Selon le journal allemand Die Welt, les contradictions croissent en Europe : les relations entre les deux pays les plus importants de la zone euro, l’Allemagne et la France, sont « au plus bas ». Au cours d’une tentative de négociation pour parvenir au moins à un compromis mutuellement bénéfique, Emmanuel Macron a organisé une rencontre avec le chancelier Scholz au palais de l’Élysée le 26 octobre.
Dans le même temps, une réunion extrêmement importante entre les ministres allemands et français devait se dérouler au château de Fontainebleau, mais celle-ci a été subitement annulée, ce qui a fait beaucoup de bruit dans les médias occidentaux.Les journalistes de Libération n’ont pas pu s’empêcher d’afficher leur suffisance en expliquant cet événement, en affirmant que la liste des différends entre les deux pays était « aussi longue qu’un jour sans bretzel ». En résumé, cette liste comprend les problèmes les plus importants pour l’Europe en ce moment : le gaz russe, la crise énergétique, les livraisons d’armes en Ukraine, et l’inflation.
Les dirigeants français et allemands ont des approches différentes de chacun de ces problèmes, et comptent les traiter de manières divergentes. Lorsque Macron affirme « Je pense que ce n’est pas bon ni pour l’Allemagne ni pour l’Europe qu’elle s’isole« , Berlin répond que les Français invoquent la solidarité européenne lorsqu’elle profite à la France, mais oublient immédiatement toute solidarité lorsqu’elle doit œuvrer en faveur de l’Allemagne.
Par exemple, alors que les Allemands planifiaient la construction d’un gazoduc entre l’Allemagne et l’Espagne, les Français se sont emparés du projet. Apparemment, ils se sont déjà mis d’accord avec l’Espagne et le Portugal pour construire un autre gazoduc, BarMar, qui reliera Marseille à Barcelone en passant sous la Mer Méditerranée. Cela signifie, premièrement, que le projet allemand ne verra pas le jour — il n’a plus de raison d’être — et deuxièmement, que les entreprises allemandes vont subir des pertes significatives à cet égard.
Le prétendu couple franco-allemand est également incapable de se mettre d’accord sur les sujets de sécurité. Berlin propose de créer un système de défense commun par missiles en Europe, et 14 pays, dont la Grande-Bretagne, les États baltes, la Finlande et les Pays-Bas, sont prêts à rallier le projet. C’est-à-dire, de nombreux pays sauf la France. Le fait est que le projet allemand va s’appuyer sur le savoir-faire israélien, alors que la France préférerait apporter ses propres idées ainsi que des idées italiennes.
Selon le journal Die Welt, en France, « les gens disent désormais de l’Allemagne : ‘l’Allemagne se positionne au-dessus de tous les autres’, et par conséquent, ils sont déçus, irrités et amers ». Par exemple, le projet allemand de dépense de 200 milliards d’euros pour maintenir les prix du gaz à un niveau tenable provoque beaucoup d’irritation en France.
Pour commencer, Scholz a décidé de ne pas consulter ses partenaires européens respectés avant d’annoncer ce plan. Curieusement, le chancelier avait de bonnes raisons d’agir ainsi — il avait attrapé le coronavirus, mais il a également refusé de tenir une conférence à distance, et n’a même pas trouvé le temps de parler au premier ministre français, madame Borne.
Ensuite, si l’Allemagne parvient à maintenir les niveaux de prix, cela va provoquer des inégalités dans la zone euro, et peut-être une fuite des activités industrielles vers le territoire allemand, chose qui ne convient pas aux pays voisins.
Troisièmement, la France voudrait vraiment introduire un plafond de prix sur l’achat de gaz russe, mais l’Allemagne s’y oppose, car son industrie en dépend davantage que l’industrie française.
Lorsqu’on lit les journaux de divers pays, on constate facilement que l’Europe collective est plus préoccupée par les sujets énergétiques, alors que les Étasuniens, par exemple, s’inquiètent de la relation entre les partis et la Chine. Scholz prévoit de se rendre à Pékin au mois de novembre pour y rencontrer Xi Jinping. Le chancelier allemand sera ainsi le premier dirigeant étranger à rendre visite au dirigeant chinois qui vient de voir validé son troisième mandat, et il va au travers de cette visite légitimer le poste du dirigeant chinois, ce que les Étasuniens et les Français n’apprécient pas, car ils entretiennent des griefs contre la Chine, surtout au sujet des investissements chinois en France.
Il faut rappeler que la France et l’Allemagne ont été en concurrence et en lutte depuis des centaines d’années. Au cours du siècle et demi écoulé, cet état de fait a culminé avec la guerre franco-prussienne de 1870-1871, que la France a perdue avec fracas. Ont suivi deux guerres mondiales, et la France a gagné la première avec difficultés, subissant d’énormes pertes humaines, et au cours de la seconde elle s’est rendue face à l’armée de Hitler. Les Allemands ont donc, outre leurs différends actuels, des raisons historiques de ne pas faire confiance à leurs voisins.
C’est avec pessimisme que Dominique de Villepin, l’ancien premier ministre (et ancien ministre des affaires étrangères) évalue les perspectives d’une coopération renouvelée entre les deux pays. « Le couple franco-allemand s’est séparé, leur alliance est paralysée, » regrette-t-il, car « à ce moment historique, nous ne pouvons pas nous permettre une Europe affaiblie et divisée… Une Europe forte et unifiée commence toujours par une alliance franco-allemande forte. »
Bruno Le Maire, ministre français des finances, qui a une réputation de germanophile, préfère cependant se montrer prudemment optimiste. Le désaccord entre la France et l’Allemagne découle de raisons « qui menacent l’ordre allemand, » dont la principale est le conflit en Ukraine. « Nous devons repenser stratégiquement la relation entre la France et l’Allemagne et bâtir une nouvelle alliance, peut-être plus forte encore. » Qui plus est, Le Maire indique qu’« il n’existe aucune alternative à une relation proche entre la France et l’Allemagne. »
Et Jean-Marc Ayrault, ancien premier ministre, ne craint pas tant les désaccords entre les deux pays poids lourds qu’un conflit intra-européen qui apporterait de l’eau au moulin de la Russie. La crise entre les deux pays se produit à un très mauvais moment, car elle s’est déclenchée en même temps que la crise « énergétique, financière et économique qui marquera apparemment le début d’une récession. »
« Le conflit en Ukraine, » écrit l’éditorialiste du Point, « modifie l’équilibre des pouvoirs en Europe, et le rôle de l’Allemagne s’avance au premier-plan. » C’est cela qui rend véritablement les Français très nerveux, et c’est ce qu’ils craignent le plus de voir se produire.
La France a pour habitude de se voir comme une force avec laquelle il faut compter dans le monde mais, face à l’Allemagne qui se fait de plus en plus forte, y compris militairement, les Français ne seront plus en mesure de jouer les solistes. Et il ne s’agit pas simplement d’un coup au moral — il s’agit d’économie, dont le contrecoup est à attendre, de perte d’un ancien prestige, et de se voir repoussée aux tréfonds de la politique mondiale.
Mais personne n’est prêt à l’admettre, et suite à la réunion avec Macron (qui aura duré trois heures environ), Scholz a noté que la France et l’Allemagne sont « très proches ». Et Olivier Véran, le porte-parole présidentiel français, a annoncé que « l’amitié franco-allemande est encore en vie ». La France a également annoncé que des groupes de travail allaient être constitués sur les sujets litigieux de l’énergie, de la défense et de l’innovation. Cependant, les observateurs n’ont pas manqué d’énoncer le caractère général des annonces qui ont été produites, ce qui indique que les contradictions entre les deux pays sont restées sans solution, chose qui promet de se poursuivre pour l’avenir proche.
Traduit par José Martí, relu par Wayan, pour le Saker Francophone
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