04 mars 2023

Le cannibalisme au menu de Jacques Attali en 1979

Un livre de 1979 en forme d’«économie politique du mal»: «L’Ordre cannibale»

« On parle beaucoup, ces temps-ci, de la crise de la santé: vieux sujet remis à l’ordre du jour par un nouveau gros essai de Jacques Attali, économiste français, conseiller de François Mitterrand. Jacques Attali, à qui l’on doit, entre autres, une «économie politique du bruit», parue chez PUF en 1977 (sous le titre Bruits ), et qui, aujourd’hui, propose une «économie politique du mal» avec L’Ordre cannibale (chez Grasset).

Pourquoi l’ordre cannibale ?

Parce que, selon l’auteur, le cannibalisme est une défense fondamentale de l’homme, attitude qui correspond à une stratégie en deux temps. Premier temps: dénoncer le mal, qui se situe, pour le cannibalisme archaïque, dans l’âme des morts. Deuxième temps: évacuer le mal, le séparer de son «support», c’est-à-dire du corps des morts. En mangeant ces derniers pour se protéger.

Nous n’en sommes plus là. Depuis les sacrifices païens, le cannibalisme a évolué, et c’est, affirme l’auteur, le prêtre qui a ritualisé la pratique sacrificielle, l’acte cannibale, le mal étant devenu, avec la religion, culpabilité. L’eucharistie: un cannibalisme. Mais au prêtre succède le «policier» qui écarte de la société le mal, c’est-à-dire le contagieux, le lépreux. Au «policier» succède enfin le médecin: le mal est alors considéré comme une panne dans le corps humain, et ce n’est plus dès lors un individu malade, mais la maladie en soi qu’il convient d’écarter.

Et aujourd’hui ? le règne du médecin – selon l’auteur toujours – touche à sa fin: peu à peu, la machine succède au praticien, qui ne sera plus, bientôt, qu’un relais entre le malade et mille appareils produits en série. Jacques Attali voit dans cette dernière évolution une nouvelle ère, où le mal n’est plus ni péché, ni fléau social, ni fatalité microbienne, mais «non-conformité à la norme».

Il nous semble que pour en arriver à cette conclusion, qui n’a rien de très original ni de très nouveau, l’auteur emprunte les détours d’une rhétorique bien prétentieuse. Sans doute l’industrialisation, la «mécanisation» de la médecine prend-elle aujourd’hui d’inquiétantes proportions, qu’accroissent encore le gigantisme des hôpitaux, l’explosion des coûts ou d’autres facteurs. Jacques Attali donne de cette déshumanisation cent exemples éloquents que chacun connaît.

Et alors? Il nous semble qu’avec de bons éléments d’enquête, il pose mal les problèmes, ou ne les pose pas, se perdant dans les brumes d’une abstraite spéculation. Cannibalisme, dit-il. Peut-être, et après? La métaphore, si c’en est une, ne nous paraît pas aussi féconde. […]

C’est bien dommage: ce qu’on appelle la crise de la santé, et les problèmes très concrets qui se posent aujourd’hui aux médecins et à leurs patients exigent d’autres analyses, d’autres réflexions, d’autres débats. Concrets, eux aussi. »

  

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