L'Union européenne, qui apparaissait jusqu'à récemment comme une société de prospérité générale et d'abondance, n'est plus seulement confrontée à des problèmes énergétiques. Depuis quelque temps, il est impossible d'acheter les médicaments les plus nécessaires et les plus simples dans les pharmacies européennes. Apparemment, les pays européens ont été rattrapés par une crise pharmaceutique systémique. Comment en est-on arrivé là ?
Cet article publié par K-Politika s’insère dans notre rubrique “Vu de Russie et de Chine”.
En plus des crises déjà existantes, le monde occidental a découvert la pénurie de médicaments. Il ne s’agit pas seulement de la production de certaines molécules à forte intensité de main-d’œuvre, mais de médicaments de base qui devraient figurer dans chaque trousse de premiers soins – comme le paracétamol et les antibiotiques. Leur absence peut affecter de manière significative la santé de la nation.
Il est également intéressant de noter comment cette pénurie est couverte par les médias occidentaux, en particulier la presse populaire. Ainsi, la chaîne française BFM ou le journal Le Parisien, par exemple, évitent d’évoquer le problème lui-même. A contrario, ils commentent abondement le volume de prescription d’antibiotiques pour les enfants et pour les adultes également. En s’appuyant sur les dires « d’experts », ils essaient de faire passer l’idée que tomber malade sans antibiotiques n’est pas si grave que cela. C’est une sorte de détournement du raisonnement, du style : « s’il n’y a pas de viande dans le magasin, il faut influencer l’opinion des gens en diffusant l’idée qu’en manger est nocif » ! Il vaudrait mieux traiter le problème au fond devant l’opinion publique, en s’interrogeant pourquoi il n’y a pas de viande, qui est à blâmer, et quelles solutions adopter pour y remédier…
Cependant, la pénurie de médicaments est désormais trop importante pour pouvoir la traiter avec des méthodes relevant d’une « propagande manipulatoire ». La Suisse, îlot traditionnel de calme et de stabilité politique, a été ainsi contrainte de publier une liste de médicaments en pénurie. Cependant, les consommateurs suisses estiment que cette liste ne tient pas compte de médicaments devenus rares mais essentiels, par exemple pour le traitement des épileptiques ou des patients souffrant de la maladie de Parkinson. L’on doit donc constater qu’il est devenu difficile de trouver des anti-inflammatoires contenant de l’ibuprofène, des génériques bon marché, etc. Selon l’avis des pharmaciens d’officine, la pénurie couvre aujourd’hui une centaine d’articles alors que les années précédentes, elle ne concernait qu’un maximum de 20 éléments.
En France, les autorités ont été contraintes d’admettre une pénurie de 85 médicaments, dont du paracétamol et des antibiotiques, ainsi que du savon antiseptique. Même l’Efferalgan, qui est produit en France et qui est l’un des médicaments les plus populaires, court le risque d’une rupture d’approvisionnement ; si bien que l’Agence nationale du médicament a demandé aux pharmacies de limiter par patient la quantité vendue. Les raisons de la pénurie sont diverses. Par exemple, certaines molécules ne sont plus produites car leur production est devenue trop coûteuse, et l’Etat n’est pas prêt à rembourser aux industriels la différence de prix.
Au Canada, face à la disparition de l’antibiotique de base amoxicilline, qui est particulièrement important dans les traitements pédiatriques, on essaie de justifier ce manque par le fait que cela résulterait de l’augmentation du nombre d’enfants qui tombent malades à l’automne ! Bloomberg, couvrant la pénurie du même antibiotique de base aux États-Unis, l’exprime de manière une peu plus tortueuse : « On s’interroge pour savoir si la demande est maintenant gonflée en raison du nombre élevé de malades, ou si les fabricants ne peuvent pas faire face au niveau habituel de la demande ».
En tout cas, ce qui se passe illustre bien la fragilité de la chaîne de production des médicaments de base, notamment des antibiotiques. Bloomberg cite l’avis de l’attaché de presse du Laboratoire Sundoz selon lequel « les médicaments bon marché comportent un risque de pénurie ».
En Grande-Bretagne, le Dr Layla Hanbeck, chef de l’Association des pharmacies indépendantes, a averti en aout dernier que la crise de l’industrie ne pourrait être évitée si des mesures n’étaient pas prises immédiatement. Il a cité des médicaments avec lesquels des problèmes avaient déjà été signalés : des antidépresseurs, des analgésiques, le paracétamol, l’insuline et les antibiotiques. Quelle cause est avancée ? La raison principale de ces pénuries serait le manque de matières premières, « qui sont généralement fournies par des entreprises d’Extrême-Orient ». Les Britanniques utilisent le terme « Extrême-Orient » pour désigner un certain nombre d’États producteurs de matières premières pour l’industrie pharmaceutique, à savoir la Chine, le Japon, le Vietnam, les deux Corées.
Cependant, dans une interview, le chef de la société pharmaceutique Teva, Andreas Burkhardt, a plutôt évoqué d’autres causes. Selon lui, la situation réelle à laquelle les fabricants de médicaments doivent faire face est plus complexe qu’on ne le dit : « Ces derniers temps, nous sommes confrontés à d’énormes défis. Il y a eu une forte fluctuation de la demande ces dernières années. Nous n’avons jamais rien vécu de tel. Habituellement, nous planifions sur la base des données de l’année précédente. Mais de telles valeurs statistiques sur lesquelles nous pouvons nous appuyer n’existent tout simplement plus, et ce en raison de la pandémie. En mars-avril 2020, nous avons vendu deux ou trois fois plus de médicaments que d’habitude. Puis la demande s’est fortement effondrée, d’où un surcroit d’effectif dans les entrepôts. À l’automne, la demande a de nouveau fortement augmenté… Maintenant, nous manquons de personnel : à Ulm, où nous produisons l’essentiel de notre production, le taux de chômage n’est que de 2 % ».
Il reconnaît que la crise a également affecté les chaînes d’approvisionnement : « Là où tout était bien calé auparavant, il faut maintenant faire des ajustements à grands frais. Nous avons beaucoup plus de chaînes instables… bien que les choses ne soient pas aussi mauvaises que dans l’industrie des puces. En fait, il est devenu beaucoup plus difficile de créer une chaîne d’approvisionnement durable, et cela s’applique non seulement aux ingrédients, mais aussi à des choses comme les filtres ou les produits de nettoyage auxquels nous n’avions pas du tout pensé auparavant ».
Enfin, Burckhardt s’est également plaint du système de tarification européen. Il n’est pas rentable pour les fabricants de produire des médicaments dont le coût des matières premières a augmenté, car il est impossible d’ajuster le prix en raison des réglementations locales.
Nous sommes donc bien en face d’une crise systémique. Cela résulte du modèle de planification qui a cessé de fonctionner, des obstacles bureaucratiques, de la pénurie de main-d’œuvre, et plus globalement des failles du capitalisme en tant que système : travailler pour faire du profit alors qu’il n’est plus possible d’en faire n’a aucun sens au plan économique.
Alors, au lieu d’augmenter la production de médicaments vitaux, la France, par exemple, permet désormais aux pharmaciens de vacciner leurs clients à tout va et contre tout, y compris le monkeypox. Il suffit d’une ordonnance du médecin… Ainsi, les vaccins connaissent un boom de la demande. Mais pour ceux qui souffrent d’un manque d’antibiotiques, il faudra se contenter d’articles de presse selon lesquels prendre ces traitements est finalement nocif.
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