Ce 14 mars 2023, au musée d’État Pouchkine, à Moscou, s’ouvrait le congrès du Mouvement International Russophile (MIR). Devant une salle pleine d’une centaine de personnes, Nikolai Malinov, fraîchement élu président du Mouvement a tenu un discours introductif avant d’être relayé par l'intervention de de Sergei Lavrov, ministre russe des Affaires étrangères. Plusieurs personnalités, issues de 43 pays, se sont ensuite succédés à la tribune afin de dénoncer une russophobie qui se développerait dans le monde.
Pierre de Gaulle parmi les orateurs
Selon les intervenants, une vision de plus en plus manichéenne, notamment développée autour de la lecture du conflit russo-ukrainien, aurait pour conséquence d’entraîner une détestation aveugle des Russes, un peuple qui a pourtant joué un rôle déterminant (et souvent oublié) durant la Seconde guerre mondiale avec la perte de plus de 20 millions de citoyens dans la lutte contre la menace nazie.
Les orateurs se sont exprimés à la tribune dans leur langue d’origine, aussitôt traduite en russe, en anglais ou en français. C’est dans celle de la diplomatie par excellence, la langue française, que Pierre de Gaulle, petit-fils du Général de Gaulle, a tenu son allocution de quelques minutes. Un discours adressé, parfois dans des accents très gaullien (famille oblige) à l‘auditoire sur un ton posé, aux mots choisis qui a tranché avec celui d’autres personnalité présentes, bien plus rodées aux canons classiques de la prise de parole politique.
Pierre de Gaulle est un consultant spécialisé en fusion acquisition qui a travaillé à l’international dans le monde de la finance. Invité par le MIR dans l’idée de représenter la France - le pays qui affichait d’ailleurs le plus grand nombre de participants présents sur place -, il dispose d’une bonne connaissance du monde anglo-saxon et s’est illustré par ses prises de positions en faveur de la Russie sur le plan international, qui ont dérangé l’establishment français.
Venu au MIR pour “défendre l’amitié entre la France et la Russie”, Pierre de Gaulle décrit cette dernière comme “la grande puissance de cette partie du monde”. Elle serait “pour la France un partenaire avec qui l’entente et la collaboration sont hautement naturelles”. La Russie est présentée comme “seul garant de la paix, de la prospérité et de l’équilibre de l’Europe et du monde”.
Pour Pierre de Gaulle, “la sauvegarde d’un monde multipolaire s’oppose au monde néolibéral et préserve la capacité des nations à se développer, à s’émanciper et à choisir librement ses alliés”. “C'est ce qui nous rassemble ce matin, avec de nombreux autres pays”, ajoute-t-il.
Un discours très engagé (voir la vidéo ci-dessous), qui va bien au-delà du thème de “l'amitié franco-russe" qu’il souhaite voir “préservée comme l'avait voulu et compris le général de Gaulle”. Une amitié que rien ne pourrait remettre en cause, pas même “la cupidité d'un président ukrainien, asservi aux intérêts américains et à l'OTAN, ni la soumission du continent européen, pourtant largement divisé, ni même les ambitions personnelles de la plupart des dirigeants occidentaux, qui viendront la détruire”, d'après lui.
personnelles de la plupart des dirigeants occidentaux, qui viendront la détruire”,
Cette charge virulente contre le président de l’Ukraine Volodymyr Zelensky annonce une autre charge tout aussi véhémente contre les États-Unis d’Amérique, présentés selon Pierre de Gaulle comme “les plus grands destructeurs de la paix dans le monde”.
“J’aspire de tout cœur à développer l’amitié entre la France et la Russie”, termine Pierre de Gaulle après avoir indiqué que “les occidentaux ont trahi les accords de Minsk” et fait naître “une coalition irresponsable qui aveuglément soutient une surenchère militaire toujours plus meurtrière au profit des intérêts financiers et industriels qui auront raison de l’amitié entre nos deux peuples”.
Par ailleurs, interviewé durant la MIR par un média russe, Pierre de Gaulle a détaillé le fond de sa pensée, qui exprime son idée personnelle à propos des enjeux géopolitiques contemporains :
“Les Américains ont bien compris que si l'Europe s'alliait à la Russie, on aurait un bloc absolument très fort sur le plan international, y compris une devise d'échange de référence qui serait un grand risque pour le dollar”, dit-il. Selon lui, “c'est un plan qui est parfaitement orchestré et délibéré d'empêcher l'émergence de ce bloc et de faire en sorte que la Russie ne puisse se développer de façon indépendante et autonome avec un modèle qui est différent du sien. Avec le risque que la Russie puisse entraîner d'autres pays derrière derrière elle. (...)"
De Gaulle va encore plus loin : “La politique est une affaire de réalité. Et face à un système néolibéral qui montre clairement ses limites (crises financière) (...), il y a là une autre référence qui est en train de se développer, une référence qui a sa place, pour laquelle il faut se battre. il faut défendre ses valeurs. (...) Mon grand père croyait à cette alliance entre la France et la Russie.”
De ces positions particulièrement tranchées, un différend familial en est même né : Yves de Gaulle, son frère, déclarait que ”l’analyse de (son) frère n'engage personne d’autre que lui-même”. Une divergence de points de vue qui se retrouve communément dans la société française. Mais est-elle visible dans le champ médiatique ?
Présente au MIR, Maria Zhakarova, la directrice de l’information et de la presse du ministère russe des Affaires étrangères a confié à France-Soir son “immense difficulté” avec les journalistes français qui, selon elle, “ne rapportent qu’une partie infime et biaisée” des événements de l’actualité concernant la Russie, probablement “sous consignes de leur direction”, ce qui représente pour elle ”une contribution extrême à la désinformation ou propagande”.
Une position politisée de par la fonction de Zhakarova, mais à propos d’un sujet qui fait polémique mais qui concerne l’ensemble des médias occidentaux. Ces derniers sont remis en cause dans leur manière de relater, notamment, des conflits menés par la puissance américaine.
Une polémique dont certains traits ont pu même être abordés par l’ancien ambassadeur britannique en Russie, Tony Brenton, dans une tribune publiée par The Guardian, qui décrit une scène médiatique, en l’occurrence occidentale, parfois acquise au discours politique.
Un exemple de traitement médiatique questionnable a été évoqué par le journaliste brésilien Pepe Escobar, succédant à Pierre de Gaulle à la tribune. Il s'agit des révélations concernant le sabotage de Nord Stream par le journaliste d’investigation Seymour Hersh, dans le New York Times.
Présent au MIR par le biais de la visio-conférence, Monseigneur Vigano, a livré un discours qui confirme ses prises de positions récentes contre “le nouvel ordre mondial globaliste” et ses “tendances eugénistes”.
Précisons que les journalistes présents ont pu poser des questions aux diverses personnalités, soit de manière officielle, soit en marge des présentations officielle. La journée s’est déroulée sous la haute attention des médias russes, mais l'absence des médias étrangers a été presque totale.
Comment a été créé le Mouvement International Russophile ?
Le MIR a été créé à l’initiative de Nikolav Malinov, chef du Mouvement national bulgare “Russophiles”, dans des conditions peu communes. Accusé d’espionnage dans son pays en septembre 2019, il vient d’être sanctionné par le gouvernement des États-Unis, dans le cadre de la loi internationale Magnitsky, pour avoir soudoyé un juge. Son objectif était d'obtenir la permission de se déplacer en Russie afin de recevoir personnellement une décoration russe des mains du président Vladimir Poutine.
C’est lors de cette rencontre avec le président Poutine que Malinov aurait partagé l’idée d’un Mouvement International des Russophiles (MIR) dont le but était de promouvoir la défense de la Russie et des russes dans le monde et de facto de leurs intérêts.
L'idée était notamment de recueillir, au travers d’une initiative citoyenne européenne, dans au moins sept pays de l’Union, un million de signatures demandant la levée des sanctions contre la Russie. La promotion d’événements liés à l’histoire, dans le cadre de la lutte “anti-fasciste" est aussi présentée par les organisateurs de la MIR, dans le texte de son manifeste fondateur :
“Aujourd'hui, dans le contexte de la pression des sanctions anti-russes, de la campagne de propagande russophobe de l'Occident et des tentatives d'’annulation’ de la Russie et de la culture russe, le nombre de ceux qui ne cachent pas leurs sympathies pour notre pays augmente dans le monde. Pour beaucoup d'entre eux, la Russie devient une véritable ‘bouée de sauvetage’, le centre d'un mouvement international pour un ordre mondial juste, fondé sur la multipolarité et le respect des valeurs traditionnelles des pays et des peuples. Un monde où les enfants ont un père et une mère, pas des 'parents n°1 et n°2', où le mariage est l'union d'un homme et d'une femme, et la foi en Dieu et l'identité ethno-culturelle ne sont pas quelque chose à cacher honteusement”.
Sergei Lavrov a affiché le soutien des officiels et du gouvernement russe à ce mouvement "citoyen". Le ministre des Affaires étrangères a lu un message de soutien du président Poutine. Il a évoqué le “courage des participants” qui ont “choisi de faire le déplacement à Moscou” pour ce congrès. Il ensuite particulièrement visé le “bloc atlantiste”, qui selon de nombreuses personnalités présentes au sein du MIR, serait responsable de la russophobie ambiante dans le monde actuel. La “lutte contre le fascisme” est alors présentée en réponse à cette campagne présumée de dénigrement, en réaction au conflit russo-ukrainien.
Une démarche qui est soutenue par des personnalités diverses, dont l’acteur américain Steven Seagal, d’origine russe, et qui vit désormais en Russie. Seagal est par ailleurs un représentant spécial du ministère des Affaires étrangères russes pour les relations humanitaires avec les États-Unis et le Japon. Parmi les membres constituants de la MIR présents sur place, on trouve aussi l’oligarque orthodoxe Konstantin Malofeev, président de l'association publique "Tsargrad", accusé d'être impliqué dans une tentative de coup d'État au Monténégro et sanctionné par l'Occident.
Concernant la création du MIR, de plus amples détails sont donnés par Malofeev dans le texte de présentation. Son objectif est de “réunir de vrais patriotes de différents pays, qui représentent différentes religions et opinions politiques” et dont le point commun est “leur amour pour la Russie et sa culture et la lutte pour un monde multipolaire basé sur les traditions des peuples”.
Un message qu’il réitére le 13 mars dernier dans un discours d’accueil des participants dans le salon d’hiver au 22ème étage de l’hôtel Golden Ring en présence de Malinov et de la représentante officielle du service diplomatique russe Maria Zakharova.
Cette dernière prend à son tour la parole pour rappeler un objectif affiché de “regrouper les russophiles” et pour permettre aux citoyens de comprendre la position de la Russie et de l’influence russe dans le monde. Un moyen selon elle Ede “lutter contre la russophobie” et la gouvernance mondiale "sous influence américaine". Une manière aussi de réaffirmer la place de la Russie sur l'échiquier mondial.
Fin du congrès et salons privés
Le congrès du MIR s’est terminé par une soirée de gala à la Maison des Réceptions du ministère des Affaires Etrangères. Un effort de communication important, avec la présence de Sergei Lavrov en personne, qui a échangé avec divers participants, ou les a reçus dans un salon privé. Pierre de Gaulle a fait parti de ces privilégiés. Un geste probablement réalisé en remerciement de sa participation et de ses prises de position russophile à l’encontre de la position officielle française.
Les mystères des échanges privés et de la diplomatie internationale subsistent. “Les choses évoluent très vite en ce moment”, a expliqué énigmatique Pierre de Gaulle à France-Soir.
- France-Soir avait décidé de couvrir cet événement afin de rapporter une vision loyale et non parcellaire de l’information à ses lecteurs. Nous avons bénéficié d'une entière liberté de mouvements, de discussions et d'échanges avec les participants durant ce congrès.
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