La paix s’installe au Moyen-Orient et les États-Unis sont mis à l’écart par des intervenants plus amicaux.
Le 10 mars, le monde a été surpris par un accord conclu sous la médiation de la Chine, qui a rétabli les liens entre l’Arabie saoudite et l’Iran :
Il y a des gagnants et des perdants.
Les gagnants sont :
L’Iran, qui sera désormais encore plus en mesure de franchir le mur de sanctions que les États-Unis avaient érigé autour de lui.
L’Arabie saoudite, qui sera probablement en mesure de mettre fin à sa guerre désastreuse et coûteuse au Yémen.
La Chine, qui a surpassé le département d’État américain en parvenant à ce résultat.
L’Irak, la Syrie et le Yémen, qui deviendront plus pacifiques à mesure que les deux puissances moyennes qui influencent les politiques sur leurs territoires mettront fin à leur rivalité.
Les perdants sont :
Israël, car les chances de ses tentatives d’entraîner les États-Unis dans une guerre contre l’Iran sont désormais réduites. La coalition que ce pays espérait monter avec les Saoudiens ne verra pas le jour.
Les États-Unis, parce qu’ils ont été dépassés sur leurs « terres » traditionnelles au Moyen-Orient.
Les faucons anti-iraniens partout dans le monde.
Les Émirats, qui ont perdu au moins une partie des échanges commerciaux avec l’Iran au profit de l’Arabie saoudite.
…
La reprise des relations entre l’Arabie saoudite et l’Iran rendra possible un grand nombre de nouvelles choses.
Le fait que l’Iran et l’Arabie saoudite aient accepté la médiation de la Chine est une reconnaissance de la nouvelle position de Pékin dans la politique internationale. Cette seule raison suffit à la Maison Blanche pour détester l’accord.
J’avais prédit que les États-Unis et Israël feraient de leur mieux pour saboter l’accord ou, du moins, rendre sa mise en œuvre difficile.
Les États-Unis ont envoyé le directeur de la CIA, Bill Burns, pour mettre en garde les Saoudiens. Toutefois, l’accord a été maintenu jusqu’à présent et les Saoudiens rétablissent leurs relations avec des pays contre lesquels ils ont mené des guerres par le passé. Hier, un haut fonctionnaire saoudien s’est rendu à Sanaa et a serré la main des responsables houthis du Yémen :
L’intervention militaire de l’Arabie saoudite contre les Houthis chiites a débuté en 2015. Soutenue par un important appui militaire et de renseignement américain, elle a exécuté 25 000 raids aériens, selon un décompte du Yemen Data Project. Ces années de combat ont engendré l’une des pires crises humanitaires au monde et entraîné la mort de plus de 377 000 Yéménites à la fin 2021, victimes tant de la guerre que de la faim, selon les calculs des Nations unies.
Les Houthis ont fait payer à l’Arabie saoudite et à ses alliés de la coalition le prix fort de leur tentative ratée de faire revenir dans la capitale le gouvernement internationalement reconnu après son éviction par les Houthis. Ils ont lancé plus de 1 000 missiles et 350 drones sur le territoire saoudien, de plus en plus profondément depuis 2019, ce qui a incité Riyad à chercher un moyen de sortir de son bourbier militaire.
Cette accélération intervient quelques semaines seulement après un rapprochement très médiatisé, négocié le mois dernier par la Chine, entre l’Arabie saoudite et l’Iran, deux rivaux qui ont fait de la guerre civile au Yémen un champ de bataille par procuration afin d’étendre leur influence régionale.
La semaine dernière, les Saoudiens et les Houthis ont libéré des prisonniers de guerre. Les États-Unis avaient pourtant fait de leur mieux pour saboter l’accord :
Dans le sillage de la détente soutenue par la Chine, les Saoudiens ont largement accepté d’abandonner leurs forces proxys dans le but de mettre fin à une guerre épuisante. Les États-Unis ont réagi avec inquiétude, dépêchant des diplomates dans la région pour insister sur la nécessité de continuer à faire pression sur le gouvernement houthi dans l’espoir de compromettre l’accord en cours. [Tim Lenderking, l’envoyé des États-Unis pour le Yémen], s’est précipité à Riyad le 11 avril, alors que l’on apprenait l’existence d’un accord de paix, pour rappeler aux dirigeants saoudiens que les États-Unis souhaitaient qu’ils continuent à soutenir leurs mandataires dans la guerre.
Les pourparlers sur le cessez-le-feu semblent avoir été rendus possibles par un accord de principe selon lequel l’Arabie saoudite abandonnerait son gouvernement fantoche, renoncerait au blocus et, comme l’espéraient les Houthis, utiliserait ses vastes richesses pétrolières pour payer les fonctionnaires yéménites.
Un rapprochement similaire est en cours entre l’Arabie saoudite et la Syrie. Le 12 avril, le ministre syrien des affaires étrangères Faisal Mekdad s’est rendu en Arabie saoudite :
Il s’agit de la première visite d’un ministre syrien des affaires étrangères en Arabie saoudite depuis 2011, date du début de la guerre en Syrie. L’Arabie saoudite avait soutenu l’opposition syrienne, mais les liens se sont relâchés ces derniers mois.
Le président syrien Bachar al-Assad a largement vaincu l’opposition avec le soutien de la Russie et de l’Iran.
Au cours des derniers mois, les relations avec M. Al-Assad, isolé depuis le début de la guerre syrienne, se sont intensifiées.
Al-Assad s’est rendu aux Émirats arabes unis et à Oman cette année, et le mois dernier, l’Arabie saoudite a déclaré qu’elle avait entamé des discussions avec Damas au sujet de la reprise des services consulaires.
Par ailleurs, l’Arabie saoudite accueillera vendredi une réunion des ministres des affaires étrangères de la région pour discuter du retour de la Syrie au sein de la Ligue arabe.
La réintégration de la Ligue arabe ne se fera pas avant un certain temps, car le Qatar, qui a soutenu les Frères musulmans rebelles contre la Syrie, continue de lui être hostile.
Les Saoudiens n’en poursuivront pas moins leur plan. Aujourd’hui, le ministre saoudien des affaires étrangères, Faisal bin Farhan, est arrivé à Damas pour rencontrer le président Bachar al-Assad :
L’Arabie saoudite a rompu ses liens avec le gouvernement d’Assad en 2012 et Riyad s’est longtemps fait ouvertement le champion de l’éviction d’Assad, en soutenant les rebelles syriens dans les premières phases de la guerre.
Plusieurs autres pays arabes ont également coupé leurs liens avec la Syrie, certaines puissances ayant parié sur la disparition d’Assad.
Mais les capitales régionales se sont progressivement rapprochées d’Assad, qui a récupéré la plupart des territoires perdus au profit de ses rivaux, avec le soutien crucial de la Russie et de l’Iran.
Comme pour le Yémen, les États-Unis n’apprécient pas cette évolution. Ils poursuivront leurs efforts pour isoler la Syrie et son gouvernement. Ce n’est pas un hasard si aujourd’hui, au moment même où le ministre saoudien des affaires étrangères se rend à Damas, les États-Unis révèlent l’imminence d’une mise en accusation de hauts responsables syriens :
L’enquête, qui n’a pas été rapportée précédemment, vise à faire rendre des comptes à des hauts fonctionnaires syriens considérés comme les principaux architectes d’un système impitoyable de détention et de torture qui a prospéré sous le président Bachar al-Assad : Jamil Hassan, chef de la direction du renseignement de l’armée de l’air lorsque Mme Shweikani a disparu, et Ali Mamlouk, alors chef du service de renseignement du Bureau de la sécurité nationale de la Syrie.
Une inculpation fédérale accusant ces hommes de crimes de guerre serait la première fois que les États-Unis accusent pénalement de hauts responsables syriens de violations des droits de l’homme, que M. al-Assad a longtemps nié, utilisées pour faire taire les dissidents. Bien qu’il soit peu probable que ces hommes soient appréhendés, une condamnation indiquerait que les États-Unis entendent tenir le gouvernement syrien pour responsable. Les États-Unis ont déjà imposé des sanctions à M. al-Assad et à son cercle rapproché, y compris M. Mamlouk et M. Hassan, pour des abus tels que la violence contre les civils.
…
Une éventuelle mise en accusation « personnaliserait le mal de ce régime et montrerait clairement qu’il n’est pas possible de faire des affaires avec Assad« , a déclaré l’ancien ambassadeur James F. Jeffrey, représentant spécial de l’administration Trump pour l’engagement en faveur de la Syrie.
Cette démarche ne servira à rien. Le prochain pays à se rabibocher avec la Syrie sera la Turquie. Le prince saoudien Mohammad Bin Sultan a décidé de faire de l’Arabie saoudite plus qu’un pays producteur de pétrole et une entreprise de pèlerinage. La paix est une condition préalable au développement. De bonnes relations avec l’Iran et ses divers amis dans la région permettront également à l’Arabie saoudite de se tenir à l’écart d’un éventuel conflit entre l’Iran et Israël.
Dans ce domaine, la Chine peut également être utile. Elle vient de proposer de faciliter les pourparlers de paix israélo-palestiniens :
Lors d’appels téléphoniques distincts avec les deux responsables lundi, [le ministre chinois des affaires étrangères] Qin Gang a fait part de l’inquiétude de la Chine face à l’intensification des tensions entre Israël et les Palestiniens et de son soutien à la reprise des pourparlers de paix, a indiqué le ministère des affaires étrangères dans des déclarations publiées lundi en fin de journée.
Lors de son entretien avec le ministre israélien des affaires étrangères Eli Cohen, M. Qin a souligné que l’Arabie saoudite et l’Iran ont donné un bon exemple de dépassement des différences par le dialogue, selon un communiqué relatif à cet appel téléphonique.
Il a indiqué à M. Cohen que Pékin encourageait Israël et les Palestiniens à faire preuve de courage politique et à prendre des mesures pour reprendre les pourparlers de paix. « La Chine est disposée à apporter sa contribution à cet égard« , aurait-il déclaré.
Il s’agit là d’un autre domaine dans lequel les États-Unis jouaient auparavant un rôle exclusif, comme en Arabie saoudite.
La Chine, avec le soutien de la Russie, arrache peu à peu ce rôle aux États-Unis. Elle peut le faire parce qu’elle est perçue comme neutre et ne montre aucun intérêt pour une quelconque agression.
C’est le contraire de la façon dont les États-Unis sont perçus dans la région. La façon chinoise de procéder permet d’espérer que ces efforts auront des résultats meilleurs et plus durables.
Moon of Alabama
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.
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