31 mars 2023

Sophie Binet, ou la gentrification de la CGT



L’élection de Sophie Binet à la tête de la CGT comporte un effet « whaou » qui gomme tout le reste : une femme jeune et fraîche va succéder à un vieux guerre gaulois moustachu. Voilà une belle tête de gondole… qui n’est pas sans intérêt en soi. Mais ce choix inattendu, opéré après des manœuvres dignes d’un conclave au Vatican, illustre la crise profonde de l’organisation, très largement due aux changements sociologiques qui bouleversent le prolétariat français. Ce que nous dit l’élection de Sophie Binet, c’est la gentrification en cours de la CGT : le prolétariat est peu à peu grand-remplacé par un autre monde… fait de cadres, de femmes, d’intersectionnels, où la vieille lutte de l’ouvrier aux mains caleuses est rangée au rayon « archives ». 
 Au congrès de la CGT

Il fut un temps pas si lointain où la CGT était dominée par des discours comme présenté ci-dessus par Murielle Morand. Cette inclination pour la lutte des classes en version « dictature du prolétariat » est devenue un vrai clivage au sein du plus vieux syndicat français. Depuis plus de vingt ans, maintenant, l’aile révolutionnaire marxiste-léniniste subit, conteste et parfois combat l’aile réformiste que Philippe Martinez a fini par incarner.

Un clivage à 50/50

Et ce clivage, il est désormais brûlant à la CGT. Fait exceptionnel, le bilan de Philippe Martinez a été rejeté à une courte majorité par les délégués du Congrès. Ce désaveu ne tient pas seulement au ralliement sans discussion interne du secrétaire général au principe d’une médiation qui ressemble furieusement à une demande d’armistice dans le cadre du confilt des retraites. Il obéit à des causes plus profondes : en mars 2020, c’est-à-dire au tout début du COVID, dans une orchestration étrange, Philippe Martinez avait co-signé un document intitulé « Plus jamais ça » qui prétendait préparer le « Monde d’Après ».

Dans cette tribune dominaient les idées de la gauche mondialiste. De nombreux militants du syndicat avaient mal vécu ce ralliement sans concertation de la vieille CGT aux idées de la gauche « altermondialiste ». Surtout, Martinez avait ensuite demandé à Marie Buisson, secrétaire générale de la Fédération de l’éducation, de la recherche et de la culture, de négocier avec le collectif « Plus jamais ça » un accord global sans mandat préalable, en particulier de la commission exécutive confédérale.

Cette affaire a beaucoup pesé dans le clivage qui a divisé la CGT au congrès de Clermont-Ferrand. Elle illustre le changement radical qui tétanise le syndicat tout entier. D’un côté, les vieux militants ouvréristes attachés à la lutte des classes. D’un aute côté, la gauche mondialiste perce et trouve un écho grandissant. 

Une gentrification en pleine action

Depuis plusieurs semaines, la contestation contre la candidate désignée par Philippe Martinez, la fameuse Marie Buisson, grondait, et il était évident que cette ancienne enseignante en lycée professionnel avait fédéré contre elle tous les opposants à la ligne bobo au sein de la Confédération. Cette configuration lui laissait peu d’espoir de remporter le scrutin.

Plusieurs candidatures ont émergé contre elle, dont l’origine sociologique est très instructive. Olivier Mateu, sapeur-forestier des Bouches-du-Rhône, n’a jamais été vécu autrement que comme un candidat de protestation contre la ligne Martinez. Mais Céline Verzeletti, ancienne gardienne de prison, semblait avoir plus de chance. Dans ce trio, pas un ouvrier, pas un « industriel », mais trois personnalités issues de la fonction publique.

Avec le choix final de Sophie Binet, les délégués présents au Congrès ont franchi une étape de plus dans le dépassement des racines ouvrières de la CGT. Non seulement Binet ne vient pas de l’industrie, mais elle appartient à la catégorie A de la fonction publique, puisqu’elle appartient au personnel de direction de l’Education Nationale. Cette profession lui vaut de militer chez les cadres de la CGT, l’UGICT.

Syndicat incarnant historiquement la lutte des classes, la CGT est donc désormais dirigée par une femme fonctionnaire et cadre, seule solution possible pour dépasser les conflits internes. En soi, ce coup de théâtre en dit long sur les ruptures qui divisent la confédération.

Reste à savoir comment s’exprimeront la culture de rupture et le monde ouvrier dans le syndicalisme de demain.

Source : https://lecourrierdesstrateges.fr/2023/03/31/sophie-binet-ou-la-gentrification-de-la-cgt/

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