Deux groupes de recherche distincts ont réussi à faire voyager un photon en avant et en arrière dans le temps, de façon simultanée — un phénomène appelé « retournement temporel quantique ». Cette expérience pourrait avoir des implications pour la conception d’ordinateurs quantiques, mais pourrait également aider à développer une théorie de la gravité quantique.
À notre échelle, le temps ne s’écoule que dans un seul sens ; les événements qui surviennent, généralement dans un ordre causal bien défini, ne peuvent être inversés. En physique quantique, en revanche, ce genre de chose est tout à fait envisageable : à l’échelle subatomique, il n’y a pas de distinction asymétrique entre passé et futur et deux événements peuvent être vrais simultanément. En outre, chaque état quantique peut être équivalent à plusieurs valeurs en même temps, jusqu’à ce qu’une mesure soit effectuée — c’est ce que l’on appelle le principe de superposition, illustré notamment par le célèbre chat de Schrödinger, qui demeure à la fois mort et vivant tant que la boîte n’est pas ouverte.
Des chercheurs de l’Université d’Oxford, dirigés par le physicien Giulio Chiribella, ont combiné ces deux concepts fondamentaux pour tenter de décrire ce à quoi pourrait ressembler une superposition de processus allant à la fois en avant et en arrière dans le temps, ce qu’ils nomment « un retournement temporel quantique ». La physique quantique permet la superposition d’états, il est donc possible qu’elle permette la superposition de processus. Pour Chiribella, qui a décrit ce concept plus tôt cette année, ceci s’apparente en quelque sorte à un chat de Schrödinger pour la direction du temps.
La flèche du temps vue comme superposition de processus temporels
« L’expérience du temps qui s’écoule dans une direction définie, du passé vers le futur, est profondément enracinée dans notre pensée. Au niveau microscopique, cependant, les lois de la nature semblent indifférentes à la distinction entre passé et futur », écrivaient Chiribella et Zixuan Liu dans un article publié cet été dans Communication Physics. Dans cette étude, ils ont établi un cadre mathématique pour les opérations quantiques suivant une direction temporelle indéfinie, ainsi qu’un ordre causal indéfini.
Aujourd’hui, ils expliquent comment ils sont parvenus à démontrer expérimentalement qu’un retournement temporel quantique est bel et bien possible. Pour ce faire, ils ont utilisé un diviseur de photons, via lequel chaque particule de lumière est scindée sous la forme d’une superposition de deux chemins distincts à travers un cristal ; l’un se déroulait de droite à gauche, l’autre de gauche à droite. Via le trajet de droite à gauche, le photon se déplaçait normalement ; dans l’autre sens, en revanche, sur la base des caractéristiques de la polarisation de la lumière par le cristal, la polarisation du photon était affectée de la même manière que s’il remontait le temps.
Au cours de l’expérience, il était impossible de déterminer par quel chemin les photons passaient, car ils se trouvaient à chaque instant dans une superposition des deux chemins. À l’issue du trajet, les chercheurs pouvaient recombiner le photon divisé pour mesurer sa polarisation. Avec suffisamment d’essais, ils ont statistiquement prouvé que les photons se trouvaient nécessairement dans une superposition des trajets et donc, des deux processus temporels.
« Nos résultats établissent l’indéfinition de l’entrée-sortie comme une nouvelle ressource pour les protocoles d’information quantiques et permettent la simulation sur table de scénarios hypothétiques où la flèche du temps pourrait être dans une superposition quantique », concluent-ils dans leur article en préimpression. Parallèlement, une équipe de l’Université de Vienne, dirigée par Teodor Strömberg, a mené des expériences similaires, démontrant elles aussi le retournement temporel quantique.
Vers une nouvelle théorie de la gravité quantique
Les chercheurs se sont ensuite intéressés aux applications possibles de leur découverte. Chiribella et ses collègues ont entrepris d’examiner la relation entre deux portes logiques quantiques dans lesquelles les entrées et les sorties peuvent être inversées (soit calculées) dans les deux sens. Ils ont alors découvert que ceci n’était possible pour chaque paire de portes logiques que si l’on avait accès à un retournement temporel quantique.
Les deux équipes ont finalement montré que la superposition d’un processus et de son inverse temporel impliquait l’existence de tâches de calcul via lesquelles il était possible de surpasser les processus dans lesquels le temps s’écoule dans une direction définie.
L’utilité de cette découverte n’est pour le moment pas évidente, mais les experts soulignent que l’importance de la superposition quantique n’était pas non plus évidente lorsqu’elle a été découverte, alors qu’elle joue aujourd’hui un rôle majeur dans le fonctionnement des ordinateurs quantiques. Il se pourrait donc que la superposition des directions temporelles conduise un jour à d’autres innovations.
Elle pourrait également conduire à une nouvelle théorie de la gravité quantique, qui parviendrait enfin à unifier la mécanique quantique à la relativité générale. Certains experts, dont Lucien Hardy, physicien théoricien au Perimeter Institute, s’attendent à ce que cette théorie repose sur une « indéfinition causale », ce qui implique des superpositions de différentes directions du temps. Plus largement, cette découverte remet en question la définition même de la direction du temps, qui ne semble définitivement pas fondamentale au niveau quantique.
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