D’abord, l’on remarquera que le titre donnée à la résolution présentée à la Chambre des Représentants du Congrès US par le député républicain de Floride Matt Geitz emploie dans son langage officiel une dimension ironique, presque-bouffe, qui caractérise certains aspects de la tragédie ukrainienne. (Effectivement, “tragédie-bouffe” la bien-nommée pour l’occasion, et employant l’expression caractéristique de “fatigue d’Ukraine”, quasiment presque comme une pandémie dont le virus serait Zelenski...)
« This resolution may be cited as the ‘‘Ukraine Fatigue Resolution’’ » (« La présente résolution peut être désignée comme la “résolution sur la fatigue d’Ukraine” »)
La résolution comporte la simple proposition d’arrêter toute aide militaire à l’Ukraine et d’insister pour une cessation immédiate des combats. Certains diront, avec bien des arguments, qu’il s’agit de vœux pieux. Là n’est pas l’important.
Matt Geitz est un homme de poids dans la nouvelle Chambre, qui fait partie de la « terrible twenty » républicaine (le ‘Freedom Caucus’), bande de jeunes députés extrémistes non-interventionnistes qui ont superbement manœuvré pour l’élection du Speaker. Dix de cette “vingtaine” soutiennent la résolution de Geitz, ainsi présentée avec empressement par RT.com :
« Les républicains du Congrès ont présenté une résolution visant à mettre fin à l'aide américaine à l'Ukraine, en invoquant le coût massif pour les contribuables, le risque d'escalade avec Moscou et le bilan de l'arsenal américain après quelque 30 milliards de dollars de transferts d'armes.
» Les républicains du Congrès ont présenté une résolution visant à mettre fin à l'aide américaine à l'Ukraine, en invoquant le coût massif pour les contribuables, le risque d'escalade avec Moscou et le bilan de l'arsenal américain après quelque 30 milliards de dollars de transferts d'armes.
» Emmenés par le représentant de Floride Matt Gaetz, 11 républicains ont présenté jeudi la “Résolution sur la fatigue d’Ukraine", qui stipule que Washington “doit mettre fin à son aide militaire et financière à l'Ukraine” tout en exhortant ”tous les combattants à parvenir à un accord de paix”.
» Soutenant que les États-Unis sont dans une période de “gestion du déclin”, Gaetz a déclaré que les problèmes ne feront qu'empirer si le gouvernement continue à "entretenir l’hémorragie de l’argent des contribuables” dans un conflit étranger. [...]
» ...La résolution de Gaetz a été rejointe par 10 cosponsors républicains, parmi lesquels les Reps. Thomas Massie, Marjorie Taylor Greene, Lauren Boebert, Andy Biggs, Paul Gosar, Anna Paulina Luna, Mary Miller, Barry Moore, Ralph Norman et Matt Rosendale. »
Il apparaît assez improbable que la résolution puisse être adoptée, mais là ne sont ni son importance ni le problème qu’elle prétend résoudre. Le vote de ‘‘Ukraine Fatigue Resolution’’ n’est pas un but en soi, c’est un test, – un premier test sur la situation de la nouvelle Chambre sur cette question de la “fatigue ukrainienne” et c’est aussi la mise en marche d’une dynamique que veulent lancer les députés du ‘Freedom Caucus’ dans un sens de désengagement et d’une sorte de néo-isolationnisme... Même, plus encore, et surtout de manière différente !
Une bombe : la « gestion du déclin »
On remarque une expression extraordinaire par rapport aux normes du conformisme washingtonien dans un communiqué officiel présentant une résolution, de la part de son initiateur. Geitz explique que ce qui conduit son attitude d’une façon générale, plus que le simple souci d’économie, c’est « la gestion du déclin » (des USA, certes). Il est rarissime sinon sans précédent de voir, dans un texte officiel puisque présentant une résolution soumise au vote de la Chambre, affirmer que les USA sont “en déclin”. Bien qu’il s’agisse d’une évidence, d’ailleurs débattue abondamment dans le monde intellectuel et de la communication, affirmer péremptoirement la chose dans un tel texte lié à un vote d’une des deux chambres du Congrès constitue un véritable événement politique. Certains s’en indigneront, certains autres seront conduits à réaliser concrètement ce qu’ils devinaient vaguement.
L’intention du ‘Freedom Caucus’, dont on a vu l’habileté tactique lors du vote sur l’élection du Speaker McCarthy, est effectivement de susciter une dynamique qui pourrait faire naître un courant populaire auquel seraient sensibles des parlementaires dont l’engagement (pour le soutien de l’Ukraine, pour les “guerres extérieures”) n’est qu’une attitude de conformisme politique face aux pressions des lobbies bellicistes. Dans ce cas, – ce sont les plus nombreux chez les “bellicistes”, – le moment du basculement du soutien aux “guerres extérieurs” à une opposition est extrêmement insaisissable et peut survenir brusquement.
Il y a aussi l’intérêt de placer la gauche du parti démocrate, s’il y existe encore quelques anti-impérialistes, devant le choix difficile de rejeter une résolution si complètement proche du sentiment de leurs électeurs (on l’a vu avec la confrontation, l’année dernière, de Alexandra Ottavio-Cortez avec des électeurs mécontents du bellicisme démocrate), simplement parce qu’elle vient d’un républicain.
L’initiative de Gaetz intervient à un moment où la cause Zelenskiste est largement mise en question, y compris au sein de l’establishment, notamment au Pentagone, et même dans l’industrie d’armement où les appels à l’établissement d’une base industrielle militaire demandant de leur part des investissements importants ne sont pas entendus avec beaucoup d’enthousiasme. Ce que veut cette industrie, ce sont de nouveaux programmes très chers et pimentés de retards important, qui font rentrer beaucoup d’argent sans nécessiter des investissements improductifs. Ceux qui font référence à 1941-45 oublient trop souvent que l’industrie s’orienta à son gré et selon ses intérêts, et que le gouvernement prit à sa charge les investissements improductifs (usines, outillages, pour des productions exceptionnelles) et les laissa souvent aux constructeurs sans compensations, pour enfin venir au secours d’une industrie aux abois une fois la guerre terminée.
La gloire de Seymour Hersh
Certains pourraient alors croire que le fantastique article de Seymour Hersh sur la préparation et la réalisation du sabotage des oléoducs NordStream par les USA constitue une aide sérieuse apportée à ceux qui s’opposent à la politique ukrainienne de l’équipe Biden-neocon. On lira également deux articles de Larry Johnson sur cette affaire, le premier apportant des révélations complémentaires sur la complicité norvégienne dans l’opération ; le second donnant quelques détails sur ce journaliste de légende, dont Johnson est l’ami depuis 1982, ben assez pour reconnaître en lui tout ce qui fit la gloire et l’efficacité du “grand journalisme” aux USA.
« Aucun autre journaliste, mort ou vivant, ne peut égaler le travail et l'héritage de Sy Hersh, – par exemple, le Watergate, les assassinats de la CIA, le Glomar Explorer, le massacre de My Lai, Abu Ghraib, la fausse arme chimique de la Syrie, l'assassinat de Ben Laden et maintenant, l'attaque des États-Unis contre le gazoduc Nord Stream.
» La réaction des crapules du gouvernement aux révélations de Sy suit le même scénario, avec une nouveauté : un démenti véhément et un rejet vicieux attribuant le rapport de Sy aux rêveries d'un vieil homme dérangé.
» Pour tout vous dire, Sy Hersh est un vieil ami, dans tous les sens du terme. Notre première rencontre a eu lieu en septembre 1981, lorsqu'il a accepté mon invitation à s'adresser à un groupe d'étudiants du semestre de Washington à l'American University. Au cours de notre conversation introductive, nous avons découvert que nous avions chacun un fils nommé Josh, né cette année-là. Nous sommes restés en contact au fil des ans et Sy est devenu mon partenaire de golf attitré. Il a maintenant près de 86 ans sur cette terre mais frappe la balle de golf comme un homme de 60 ans. C'est aussi un fanatique de tennis. Son talent d'athlète n'est rien en comparaison de son génie de journaliste d'investigation.
» Sy est aussi la preuve vivante de la dégénérescence du journalisme d'investigation. Il y a dix ans, son dernier article aurait fait la une du New Yorker Magazine ou du New York Times. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Sy est un paria parce qu'il ne cède pas à la contrainte de l'État profond qui l'oblige à mentir pour protéger la corruption qui est le fondement de Washington, DC et de Wall Street. »
... Effectivement, la presseSystème s’est montrée extrêmement discrète et réservée vis-à-vis de l’article de Hersh, ce qui représente un exploit dans l’infamie par rapport à ce que l’on sait de ce journaliste et ce que démontrèrent ses nombreuses articles en fait de qualité de travail et de minutie dans le choix et l’exploitation des sources. Tucker Carlson, de Fox News, a été le seul à se manifester avec force sur cette affaire et à dénoncer, avec la tonitruance qu’on lui connaît, la passivité soumise de la presseSystème. ‘ZeroHedge.com’ fit bien son travail en décrivant cette situation, l’illustrant par une vidéo de l’intervention de Carlson :
« Fox News a été la seule chaîne d'information grand public à couvrir sérieusement le rapport d'enquête explosif du journaliste Seymour Hersh, lauréat du prix Pulitzer, publié cette semaine et intitulé “Comment l'Amérique a fait échouer le gazoduc Nord Stream”. Dans son émission de grande écoute mercredi soir, Tucker Carlson a passé en revue la poignée de fois où des hauts responsables de l'administration Biden, y compris le président lui-même, ont émis ce qui semblait être des aveux voilés de l'implication des États-Unis - comme les promesses répétées que Nord Stream 2 n'irait jamais de l'avant. “Nous avons été attaqués pour avoir posé des questions à ce sujet”, a souligné l'animateur de Fox.
“C'est probablement le reportage le plus complet que vous lirez cette année... vous devez le lire”, a déclaré Carlson à propos de l’article de Hersh. Il a déploré que les journalistes accrédités à la Maison Blanche n'abordent même pas la question avec l'administration. Pourtant, il n'en reste pas moins que “personne au plus haut niveau du gouvernement américain ne dément avec un quelconque niveau de spécificité, au lieu de quoi la Maison Blanche rejette l'information comme étant ‘totalement fausse’”, a poursuivi Carlson. »
La débâcle de Biden
Ce climat attristant aux USA, ces révélations consternantes de Seymour Hersh sur la politiqueSystème US devenue pur terrorisme, interviennent deux jours après le discours sur l’état de l’Union qui pourrait tout aussi bien s’intituler “discours sur l’état de Biden” tant il montra crûment l’état de décrépitude physique et cognitive où se trouve le président Biden. En même temps éclataient l’état lamentable du pouvoir aux USA et le désordre, la disparition totale de cette atmosphère de solennité et de déférence marquant le respect de tous ses membres à l’apparat du système de l’américanisme où ils évoluent, coutumier à cette cérémonie annuelle...
« [...Cela] montre quelque chose de tout simplement stupéfiant. Lors du discours sur l'état de l'Union, prononcé chaque année par les présidents en exercice, le spectacle général est généralement celui de l'unité... Ou du moins, un silence poli... [...]
» Eh bien, l’état de l'Union de mardi soir a montré à l'ensemble du public quelque chose de complètement différent : un Congrès qui ressemble plus au bruit discordant du Parlement britannique qu'à la tradition américaine du “désaccord digne et silencieux”.
» L'imposteur Biden s'est attiré de nombreuses railleries dans ce discours, des “Non !!!” catégoriques non seulement de la part de quelques faiseurs de scandales, mais aussi, d'après ce qu'on entend, de dizaines, voire de centaines, de membres du Congrès. Le Congrès a ri de lui, s'est moqué de lui et l'a rabroué... »
Est-ce dans ces conditions qu’on peut envisager de poursuivre le soutien d’un conflit de l’envergue de celui qui a été déclenché contre la Russie ? Certains jugent pourtant que la visite-surprise de Zelenski à Londres et l’annonce que des pilotes ukrainiens sont formés sur des chasseurs de combat ‘Typhoon’ annoncent un tournant majeur. Andrew Korybko considère que la nouvelle préfigure la formation d’une coalition d’avions de combat de l’OTAN destinée, à l’instar de celle des chars, à intervenir en Ukraine, avec des conséquences ben plus graves.
« Contrairement à la coalition de chars de l’OTAN qui représentait une escalade qui a été largement exagérée, l’imminente coalition pour livrer des avions de chasse pourrait modifier de manière décisive la dynamique militaro-stratégique du conflit ukrainien pour l’amener sur une trajectoire beaucoup plus déstabilisante. En effet, ces armements peuvent renforcer de manière polyvalente les capacités aériennes et terrestres de Kiev, sans oublier qu’ils augmentent les chances de mener efficacement des opérations d’armes combinées lors des offensives que les deux parties prévoient de mener dans un avenir proche. »
C’est l’interprétation complètement inverse que développe Alexandre Mercouris sur sa vidéo du 8 février (autour de 54’ sur la vidéo). Pour lui, les Britanniques sont aujourd’hui isolés dans leur jusqu’auboutisme, alors que la tendance prédominante aux USA dévient de plus en plus celle du désengagement dans un climat de désordre complet du pouvoir ; alors que les Allemands hésitent de plus en plus à s’engager plus nettement en Ukraine... Son sentiment est donc celui que les Britanniques, craignant de plus en plus d’être isolés, en remettent et accélèrent la “coalition” des chars en préparant celle des avions de combat,
Source« ...en espérant que cet extrémisme obligera les autres partenaires occidentaux [de l’Angleterre] à suivre la même voie... Je dirais sans hésiter que si c’est le calcul des Britanniques, il est faussé et complètement destiné à échouer, et je serais complètement d’avis qu’ils auraient tout intérêt à abandonner un tel projet. »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.