de mourir à leur place. La cohésion d’une nation se voit surtout en période de guerre : qui est prêt à donner sa vie pour sauver celle des autres ? C’est-à-dire à faire le don le plus ultime et précieux, le sacrifice de sa vie, pour permettre à d’autres, des personnes connues et d’autres inconnues, de continuer de vivre. Dans une époque d’individualisme, cette attitude parait de moins en moins probable. Et si peu de jeunes Français sont prêts à mourir pour leur pays, il est d’autant moins probable qu’ils acceptent de mourir pour le pays des autres, fût-il une belle île. Peut-on leur en vouloir ?

Ce qui se passe à Taïwan nous concerne donc directement. Non pas tant pour l’avenir de l’île que pour le nôtre. Les questions posées par Taïwan impliquent des réponses chez nous qui renvoient à notre conception de la démocratie, du lien national et des intérêts français.

Jean-Baptiste Noé

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