30 décembre 2022

Déboires d'EDF et du nucléaire français : « L'obsession allemande, c'est la désintégration d'EDF »

Auditionnés par l'Assemblée nationale, ancien patron d'EDF, Henri Proglio, et l'ancienne patronne d'Areva, Anne Lauvergeon, qui n'ont cessé de se combattre il y a plus de dix ans, expliquent les déconvenues d'EDF par la volonté de Berlin de nuire à l'énergéticien tricolore, en imposant l'ouverture des marchés de l'énergie. 

À l'Assemblée Nationale, la commission d'enquête « visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France », présidée par le député républicain Raphaël Schellenberger, a auditionné ces dernières semaines de nombreuses figures du secteur énergétique en France. Et pas des moindres. C'est ainsi que se sont succédé l'ancien patron d'EDF, Henri Proglio, et l'ancienne patronne d'Areva, Anne Lauvergeon. Tous deux ont représenté par le passé la « filière du nucléaire ». Tous deux n'ont cessé de se combattre. Et pourtant, dix ans après leur bataille homérique, les deux mêmes sont tombés d'accord devant la représentation nationale pour trouver un coupable idéal permettant d'expliquer la situation catastrophique en 2022 de la fameuse filière.

« L'obsession allemande, c'est la désintégration d'EDF »

Henri Proglio s'est d'abord souvenu que lorsqu'il prit la tête de l'entreprise publique « au début du XXIe siècle (...), EDF était exportateur d'énergie, avait les prix les moins chers d'Europe (deux fois et demie moins chers que l'Allemagne) et un contrat de service public qui faisait référence dans le monde, et donnait à la France un atout formidable en matière d'émissions de gaz à effet de serre. Il n'y avait plus qu'à tout détruire : c'est chose faite ! »

Dans le viseur de l'ancien patron d'EDF : l'Allemagne. Et de rappeler : « L'Allemagne a choisi l'industrie comme axe majeur de son économie, puis a tenté l'energiewende [la transition énergétique allemande, axée sur la sortie du nucléaire et le développement des renouvelables, Ndlr]. Cela s'est terminé par un désastre absolu, les énergéticiens allemands étaient ruinés, totalement vulnérables (...) Comment voulez-vous que ce pays accepte que la France dispose d'un outil compétitif aussi puissant qu'EDF à sa porte ? L'obsession allemande depuis trente ans, c'est la désintégration d'EDF. Ils ont réussi. »

Aujourd'hui, pourtant, l'Allemagne s'inquiète particulièrement de la situation de crise technique et financière au sein de l'électricien français. EDF a longtemps été considéré en Europe comme le « château d'eau » électrique qui permettait de résoudre toute situation de sur-consommation ou de sous-production. Manifestement, les Allemands n'ont pas anticipé la situation de crise au sein d'EDF, ils n'ont pas perçu le niveau des difficultés.

Pour Henri Proglio pourtant, cette catastrophe du système électrique français s'explique avant tout par la réalisation d'un véritable plan allemand contre EDF. Plan qui, selon lui, a eu ses relais à Bruxelles. En cause ? L'« axe idéologique unique » de « la concurrence »... Proglio flingue notamment la loi Nome, votée en 2010, qui a imposé à EDF de subventionner ses concurrents en leur vendant à prix cassé un quart de son électricité. « Une mesure inique, destinée à casser EDF et prise sous la pression bruxello-allemande », dénonce-t-il. « Ça a très bien fonctionné, les concurrents d'EDF sont devenus riches. »

Pas de programme industriel de l'Etat français

Henri Proglio serait-il seulement un original, pétri de patriotisme et soucieux de souveraineté économique et industrielle ? Deux jours plus tard, c'est pourtant son ennemie jurée, Anne Lauvergeon, l'ancienne patronne d'Areva, qui confirmait en partie ce diagnostic. Cette dernière s'est, elle aussi, souvenue qu' « à partir de la fin des années 2000, le grand modèle devient le modèle allemand. "Les Allemands ont raison dans leur mix énergétique", "c'est l'exemple à suivre", c'est ce qu'on nous dit de partout, c'est ce qui imbibe la sphère médiatique, la sphère intellectuelle, la sphère politique. La solution est le tout renouvelable, le nucléaire, c'est ringard, et Fukushima, c'est le point d'orgue de ce discours ».

Le comble pour la France, c'est que sur toute cette période, l'État n'a pas engagé un grand programme industriel pour développer les énergies renouvelables tant promues. Anne Lauvergeon a rappelé à ce moment de son audition qu'« il fallait des énergies de base, charbon, gaz et nucléaire » pour compléter le mix énergétique avec les énergies renouvelables qui restaient intermittentes. Et de souligner que l'Allemagne a alors fait le choix du gaz russe « pas cher » pour remplacer son nucléaire, afin de « faire de l'Allemagne le hub gazier de l'Europe ». Face à cela, Lauvergeon a déploré que la France « ait adhéré à ça », et que les responsables français n'aient pas été « rationnels » : « Si nous abandonnions le nucléaire, il aurait fallu s'intéresser à l'industrialisation des renouvelables et les considérer comme stratégiques ». Ajoutant : « il faut arrêter d'opposer renouvelables et nucléaire ».

Au contraire, durant toute cette période, la France a subventionné les renouvelables sans permettre le développement d'une filière industrielle sur son sol, tout en arrêtant de subventionner le nucléaire. Résultat, la France a tout perdu dans le secteur de l'industrie énergétique. « On a dit une chose, on en a fait une autre. On a perdu notre rationalité, celle de Pascal et de Descartes ». Mais l'ancienne grande patronne d'ajouter : « Il faut toujours être optimiste. Est ce qu'on peut rattraper la situation ? Moi, je pense que oui ». Tout en reconnaissant le désastre suite à ces dernières années d'inaction : « Ces dix ans qui viennent de se passer sont dix lourdes années. On a mangé du kérosène ». On ne saurait mieux dire...

Marc Endeweld

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