02 février 2023

Le Pentagone exige de l'Amérique latine qu'elle livre des armes à l'Ukraine

Dans une recherche de plus en plus frénétique d’armes à acheminer dans la guerre par procuration que mènent les États-Unis et l’OTAN contre la Russie en Ukraine, les États-Unis se tournent vers l’Amérique latine, a révélé le haut commandant américain pour la région.

La générale Laura Richardson, chef du Commandement sud des États-Unis (SOUTHCOM), a déclaré lors d’un forum en ligne organisé la semaine dernière par le groupe de réflexion stratégique géopolitique Atlantic Council de Washington que le Pentagone tente de convaincre plusieurs gouvernements latino-américains anonymes de «faire don» de matériel militaire de fabrication russe au régime ukrainien soutenu par les États-Unis.

«Nous travaillons avec les pays qui possèdent du matériel russe pour en faire don ou le remplacer par du matériel américain», a déclaré la générale Richardson à une audience en ligne jeudi dernier.

Les relations diplomatiques sont soit nulles, soit fortement réduites entre les États-Unis et les trois pays de la région qui ont les liens militaires les plus étroits avec Moscou: le Venezuela, le Nicaragua et Cuba. Tous ces pays, comme la Russie, sont soumis aux sanctions américaines.

Bien que Richardson ait refusé de les nommer lors du forum intitulé «La sécurité dans les Amériques», elle a déclaré que six autres pays de la région disposaient d’importants stocks d’armes soviétiques ou russes et que des discussions étaient «en cours» pour les amener «à les donner à l’Ukraine ou à la cause en cours». De tels accords visant à envoyer du matériel de fabrication russe dans la guerre en Ukraine impliqueraient de pousser les pays d’Amérique latine à remplacer le matériel russe par des armements de fabrication américaine.

Si le commandement sud des États-Unis a également refusé de dire quels pays étaient en pourparlers pour de tels transferts d’armes, le Pentagone suit de près l’afflux d’armes soviétiques et russes dans la région.

En juillet dernier, lors d’une déposition devant la sous-commission des affaires étrangères de la Chambre des représentants chargée de l’hémisphère occidental, Evan Ellis, principal expert de l’US Army War College sur l’Amérique latine et fervent partisan de l’idée que Washington considère la région comme un champ de bataille dans le cadre des préparatifs de la guerre mondiale, a dressé une liste détaillée de ces systèmes d’armes.

De manière significative, le pays d’Amérique latine – en dehors du Venezuela, de Cuba et du Nicaragua – qui possède le plus grand nombre de ces armes, a-t-il témoigné, est le Pérou, qui a commencé à importer des armes soviétiques dans les années 1970 sous le régime militaire nationaliste du général Velasco Alvarado, et qui, pas plus tard qu’en 2013, a acheté 24 hélicoptères militaires Mi-17 et deux hélicoptères d’attaque Mi-35 à Moscou. Dans les années qui ont suivi, y compris sous la dictature de droite d’Alberto Fujimori, Lima a acheté des chasseurs bombardiers Su-22, des avions de chasse Mig-29 et d’autres équipements, tandis que ses forces armées ont reçu une formation militaire russe.

Le coup d’État parlementaire du 7 décembre qui a renversé le président Pedro Castillo et amené un régime dominé par la droite péruvienne et les forces de sécurité de l’ancien vice-président de Castillo, Dina Boluarte, pourrait bien avoir graissé les rouages du type d’accord promu par la générale Richardson. Un jour avant le coup d’État, l’ambassadrice américaine à Lima, Lisa Kenna, un agent chevronné de la CIA, a rencontré le ministre de la Défense du pays et s’est entendue avec lui pour soutenir l’éviction de Castillo. Depuis lors, les forces de sécurité se sont déchaînées contre les manifestants, tuant au moins 60 d’entre eux.

Parmi les autres pays disposant de stocks importants d’armes soviétiques/russes figurent le Brésil, l’Équateur, la Colombie, le Mexique, l’Uruguay et l’Argentine. Ces armes comprennent des chars, des véhicules blindés, des systèmes de roquettes à lanceur multiple, des systèmes de missiles sol-air, des MANPADS (systèmes portatifs de défense aérienne) et divers avions et hélicoptères.

Dans ses remarques, Richardson a souligné que le Pentagone agissait «agressivement» pour exploiter les obstacles imposés par les sanctions anti-russes à la fourniture par Moscou de pièces pour ses systèmes d’armes et de financements pour ses clients latino-américains.

Du point de vue de la guerre par procuration des États-Unis et de l’OTAN en Ukraine, l’envoi d’armes depuis l’Amérique latine a un but précis. Alors que l’attention internationale s’est concentrée sur les décisions provocatrices et potentiellement catastrophiques de fournir à Kiev des chars de combat M1 Abrams américains et Leopard 2 allemands, la réalité est qu’il faudra des mois avant que ces armes puissent être utilisées par des équipes ukrainiennes entraînées. Les stocks soviétiques/russes en Amérique latine, en revanche, sont pratiquement identiques aux armes déjà connues des militaires ukrainiens et peuvent être déployés immédiatement.

En ce qui concerne les objectifs de Washington en Amérique latine même, l’élimination de la Russie en tant que concurrent et le rétablissement du monopole du Pentagone sur la fourniture d’armes permettraient à l’impérialisme américain de disposer d’une influence politique accrue dans toute une région où l’armée est intervenue à plusieurs reprises pour renverser des gouvernements considérés comme insuffisamment subordonnés aux intérêts des États-Unis et du profit national.

L’augmentation des ventes d’armes signifie un plus grand nombre de conseillers militaires américains sur le terrain dans ces pays et un plus grand nombre de leurs propres officiers envoyés aux États-Unis pour leur formation militaire. Cela contribue à forger des liens entre militaires bien plus profonds que ceux existant entre diplomates ou élus, mettant en place l’infrastructure organisationnelle pour le type de coups d’État militaires soutenus par les États-Unis qui ont balayé le continent au cours du dernier demi-siècle.

Alors que Richardson a présenté les opérations de la Russie dans la région comme une menace grave pour les intérêts américains, en réalité, elles ne sont guère comparables et constituent en grande partie une réponse à l’encerclement massif de la Russie par les États-Unis et l’OTAN.

Comme l’a clairement indiqué la générale dans ses remarques, Washington et le Pentagone considèrent la Chine, qu’elle a décrite comme un «acteur étatique malveillant», comme le défi le plus important pour les intérêts impérialistes américains dans la région.

Utilisant la rhétorique alarmiste de la propagande de guerre, Richardson a mis en garde contre «l’invasion et les tentacules de la RPC [République populaire de Chine] dans les pays de l’hémisphère occidental si proches des États-Unis». La présence de la Chine, a-t-elle dit, s’est étendue «jusqu’à la ligne des 20 yards de notre patrie – ici même, dans la zone rouge».

Le langage du général fait écho à la doctrine Monroe du 19e siècle, que les États-Unis ont d’abord utilisée pour éviter les intrusions impériales européennes dans l’hémisphère, puis invoquée pour défendre les coups d’État militaires, les dictatures policières et les guerres anti-insurrectionnelles sanglantes menées au nom de la lutte contre le «communisme».

Comme ses prédécesseurs, elle a l’habitude arrogante de considérer les pays situés au sud de la frontière américaine comme la «cour arrière» de l’impérialisme américain. Mais elle est obligée d’admettre que Washington a perdu une grande partie de son emprise sur ces territoires.

«Dans beaucoup de nos pays de la région, [la Chine] est le partenaire commercial numéro un, les États-Unis étant le numéro deux dans la plupart des cas», a déclaré Richardson. En réalité, la Chine est déjà le premier partenaire commercial de l’Amérique du Sud. En l’espace d’à peine deux décennies, le commerce total entre la Chine et la région latino-américaine dans son ensemble a été multiplié par près de 20, passant de 17 milliards de dollars en 2002 à 315 milliards de dollars en 2019.

Vingt-et-un des 31 pays de la région ont rejoint l’initiative de la Nouvelle Route de la soie de Pékin, qui a déjà produit d’importants développements d’infrastructures, notamment 17 installations portuaires, des autoroutes et des voies ferrées conçues pour diriger le flux des matières premières vitales de l’Amérique latine à travers le Pacifique vers la Chine. Pendant ce temps, au mépris de la pression américaine, la multinationale chinoise Huawei a pris la tête des télécommunications et de la fourniture de réseaux 5G.

«Je m’inquiète de ces entreprises d’État à double usage qui surgissent de la [République populaire de Chine], et je m’inquiète de la capacité à double usage: celle de pouvoir les modifier et les utiliser à des fins militaires», a déclaré Richardson.

Toutefois, le commandant du SOUTHCOM a clairement indiqué que la véritable préoccupation est d’assurer la domination américaine sur les ressources stratégiques de la région et d’être en mesure de les refuser à la Chine.

Expliquant «pourquoi cette région est importante» pour la sécurité nationale des États-Unis, la générale a énuméré ses «riches ressources», notamment les vastes réserves de pétrole du Venezuela et la découverte d’énormes gisements au large des côtes de la Guyane, le cuivre, l’argent, l’or et d’autres minéraux, ainsi que 31 % des réserves d’eau douce du monde. Elle a fait remarquer qu’aujourd’hui, la Chine dépend de l’Amérique latine pour 36 % de son alimentation.

La générale Richardson a mis l’accent sur le «triangle du lithium» – Argentine, Bolivie et Chili – qui représente la majeure partie des réserves mondiales de lithium de l’Amérique latine, estimées à 60 %. Ce métal stratégique est un élément clé de la transition vers les véhicules électriques et est utilisé dans pratiquement tous les systèmes d’armes modernes. La lutte pour le contrôle des réserves de lithium dans la région pourrait bientôt ressembler aux batailles féroces et sanglantes pour le contrôle du pétrole du Moyen-Orient. Aujourd’hui, la Chine représente plus de la moitié de la capacité de raffinage du lithium dans le monde et produit 79 % des batteries lithium-ion, contre seulement 6,2 % pour les États-Unis.

Richardson a raconté que, la veille, elle avait convoqué une réunion Zoom réunissant «les ambassadeurs des États-Unis en Argentine et au Chili, ainsi que le responsable de la stratégie de Livent [le fournisseur américain de lithium de Tesla] et le vice-président des opérations mondiales d’Albermarle [la plus grande entreprise américaine de lithium] pour parler du triangle du lithium en Argentine, en Bolivie et au Chili, des entreprises, de leurs résultats et des défis qu’elles voient dans le secteur du lithium. Et puis l’agressivité et la coercition de la RPC».

L’objectif, a-t-elle dit, est de «résoudre les problèmes et de bloquer nos adversaires».

Le commandant du SOUTHCOM n’a pas donné de détails sur la manière dont Washington compte «bloquer» la Chine d’une région et d’un secteur stratégique où elle s’est déjà imposée comme la force économique dominante.

Le fait que ce soit le commandant régional du Pentagone qui convoque une réunion d’ambassadeurs et de dirigeants de grandes entreprises pour discuter de la manière d’arracher à la Chine le contrôle des réserves de lithium d’Amérique latine fournit la réponse. L’impérialisme américain se tourne vers l’expansion du militarisme pour tenter de compenser l’érosion de son hégémonie économique mondiale. Il considère l’Amérique latine comme une cible pour le pillage impérialiste et un champ de bataille clé dans la marche vers la troisième guerre mondiale, alors même qu’il tente de renforcer et de resserrer son contrôle sur les forces armées de la région pour faire face à la menace croissante de la révolution sociale dans toute la région.

Bill Van Auken

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