18 novembre 2022

« Comment remédier au décalage de plus en plus criant entre les institutions et les volontés de la population, sans passer par une révolution ? »

Nicolas Jutzet est co-fondateur du média en ligne Liber-thé, le média qui infuse la liberté, média qui propose chaque mardi sur Youtube un entretien avec une personnalité qui s’intéresse à la liberté. Nous l’avons interrogé suite à la sortie d’un livre très intéressant qu’il a co-écrit, Passeport pour la liberté, qui rejoint parfaitement la thématique actuelle montante au sein des milieux identitaires notamment, qui est celle de la Sécession.

Voici comment se présente le livre :

Avez-vous déjà songé à créer votre propre État ? Existe-t-il des initiatives qui rendent le monde plus libre ? Ce sont les questions auxquelles nous nous intéressons dans «Passeport pour la liberté». Ce livre présente les solutions qui existent pour réformer les États modernes et décrit les alternatives possibles pour vivre de façon plus libre.

Chacun à son échelle peut contribuer à rendre nos sociétés plus respectueuses de la liberté des individus. Tout commence par une révolution culturelle : au même titre que chaque individu a le droit de quitter une relation qu’il juge malsaine, il devrait pouvoir faire de même avec l’État qui l’accueille, afin d’en créer un plus conforme à ses aspirations, ainsi qu’à celles d’autres personnes aux convictions similaires.

Nous avons interrogé Nicolas Jutzet pour en discuter.

Breizh-info.com : Dans quel contexte avez-vous décidé de prendre la plume ?

Nicolas Jutzet : Le livre se penche sur les alternatives qui existent aux États modernes (micronations, villes flottantes sur l’océan, villes privées, etc). L’ouvrage s’inscrit dans un contexte international de remise en cause de la suprématie définitive du modèle démocratique occidental. D’un côté par des modèles autoritaires, avec en tête de file, une sorte de capitalisme d’État irrespectueux des libertés individuelles, développé par la Chine. Moins connue, il existe également une remise en question du statu-quo, basée sur un souhait de liberté accrue. Elle se fonde sur le constat suivant : les démocraties sont devenues des mastodontes lents et intrusifs, qui semblent régulièrement inaptes à faire face à un monde moderne dans lequel la technologie rend la gestion décentralisée de différents défis plus facile. Couplé à un désir de personnalisation, ce mouvement contestataire ne se contente plus du modèle de t-shirt à taille unique qu’est la démocratie occidentale. Dans « Passeport pour la liberté » nous partons à leur découverte, pour mieux comprendre cette tendance de fond.

Breizh-info.com : Votre livre évoque clairement le fait, pour une population donnée, de faire Sécession d’avec un État, des institutions, dans lesquelles elle ne se reconnait plus. Ce phénomène est-il selon vous envisageable demain en France et pourquoi ?

Nicolas Jutzet : Il faut ici faire une différence entre le désir de faire sécession et la possibilité institutionnelle de le faire. Les velléités existent, sans doute de tout temps, mais dans la quasi-totalité des pays du monde, les institutions répriment ce genre d’initiatives et les volontés de remettre en cause, de l’intérieur, la façon de vivre en commun. Ce qui fait que les institutions en place sont souvent en décalage avec les désirs des citoyens. Prenons la France : en réalité la population française semble aujourd’hui en désaccord avec beaucoup de règles institutionnelles qui gouvernent pourtant leur vie. Selon un sondage du think tank GenerationLibre « Pour 66 % des Français, l’élection présidentielle donne trop de pouvoir au président élu » par exemple. Par ailleurs, dans le passé divers sondages montrent qu’ils sont en majorité pour l’introduction d’élections proportionnelles ou d’une possibilité de faire des « référendums d’initiative citoyenne ». Dans les faits, et cela s’exprime par un vote et un débat démocratique qui se polarise de plus en plus aux extrêmes, les Français ont déjà philosophiquement fait sécession avec leurs institutions.

La question qui se pose pour la suite est la suivante : comment remédier au décalage de plus en plus criant entre les institutions et les volontés de la population, sans passer par une révolution ? Faciliter l’émergence d’alternatives sur un territoire permet de parvenir par tâtonnement au modèle de gouvernance idéal, sans révolution violente ou autres réformes centralisées qui impactent tout un pays avant d’avoir fait leurs preuves sur le terrain. Les alternatives aux États modernes sont des laboratoires de la vie en commun de demain, avec toutes les difficultés que cela implique. 

Breizh-info.com : En quoi faire Sécession serait-une forme de passeport pour la liberté ? Quelles libertés nous ont été ôtées ces dernières années dans les pays occidentaux ? Le contrat social liant les citoyens les uns aux autres a-t-il été rompu durant notamment les années Covid-19 ?

Nicolas Jutzet : Dans le livre, Jeffrey Tucker dit que « les gens qui se détachent de leur pays offrent à la liberté un nouveau départ », c’est un bon résumé. Premièrement, la concurrence institutionnelle et les essais d’institutions nouvelles sont vitaux pour continuellement améliorer un modèle de gouvernance. Un modèle institutionnel qui ne permet pas à des alternatives d’émerger prive les citoyens d’une première liberté, celle d’imaginer d’autres façons de gérer la vie de leur communauté. Or, c’est la principale faiblesse des démocraties occidentales : embourbées dans leur complexité administrative et les excès de régulation, elles peinent généralement à tolérer la concurrence interne et freinent trop souvent les tentatives de faire différemment en leur sein. Pourtant, une institution qui n’existe plus que par habitude et non plus par conviction, a toutes les chances de se transformer en machine complexe inadaptée aux défis de la société qu’elle devrait encadrer.

Sinon plus généralement, je partage le constat de François Sureau, avocat et écrivain, membre de l’Académie française, qui dit que « la gauche a abandonné la liberté comme projet. La droite a abandonné la liberté comme tradition. Le premier camp réclame des droits sociétaux dans un long bêlement progressiste, le deuxième réclame des devoirs, dans un grand bêlement sécuritaire ». Historiquement, les élus et les États cherchent à être efficace, pour être réélus. Sur la route de l’efficacité politique, la liberté est souvent un frein, car l’espace qu’elle laisse aux citoyens rend les résultats imprévisibles. De tout temps, l’État dans sa nature avait donc une propension naturelle a pas spécialement apprécier la liberté. Malheureusement, aujourd’hui, c’est son contrepouvoir, le citoyen, qui semble disparaitre. Dans « C’est fatigant, la liberté… » Jean-Claude Kaufmann montre que cette volonté de céder à une forme de « servitude volontaire » était trop tentante pour beaucoup d’entre nous (moi le premier) durant les années Covid. De fait, durant cette période nous avons assisté à la validation, peut être définitive, de cet abandon de la liberté comme socle de la vie en commun et qui était un droit non négociable. En passant à une liberté qui est une concession temporaire et arbitraire du pouvoir, susceptible d’être réduite, dans sa nature et son étendue. Au gré des majorités ou des inquiétudes du moment. Bernanos écrivait que la liberté des autres lui était aussi nécessaire que la sienne. Le changement de paradigme évoqué plus haut s’oppose à cette vision solidaire de la liberté, et entraine une lutte pour s’assurer les siennes aux dépens de celle des autres.

Breizh-info.com : Plusieurs auteurs intervenants dans votre livre évoquent une nécessité d’en finir avec les grands ensembles pour revenir à des communautés, à des micronations. En quoi est-ce nécessaire pour redonner du sens à la démocratie ?

Nicolas Jutzet : L’attrait grandissant pour les micronations est un phénomène qui nous renseigne sur la distance qui s’est créée entre les citoyens et les institutions des États modernes. Ces dernières sont-elles capables d’entendre le message ? Rien n’est moins sûr. Surtout dans des grosses structures extrêmement centralisées. Les pays qui fonctionnent le mieux sont des petits pays (Suisse, Pays-Bas, etc), ou des nations qui décentralisent les prises de décisions (USA, Allemagne). On lit parfois que ce qui est possible à l’échelle de la petite Suisse n’est pas possible pour un grand pays comme la France. Mais même en acceptant ce postulat, l’exemple de la Suisse montre qu’il est possible d’appliquer un modèle de démocratie plus directe à une communauté de 8 millions d’habitants. Alors pourquoi serait-il impossible à appliquer à une ville de taille équivalente à la Suisse (8 millions d’habitants). Ou pourquoi pas commencer par une région ? Ensuite, l’histoire tranchera.

Breizh-info.com : Que pensez-vous de l’idée de tout simplement supprimer purement et simplement les élus de la vie politique, et redonner le pouvoir à tous les échelons aux citoyens, qui pourraient voter localement, régionalement, nationalement…et voir les décisions prises exécutées ensuite par de simples administrateurs ?

Nicolas Jutzet : On accorde en général trop d’importance à la politique et au principe majoritaire. Croire qu’un élu ou un président peut régler nos problèmes est illusoire et dangereux. Car cette façon de se débarrasser de notre responsabilité en la confiant à des élus fait qu’à la fin, la société civile est passive. Or comme le décrivait déjà Alexis de Tocqueville, sans société civil» caractérisée par un dense réseau associatif et par des citoyens qui prennent une partie de la responsabilité de la vie en commun sur leurs épaules, toute démocratie est fragilisée, car l’État n’a plus de contrepouvoir face à lui.

Dans un premier temps, décentraliser la prise de décision est bien évidemment une bonne idée, mais il faut éviter d’assister à un simple transfert de l’échelon auquel s’exerce la tyrannie de la majorité. Le problème de fond c’est le pouvoir que la politique donne aux gens sur la vie des autres. Quand on le décentralise, on le minore, mais il subsiste. Il faut « dépolitiser » nos vies et faire confiance aux individus, en leur laissant de l’espace pour s’organiser de façon spontanée, à l’échelon qui leur semble le plus pertinent.

Breizh-info.com : Y’a-t-il des modèles récents, historiques, de formations de micro-nations, de démocraties alternatives, d’autres modes d’administration d’une communauté, hors du champ des nations actuelles ?

Nicolas Jutzet : Tout dépend l’échelle que l’on choisit. De ces alternatives, il faut retenir qu’elles sont une promesse, une autorisation de faire quelque chose, pas une assurance que ça réussira. Mais la Suisse et le Liechtenstein sont des contre-modèles puissants. En Suisse la population peut décider de soumettre un thème au vote et son modèle encore relativement décentralisé permet de tester plusieurs réponses à un problème et de l’améliorer au fil du temps. Au Liechtenstein, un savant équilibre institutionnel permet d’intégrer le long-terme dans la vie démocratique, trop souvent focalisée sur la prochaine élection. Et loin du cliché qui voudrait que ces deux petits pays soient riches en raison de leur secteur bancaire omniprésent : c’est avant tout leur tissu industriel entreprises (45% du PIB au Liechtenstein, 12% en France) et leurs nombreuses petites et moyennes qui explique ce succès. Vít Jedlička, le président du Liberland explique qu’il rêve d’un monde avec des centaines de petits pays comme la Suisse, le Liechtenstein ou le Luxembourg. Je partage ce souhait.

Breizh-info.com : Le mot de la fin pour nos lecteurs ? Comment se procurer votre ouvrage ?

Nicolas Jutzet : Nous espérons à travers ce livre parvenir à faire comprendre que chacun à son échelle peut contribuer à rendre nos sociétés plus libres et que la route qui nous y mène est devant nous. Elle commence par une révolution intérieure. Bonne lecture ! Le livre est disponible sur notre site internet www.liber-the.com ou sur Amazon.

Propos recueillis par YV.

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