01 avril 2023

L’Histoire de Tetris : l’aventure incroyable d’un jeu russe et de son créateur

S’il y a bien une histoire qui est riche en rebondissements, c’est celle de Tetris. Un jeu qui était destiné à ne jamais sortir de la Russie et qui pourtant a réussi à faire sa route dans le monde entier. Si on demande à des néophytes de nous citer le nom des jeux vidéo qu’ils connaissent le plus, il y a de forte chance que Tetris soit dans le haut de la liste. Ce titre aux principes universels est tellement ancré dans l’industrie du jeu vidéo, qu’il fait cas d’école quand il s’agit d’enseigner les bases du développement d’un jeu vidéo.

Un peu par hasard

Encore aujourd’hui, l’histoire de la création et surtout la diffusion de Tetris possède quelques irrégularités, notamment si on se réfère au site officiel de The Tetris Company qui arrondi les angles autour de la création du jeu.

Ce qu’on peut néanmoins retenir c’est le nom de Alexey Pajitnov, un chercheur de l’Académie des sciences de l’URSS durant les années 80. Il faut dire qu’il fait un peu partie des privilégiés qui ont accès à des Elektronika 60, un ordinateur de conception russe. Durant son temps libre, il aime combiner ses deux passions qui sont les puzzles et la programmation, pour créer des petits jeux qui ne sortent jamais du cadre de l’Académie. Il faut dire que la création de ces programmes est souvent mal vu par sa hiérarchie.

créateur de tetris

C’est durant cette période que lui vient l’envie de faire un jeu qui reprend le concept d’un puzzle qu’il aime beaucoup : le pentomino. Un jeu qui se base sur des principes mathématiques et qui demande de remplir une certaine superficie avec l’aide de formes géométriques qui sont constituées d’une succession de 5 carrés.

Comme l’ordinateur qu’utilisait Pajitnov n’avait pas d’interface graphique, il a dû bricoler avec les moyens qu’il avait à sa disposition. C’est pourquoi la première version du jeu inclut une interface créée avec des points d’exclamation et des espaces, afin d’avoir un semblant de plateau dans lequel peuvent tomber les pièces. Pour des raisons techniques et de facilité, les pentaminos passent de cinq blocs à quatre et se transforment alors en tetraminos. Il y ajoute aussi un bout de code qui fait disparaître une ligne lorsqu’elle est entièrement remplie.

Il décide alors d’appeler sa création Tetris et sans être conscient de ce qu’il venait de concevoir, le jeu commence à faire son chemin parmi ses collègues qui ne manquent pas de le distribuer autour d’eux sur des disquettes.

Alexey Pajitnov :

Il n’y avait pas de points, pas de niveaux. Mais j’ai commencé à jouer et je ne pouvais pas m’arrêter. C’était tout.

Un parcours mouvementé

Même si le succès de Tetris était mal vu par l’Académie, l’envie de commercialiser son jeu se fait vite ressentir dans le milieu des années 80. Bien qu’il sait qu’il est interdit à un chercheur de vendre son travail, Alexey Pajitnov se rapproche de son collègue Dmitri Pavlovski pour l’aider à commercialiser son jeu sur le marché international. Mais l’autre nom qu’il faut surtout retenir c’est celui de Vadim Guerassimov. Un jeune informaticien de 16 ans qui est chargé de porter Tetris sur IBM PC. C’est ce qu’il va faire en peu de temps et c’est lui qui va mettre de la couleur dans le jeu, tout en construisant son interface graphique et en y ajoutant un compteur de score. Il est d’ailleurs possible de voir son nom dans l’écran de démarrage d’une version du jeu qui date de 1987.

Un passage de l’histoire que semble vouloir gommer The Tetris Company qui gère de nos jours les droits d’exploitation de Tetris, mais sur qui on reviendra un peu plus tard. Si l’on se réfère à la page officielle de Tetris, les noms de Dmitri Pavlovski et de Guerassimov n’y sont jamais mentionnés. Depuis quelques années, Alexey Pajitnov omet volontairement de parler de certains détails autour de la création de Tetris pour s’attribuer complètement la parternitée. Au point qu’on ne sait toujours pas réellement la date à laquelle Tetris est officiellement sorti. La date du 6 juin 1984 est avancée par The Tetris Company, mais plusieurs sources contradictoires attestent que ce serait plutôt en 1986.

C’est en tout cas dans ces années-là qu’une version de Tetris arrive en Hongrie en juin 1986 et se fait remarquer par un certain Robert Stein. Il est alors représentant pour une société anglaise du nom de Andromeda Software, qui édite des logiciels. Stein flaire tout de suite qu’il y a quelque chose à faire avec ce jeu et il essaye de prendre contact avec les ayants droits. Il envoie alors un fax à Alexey Pajitnov et Dmitri Pavlovski en leur disant qu’il serait intéressé à avoir les droits de licence pour Tetris. Les deux Russes un peu crédules lui répondent que cela pourrait éventuellement les intéresser.

Et c’est là que l’histoire de Tetris se complexifie. Un passage qui sera encore une fois éclipsé de l’histoire officielle de Tetris. Pour simplifier les choses, il suffit de savoir qu’en Occident un fax peut faire office de contrat légal et c’est une faille que Stein utilisera pour vendre les droits de Tetris à plusieurs sociétés, alors qu’il n’a encore rien signé avec Pajitnov et Pavlovski. Il faut alors retenir le nom de Spectrum HoloByte pour les États-Unis et de Mirrorsoft pour le territoire européen. C’est à ces deux sociétés que Stein va vendre les droits d’exploitation de Tetris, tout en se faisant verser au passage quelques redevances sur les ventes.

Un succès immédiat, mais pas pour tout le monde

Tetris est alors remanié par Spectrum HoloByte et gagne un enrobage bien typé russe, avec la couleur rouge prédominante et la musique qui va bien avec. Le nom du créateur est alors complètement mis de côté et indique juste que le jeu provient de la Russie, mais qu’il est fabriqué aux États-Unis. Tetris sort en 1988 sur IBM PC, puis par la suite sur quasiment tous les micro-ordinateurs de l’époque, comme l’Amiga, l’Amstrad CPC ou le Commodore 64. Et c’est un succès retentissant. Le jeu de Pajitnov est acclamé et apprécié pas les joueurs. C’est à ce moment-là que Stein commence à se dire qu’il serait bon d’assurer ses arrières et de signer un véritable contrat avec les deux Russes. Au final, c’est avec l’Académie des sciences qu’il trouvera un accord pour une licence globale qui lui permet de distribuer Tetris sur le marché des ordinateurs.

Derrière le rideau de fer, on prend la décision de créer ELORG (c’est plus court que Elektronorgtechnica), qui est mis en charge par le gouvernement russe de gérer les importations et exportations informatiques, notamment les droits de Tetris. Une sage décision, car pendant ce temps les manigances de Robert Stein ont engendré un sacré casse-tête. Alors qu’il ne possède que les droits du jeu sur les ordinateurs, Mirrorsoft a vendu sa licence à Tengen, une division d’Atari, qui vendra ensuite les droits sur l’arcade à SEGA. Ils vendront aussi les droits console à Henk Rogers, qui cherchait à ce moment-là de nouvelles licences à exploiter.

De leur côté, Spectrum HoloBytes vend aussi ses droits sur ordinateurs et en arcade au Japon à Henk. Son objectif à ce moment-là est de pouvoir récupérer les droits afin de distribuer Tetris sur GameBoy. Car Nintendo veut un jeu phare pour sa nouvelle console portable et pense fermement que Tetris est le candidat idéal. Malheureusement, en contactant directement Atari, Henk Rogers n’arrive qu’à obtenir les droits du jeu pour la NES. Il faut donc qu’il se tourne directement vers Robert Stein, mais ce dernier le fait mariner pendant un long moment car il ne possède que les droits pour Tetris sur ordinateur. Ce que Henk ne sait pas c’est que Stein essaye à ce moment-là d’obtenir un nouveau contrat avec ELORG.

C’est qui qui a fait quoi

Henk Rogers doit se rendre à l’évidence que quelque chose ne semble pas fonctionner et il décide de se rendre auprès d’ELORG pour négocier directement avec eux. Le hasard voudra que Robert Stein est là-bas au même moment, ainsi que Kevin Maxwell qui est là pour représenter Mirrorsoft. Nikolaievitch Belikov le président d’ELORG a alors en face de lui trois personnes qui veulent les droits sur Tetris, mais il découvre en même temps grâce à Rogers que le jeu existe déjà sur console de salon, alors qu’aucun contrat n’a jamais été signé en dehors de l’exploitation sur ordinateur.

Belikov commence alors à comprendre ce qui s’est déroulé ses dernières années à cause de Robert Stein. Il décide alors de lui faire signer un nouveau contrat, qui se révèlera être de la poudre aux yeux. En réalité le document stipule dans un paragraphe la description d’un ordinateur, ce qui fait que Stein perd complètement les droits de Tetris sur console. Par l’intermédiaire de Henk Rogers, et l’appuie de Alexey Pajitnov qui est devenu ami avec ce dernier,  ELORG signe alors un contrat avec Nintendo of America, pour le droits de licence de Tetris sur console de salon et sur portable.

Nintendo en profite pour tacler Atari, afin qu’il cesse la distribution de Tetris sur NES. S’en suivra un démêlé judiciaire entre les deux sociétés qui réclament tous les deux les droits sur Tetris. Atari ira jusqu’à baser sa défense sur le fait que la NES porte au Japon le nom de Family Computer, et qu’il peut donc être considéré comme un ordinateur. Le juge prendra parti pour Nintendo, targuant que Spectrum HoloByte et Mirrorsoft n’ont jamais eu les droits de Tetris sur console de salon.

Il y a aussi un jeu derrière tout ça

Ce qui est sidérant c’est que derrière toutes ces transactions, Alexey Pajitnov n’a pratiquement rien gagné avec son jeu. Il dira souvent durant les entrevues que cela ne le dérange pas. Que tout ce qui compte c’est que son jeu a été apprécié. En tout cas même en ayant potentiellement perdu plusieurs millions de profit, suite au procès de Nintendo et Atari, Pajitnov a quand même été propulsé sur le devant de la scène internationale. Il a été reconnu comme le créateur de Tetris et accessoirement comme une personnes ayant influencée l’histoire du jeu vidéo.

C’est seulement en 1996 au moment de l’expiration des droits de Henk Rogers, que Alexey Pajitnov décide de s’associer avec lui pour renégocier un nouveau contrat avec ELORG. Jusqu’en 2005 au moment de sa dissolution, la société russe possèdera 50 pourcents de The Tetris Company. Ensuite Pajitnov récupère complètement les droits autour desquels il va créer Tetris Holding, qui à terme détiendra la moitié de The Tetris Company, tandis que l’autre partie est acquis par Blue Planet Software, qui appartient à Henk Rogers. C’est ainsi que les deux amis s’assurent aujourd’hui des revenues non négligeable sur tous les jeux ou produits estampillés Tetris.

C’est d’ailleurs ce qui entraînera plusieurs controverses au fil des années, car The Tetris Company s’en prend systématiquement à tous les jeux qui peuvent de près de ou loin ressembler à un clone de Tetris. Depuis la fin des années 90, plusieurs développeurs indépendants ont été sommés de retirer de la ventes leurs jeux car ils comportaient trop de similitudes avec Tetris. Malheureusement même s’ils peuvent parfois être dans leur droit, car leur jeu reprend le principe du pentamino et non pas de Tetris,  les développeurs n’ont pas les moyens financiers de rentrer en combat judiciaire contre The Tetris Company, ce qui les oblige à chaque fois à retirer leurs jeux.

Alexey Pajitnov va tenter pendant des années de reproduire le succès de Tetris, mais il n’y arrivera pas. Il immigre en 1991 aux États-Unis, pays qu’il a commencé à apprécier suite à ses nombreux voyages. Il sera embauché durant un temps par Microsoft pour qui il supervisera quelques jeux, comme Hexic qui sera distribué avec la Xbox 360.

Même si Pajitnov et The Tetris Company essaye de remodeler un peu le parcours du jeu et d’évincer quelques noms au passage, tout ce qui importe c’est ce que Tetris représente dans l’histoire du jeu vidéo. Un maillon important et qui plus de 30 ans après fait encore partie des classiques de cette industrie.

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