Olaf Scholz est comme un capitaine de paquebot. Virer de bord est une manoeuvre qui prend du temps. L'Allemagne vient de voir toutes les certitudes sur lesquelles reposait la politique étrangère et la prospérité économique allemande réduites à néant en quelques mois par la politique américaine en Europe. A présent, le Chancelier allemand, mis sous pression par les industriels allemands, pense pouvoir s'en sortir en développant un partenariat privilégié avec la Chine. Mais tout l'équipage n'est pas d'accord pour le changement de cap: Annalena Baerbock, qui se profile de plus en plus comme "la femme des Américains" en Allemagne, attaque ouvertement le Chancelier. Qui l'emportera, du Deep State américain ou d'une industrie allemande qui lutte pour sa survie?
Olaf Scholz a-t-il enfin décidé de s’émanciper des Etats-Unis?
Avant le voyage d’Olaf Scholz en Chine, les médias allemands répétaient en boucle que le Chancelier allait donner une leçon de “droits de l’Homme” à Pékin. En l’occurrence, ils faisaient le service de presse de la Deutsche Gesellschaft für Aussenpolitik, qui se pense de plus en plus comme une réplique, à l’échelle allemande, du CFR américain. C’est le meilleur relais des mots d’ordre transatlantiques en Allemagne.
Olaf Scholz a évoqué les “droits de l’homme”. Mais il semble que l’essentiel des discussions ait été tout autre. Le journaliste brésilien Pepe Escobar écrit:
“De solides sources économiques allemandes contredisent complètement le “message” délivré par le ‘Conseil allemand des relations extérieures’ sur le voyage en Chine.
Selon ces sources, la caravane de Scholz s’est rendue à Pékin essentiellement pour établir les étapes préparatoires à l’élaboration d’un accord de paix avec la Russie, avec la Chine comme messager privilégié.
C’est – littéralement – aussi explosif, géopolitiquement et géoéconomiquement, que possible. Comme je l’ai souligné dans l’une de mes précédentes chroniques, Berlin et Moscou ont maintenu un canal de communication secret – via des interlocuteurs commerciaux – jusqu’à la minute où les suspects habituels, en désespoir de cause, ont décidé de faire sauter le Nord Streams.
Le désormais célèbre SMS envoyé par l’iPhone de Liz Truss au petit Tony Blinken, une minute après les explosions : “C’est fait.”
Ce n’est pas tout : la caravane Scholz essaie peut-être de lancer un processus long et alambiqué visant à remplacer les États-Unis par la Chine comme allié clé. Il ne faut jamais oublier que le premier terminal de commerce/connectivité de la BRI (Belt and Road Initiative – Nouvelles Routes de la Soie) dans l’UE est l’Allemagne (la vallée de la Ruhr).
Selon l’une des sources, “si cet effort est couronné de succès, alors l’Allemagne, la Chine et la Russie pourront s’allier ensemble et chasser les États-Unis d’Europe.”
Une autre source a fourni la cerise sur le gâteau : “Olaf Scholz est accompagné dans ce voyage par des industriels allemands qui contrôlent réellement l’Allemagne et ne vont pas rester les bras croisés en se voyant détruits.”
Annalena Baerbock - le pion de Washington au gouvernement allemand
Doit-on considérer que c’est trop optimiste? Pepe Escobar ne semble pas très familier des hésitations allemandes et des divisions qui traversent traditionnellement l’élite dirigeante allemande. En tout cas, Annalena Baerbock a exprimé ouvertement son désaccord avec le souhait du Chancelier de renforcer les relations économiques avec Pékin.
J’en profite pour indiquer à nos lecteurs que le site le mieux informé sur la politique étrangère allemande est german-foreign-policy.com. Il contient une version anglaise – et quelquefois française – de certains des articles. En l’occurrence, le site dédie des articles depuis plusieurs jours à ce qu’ils appellent un bras de fer au sein des élites allemandes:
“Le fait qu’un membre du gouvernement attaque ouvertement son propre chef de gouvernement à l’étranger est inhabituel et constitue un affront remarquable. Baerbock avait en outre exigé de Scholz, sur un ton péremptoire, qu’il soit “décisif” qu’il transmette en Chine les “messages” de l’accord de coalition ; il s’agissait – au lieu d’une coopération économique – d’une critique sévère des droits de l’homme en Chine. Cela a été accompagné par d’autres exigences de l’Alliance 90/Les Verts et de la CDU/CSU. Ainsi, le député européen des Verts Reinhard Bütikofer a déclaré que Scholz devrait “laisser à la maison” la délégation économique qu’il a emmenée en Chine et “expliquer lors de son entretien avec Xi Jinping ce que nous entendons par rivalité systémique”. Jens Spahn ainsi que Johann Wadephul, tous deux vice-présidents du groupe parlementaire de l’Union au Bundestag, ont jugé que la “rivalité systémique” avec la Chine augmentait, tandis que le “partenariat” avec ce pays diminuait. (…)Alors que Scholz a rencontré Xi vendredi à Pékin, Baerbock a parallèlement poursuivi ses attaques contre le chancelier lors de la réunion des ministres des Affaires étrangères du G7 à Münster. La ministre des Affaires étrangères a déclaré que la question centrale des discussions du G7 était de savoir “comment ne pas répéter les erreurs que nous avons commises par le passé en matière de politique russe en ce qui concerne la Chine”[5], en référence à l’affirmation selon laquelle les efforts visant à impliquer Moscou par le biais d’une coopération économique – par exemple dans le cadre du Nord Stream 2 – ont été une erreur. Bien au contraire, les tentatives de coopération ont toujours été systématiquement minées, notamment par l’Alliance 90/Les Verts. La déclaration de Baerbock visait à discréditer les efforts de Scholz pour une coopération économique avec Pékin. En outre, la ministre allemande des Affaires étrangères a affirmé que la République populaire était devenue “de plus en plus un rival systémique” ; il s’agit de lui imposer des limites claires à l’avenir. Ces déclarations sont d’autant plus importantes que le G7 tente actuellement de se mettre d’accord sur une stratégie concertée vis-à-vis de la Chine. La question de savoir s’il faut imposer des sanctions communes contre la République populaire n’a pas “encore” été abordée, a-t-on appris après les discussions des ministres des Affaires étrangères à Münster.”
Quand la Chine investit à Hambourg
Un resserrement des liens entre Berlin et Pékin mettrait en effet à mal la stratégie américaine de découplage absolu entre Berlin et Moscou.
La bataille se corse dans la mesure où le Chancelier Scholz est vulnérable; il est sous le coup de deux enquêtes financières, dont l’une quand il était maire de Hambourg. Ce n’est donc pas un hasard que, lorsque la Chine a proposé d’investir dans le développement du port de Hambourg, le Chancelier ait jeté ses forces dansd la bataille en faveur d’une telle décision. Il a dû pour cela forcer la main de ses partenaires de gouvernement. Et puis les Etats-Unis sont intervenus pour empêcher le deal.
En effet, “un haut responsable de l’administration Biden a déclaré que Washington avait transmis “un message” via sa représentation dans la capitale allemande, selon lequel la Chine ne devait pas avoir d’influence “contrôlante” sur les terminaux du port de Hambourg. [7] Le fait que le gouvernement fédéral ait annulé il y a quelques jours les accords passés entre la Hamburger Hafen und Logistik AG (HHLA) et l’armateur chinois COSCO et n’ait pas autorisé COSCO à acquérir 35 pour cent, mais seulement 24,9 pour cent des parts du terminal à conteneurs de Tollerort, est “un résultat réussi” de l’influence américaine. “La question se pose de plus en plus”, peut-on lire en commentaire dans un rapport récent, “de savoir quel degré de coopération commerciale sino-allemande les partenaires occidentaux sont prêts à tolérer“
Cette dernière information est à prendre avec précaution. Selon la célèbre formule, quand on est n’est pas à l’origine des événements, il faut feindre de les avoir organisés. Si les Américains avaient réellement obtenus quelque chose, ils ne le clameraient pas si fort.
En tout cas, il se confirme que la bataille va être féroce. En allant en Chine, le Chancelier est venu chercher de l’aide contre les Etats-Unis. Il a aussi rendu visible le constat que l’Union Européenne n’est pas en mesure de fournir à l’Allemagne une protection de ses intérêts quand ils deviennent contraire à ceux des Etats-Unis. Mais en face, le Ministère allemand des Affaires étrangères, le fameux Auswärtiges Amt, est largement devenue le bastion de l’atlantisme.
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