19 décembre 2022

Dépouillé, bradé, vidé, transformé en camp de migrants : le château de Grignon

Thiverval-Grignon se situe entre Plaisir et Poissy. C'est un de ces villages miraculeusement épargnés par la bétonnisation de la Grande Couronne, qui semblent dans un autre espace-temps que Mantes-la-Jolie ou Trappes, pourtant terriblement proches. On peut y songer sans difficulté à ce que devait être la vie du temps du jeune Louis XIV, lorsque les Yvelines n'étaient qu'une forêt, et Versailles, un marécage giboyeux surmonté par un relais de chasse. Dans ce petit village, comme dans beaucoup de villages des Yvelines, il y a un château du XVIIe, admirable mélange de rigueur et de raffinement : un plan classique, une cour en U, brique et ardoise. On dirait un peu le château d'Athos, en Touraine, au début de Vingt ans après.

Le château de Grignon (puisque c'est son nom) a une histoire qui se confond avec celle de la France. Il a été construit par un noble de robe, président du Parlement de Paris, à la fin du XVIe siècle. Selon une patiente stratégie sociale, qui existait déjà à Rome, son fils, seigneur de Neauphle, fait la même chose en mieux : il obtient que Grignon soit érigé en marquisat. Le domaine passe ensuite, de main en main, jusqu'à la Révolution où un certain Auguie s'en rend acquéreur. Il marie sa fille au maréchal Ney puis vend au maréchal Bessières. Enfin, en 1826, Charles X acquiert le domaine et y fonde une école d'agriculture, qui deviendra, de nos jours, Agro Paris Tech, la plus vieille école d'agriculture de France.

Évidemment, tout ça est très vieille France : il avait donc été prévu de déménager l'école sur le plateau de Saclay en 2021. D'anciens élèves s'y sont opposés. L'État a voulu gagner du temps et a suspendu l'attribution à un promoteur en promettant de lancer une nouvelle procédure avant fin 2022. Tu parles ! Au mois de juin, le mobilier du château a été bradé par l'État dans des conditions abracadabrantes : pendant une vente aux enchères confidentielle, chaises, tables et canapés sont partis à des prix qui feraient presque rougir Ikea.

Et là, cerise sur le gâteau, ou dernier clou sur le cercueil : attribué au cours du mois de novembre à Emmaüs, le château va devenir un centre d'accueil de migrants. C'est qu'il fait froid, en Île-de-France, beaucoup plus froid qu'en Afrique, mais maintenant que nos hôtes sont là, on ne va pas se contenter de leur donner une couverture, n'est-ce pas ? Le 17 décembre, le ministre Olivier Klein, un de ces anonymes dont la Macronie a le secret, s'est « rendu sur place » pour médiatiser l'accueil de 67 migrants, prélude à l'hébergement, à terme, probablement, de 200 de ces futurs Français. Les nouveaux châtelains de Grignon devraient repartir entre mars et mai 2023. Pas chez eux, bien sûr : ailleurs en France.

Le château de Grignon avait une histoire glorieuse, du mobilier de prix, était témoin du passé. Le voici vide, bradé, abandonné et refilé en sous-main par le pouvoir politique, sans demander l'avis de personne, à une association qui va héberger des migrants. Cette histoire n'est pas une histoire comme toutes les autres : Grignon est une allégorie de la France.

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